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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
le 16 Mai 2013
Solution : pour la fixation du prix du bail renouvelé, la variation indiciaire prévue par l'article L. 145-34 du Code de commerce (N° Lexbase : L5732IS4) doit être appliquée au loyer initial acquitté par le preneur lors de la prise d'effet du bail à renouveler, nonobstant la fixation dans le bail expiré d'un loyer progressif par paliers.
Faits : en l'espèce, un preneur avait, par acte du 22 avril 1998, demandé le renouvellement de son bail commercial qui lui avait été consenti le 14 décembre 1989. Les bailleurs avaient assigné le locataire en acquisition de la clause résolutoire et subsidiairement en fixation d'un loyer déplafonné. Après avoir, le 11 mars 2003, conclu une transaction aux termes de laquelle le bailleur avait notamment renoncé à solliciter le bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire et accepté le renouvellement du bail pour neuf années à compter du 1er octobre 1998, en contrepartie de quoi le preneur avait accepté la fixation d'un loyer progressif par paliers, les parties ont signé, le 7 septembre 2006, un nouveau bail reprenant les termes de cet accord. Par acte du 22 février 2007, le bailleur avait délivré congé pour le 30 septembre 2007 avec offre de renouvellement à compter du 1er octobre 2007. Les parties ne s'étant pas accordées sur le prix du bail renouvelé, le juge des loyers commerciaux a été saisi.
Les juges du fond avaient considéré que le prix du loyer du bail renouvelé devait être déplafonné au motif que la modalité de fixation du loyer par paliers dans le bail à renouveler, qui exclut la fixation d'un loyer de base, fait obstacle à l'application de la règle du plafonnement et impose d'apprécier le loyer lors du renouvellement à sa valeur locative. Le preneur s'est pourvu en cassation.
Observations : aux termes de l'article L. 145-34 du Code de commerce, le loyer en renouvellement du bail d'une durée qui n'est pas supérieure à neuf ans est, en principe, plafonné en fonction de la variation de l'indice national trimestriel mesurant le coût de la construction ou, s'ils sont applicables, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, sauf modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 du Code de commerce (N° Lexbase : L5761AI9) ou lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans. L'article L. 145-34 du Code de commerce ne précise pas le loyer de référence, c'est-à-dire le loyer qui doit être pris en considération pour calculer le montant du loyer plafonné.
La détermination du loyer de référence peut poser une difficulté lorsque les parties ont prévu une variation du loyer sur plusieurs années, soit qu'elles aient prévu un montant de loyer initial auquel des franchises s'appliqueront pendant un certain temps, soit qu'elles aient prévu un loyer augmentant par paliers pendant une certaine période.
S'agissant de la première hypothèse, consistant à fixer le loyer annuel à un certain montant et à prévoir une franchise dégressive les premières années, la Cour de cassation a précisé que le loyer à prendre en considération pour calculer le montant du loyer plafonné était le loyer annuel initial (Cass. civ. 3, 17 mai 2006, n° 05-11.685, FS-P+B N° Lexbase : A8611DPM).
S'agissant de la seconde hypothèse, soit un loyer dont les augmentations sont prévues à l'avance, les juges du fond avaient considéré dans l'espèce rapportée que la modalité de fixation du loyer par paliers dans le bail faisait obstacle à la règle du plafonnement en l'absence de fixation d'un loyer de base. Retenir une telle solution aurait conduit à admettre que les parties mettent à l'écart la règle du plafonnement en stipulant des loyers à paliers, ce qui était envisageable dès lors que le plafonnement n'est pas une règle d'ordre public et que les parties peuvent prévoir, dès la conclusion du bail, les modalités de fixation du loyer en renouvellement (Cass. civ. 3, 27 octobre 2004, n° 03-15.769, FS-P+B N° Lexbase : A7412DDU).
La Cour de cassation rejette toutefois ce raisonnement (voir déjà en ce sens, CA Paris, 12 octobre 2005, n° 04/12935 N° Lexbase : A7231DYH). Elle affirme, dans son arrêt du 6 mars 2013, non seulement que la fixation du loyer par paliers ne fait pas obstacle au plafonnement, mais également que le loyer de référence qui doit être pris en considération pour calculer le montant du loyer plafonné est le loyer initial acquitté par le preneur lors de la prise d'effet du bail à renouveler.
Les conséquences de cette décision sont favorables au preneur et corrélativement préjudiciables au bailleur si la valeur locative est supérieure au loyer plafond, dans la mesure où le loyer initial est inférieur au loyer que le preneur doit régler une fois le dernier palier atteint, ce qui pourra conduire, sauf motif de déplafonnement ou variation importante des indices à la hausse, à la fixation d'un loyer renouvelé inférieur au loyer annuel acquitté avant le renouvellement. Retenir le loyer initial pour calculer le montant du loyer plafonné peut paraître à cet égard peu conforme aux objectifs de la règle du plafonnement qui ne semble justifiable qu'autant qu'elle prend en compte dans sa globalité le prix que les parties ont entendu fixer.
En présence d'un loyer à paliers ou avec des abattements ou franchises, il est préférable, en tout état de cause, de prévoir dès la rédaction du bail quel loyer les parties entendent prendre en considération pour calculer le montant du loyer plafonné.
Il doit enfin être souligné que la fixation d'un loyer par paliers ne semble pas pouvoir constituer en elle-même un motif de déplafonnement dès lors que la modification du loyer en cours de bail a été prévu dès l'origine (CA Reims, 1ère ch. civ., 13 mars 2006, n° 04/01855 N° Lexbase : A6198DY9).
Solution : la prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce (N° Lexbase : L8519AID) n'est pas soumise à la contestation du droit du locataire au paiement d'une indemnité d'éviction et le délai de prescription, interrompu par la saisine aux fins d'expertise du juge des référés, recommence à courir à compter du prononcé de l'ordonnance désignant un expert.
Faits : en l'espèce, le propriétaire de locaux à usage commercial donnés à bail avait donné congé au preneur avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction pour le 29 septembre 2006. Par ordonnance du 27 octobre 2006, le juge des référés avait, à la demande du bailleur, désigné un expert pour évaluer le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation. Avant dépôt du rapport de l'expert, le 6 mai 2008, le bailleur avait assigné le preneur pour faire fixer le montant de l'indemnité d'occupation. Par conclusions du 26 février 2009, le locataire avait demandé reconventionnellement le paiement de l'indemnité d'éviction.
Les juges du fond ayant jugé prescrite l'action en paiement de l'indemnité d'éviction, le preneur s'est pourvu en cassation.
Observations : l'indemnité d'éviction est l'indemnité due, en principe, au locataire qui, pouvant prétendre à un droit au renouvellement, se voit refuser le renouvellement de son bail (C. com., art. L. 145-14 N° Lexbase : L5742AII). L'action en paiement de l'indemnité d'éviction étant fondée sur une disposition du statut des baux commerciaux, elle est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du Code de commerce. Il faut rappeler, à ce titre, qu'avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), et dans la mesure où le congé dans l'espèce rapportée avait été délivré avant cette date, qu'à cette prescription biennale s'ajoutait un délai de forclusion de deux années (C. com., art. L. 145-9, anc. N° Lexbase : L5737AIC et art. L. 145-10, anc. N° Lexbase : L5738AID).
La Cour de cassation avait cependant restreint le champ d'application de la forclusion de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction en l'excluant pour les congés qui, comme en l'espèce, portaient offre de payer une indemnité d'éviction (voir par exemple, Cass. civ. 3, 3 juillet 1984, n° 83-11.500 N° Lexbase : A0793AAM ; Cass. civ. 3, 29 septembre 1999, n° 97-21.171, publié N° Lexbase : A8140AGL). En présence d'un tel congé, l'action en paiement de l'indemnité d'éviction était soumise à la prescription biennale, même si, dans cette hypothèse, le droit du preneur à une indemnité d'éviction n'était pas contesté (Cass. civ. 3, 31 mai 2007, n° 06-12.907, FS-P+B N° Lexbase : A5133DWZ ; Cass. civ. 3, 8 juillet 2009, n° 08-13.962, FS-P+B N° Lexbase : A7288EIR, nos obs., De la prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction, Lexbase Hebdo n° 361 du 30 juillet 2009 - édition privée N° Lexbase : N1464BLS).
Il avait été jugé que l'assignation en référé tendant à faire désigner un expert aux fins d'évaluation du montant de l'indemnité d'éviction interrompait le délai de prescription de deux ans et qu'un nouveau délai de deux ans commençait à courir à compter de l'ordonnance de référé désignant l'expert (Cass. civ. 3, 8 juillet 2009, n° 08-13.962, FS-P+B, préc. ; Cass. civ. 3, 5 septembre 2012, n° 11-19.200, FS-P+B N° Lexbase : A3644ISR, nos obs. Référé-expertise et prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction, Lexbase Hebdo n° 310 du 27 septembre 2012 - édition affaires N° Lexbase : N3682BTK). Avant la réforme de la prescription en 2008, la Cour de cassation considérait, en effet, que l'effet interruptif résultant d'une action en justice se prolongeait jusqu'à ce que le litige trouve sa solution (Cass. civ. 1, 24 juin 1997, n° 95-15273, publié N° Lexbase : A6570AHS) et que l'instance introduite par une assignation qui ne tend qu'à l'organisation d'une mesure d'instruction en application de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49) trouvait sa solution par l'ordonnance de référé qui désigne l'expert judiciaire (Cass. civ. 3, 5 septembre 2012, n° 11-19.200, FS-P+B, préc. et les obs. préc.).
L'arrêt rapporté rappelle ces solutions : l'ordonnance de référé désignant l'expert judiciaire avait été rendue le 27 octobre 2006, faisant courir un nouveau délai de deux ans qui expirait le 27 octobre 2008, soit avant que le preneur effectue un acte susceptible d'interrompre la prescription, à savoir ses conclusions du 26 février 2009, dans lesquelles il a formé une demande reconventionnelle en paiement de l'indemnité d'éviction dans le cadre de l'instance en paiement de l'indemnité d'occupation introduite par le bailleur.
La Cour de cassation écarte donc l'argument du bailleur qui consistait à soutenir qu'en l'absence de signification de l'ordonnance de référé ayant désigné l'expert, l'effet interruptif de l'assignation s'était prolongé au-delà de cette ordonnance. Il est vrai qu'il avait été affirmé que "le délai d'appel et l'appel produisant un effet suspensif, l'interruption de prescription résultant de l'assignation subsiste après le jugement tant que celui-ci n'est pas devenu définitif" (Cass. civ. 2, 29 janv. 1992, n° 90-17.243 N° Lexbase : A3178ACP).
Le régime de la prescription en présence d'une mesure d'expertise a été modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile. Il résulte désormais de l'article 2239 du Code civil (N° Lexbase : L7224IAS), dans sa rédaction issue de cette réforme, que "la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès et le délai de prescription ne recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, qu'à compter du jour où la mesure a été exécutée". Ce nouveau texte n'est pas applicable lorsque l'ordonnance de référé a été rendue avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, même si le délai de prescription n'était pas expiré à cette dernière date (Cass. civ. 3, 5 septembre 2012, n° 11-19.200, FS-P+B, préc. et nos obs. préc.).
Solution : le bailleur ne peut réclamer au preneur le remboursement de travaux rendus nécessaires par un défaut d'entretien sans avoir sollicité préalablement une autorisation judiciaire pour exécuter ces travaux aux lieux et place du locataire.
Faits : en l'espèce, une société à donné à bail des locaux à usage commercial et d'habitation. Elle a assigné la société locataire en condamnation au paiement d'une certaine somme au titre de divers travaux qu'elle avait fait réaliser, en invoquant un manquement de la locataire à son obligation d'entretien de l'immeuble. La bailleresse, déboutée de ses demandes, a formé un pourvoi en cassation.
Observations : les parties au bail commercial sont libres de déterminer, dans une certaine limite, les réparations devant être effectuées ou dont le coût doit être pris en charge par le preneur (Cass. civ. 3, 14 décembre 1988, n° 87-12.636 N° Lexbase : A6761AHU ; Cass. civ. 3, 7 février 1978, n° 76-14214 N° Lexbase : A7236AG4).
En l'espèce, le bail prévoyait que le preneur "aura à sa charge toutes les réparations et réfection de quelque nature qu'elles soient, sans aucune exception, y compris même celles afférent à la toiture et aux gros murs et celles concernant le clos et le couvert". La jurisprudence reconnaît la licéité de telles clauses (Cass. civ. 3, 15 janvier 1971, n° 69-12.547 N° Lexbase : A6631AGP), même si elle y a apportée certaines limites (Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-14.631, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5449D9P). Le bail stipulait également, au paragraphe "impôts et charges", que le preneur était tenu de s'acquitter de "toutes charges même autre que celles prévues de telle sorte que le loyer soit net pour le propriétaire, sans aucune exception ni réserve". Le bailleur estimait que les travaux qu'il avait effectués incombaient au preneur aux termes de ces clauses.
Toutefois, l'article 1144 du Code civil (N° Lexbase : L1244ABP) dispose que "le créancier peut aussi, en cas d'inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur. Celui-ci peut être condamné à faire l'avance des sommes nécessaires à cette exécution".
Le bailleur a été débouté de sa demande de remboursement au motif qu'il ne disposait pas de cette autorisation préalable. En outre, le caractère nécessaire de certains travaux n'était pas établi.
La Cour de cassation rejette ainsi l'argumentation du bailleur qui consistait à soutenir que l'application d'une disposition contractuelle relative à la répartition des charges entre le propriétaire et le locataire serait indépendante de la mise en oeuvre de la faculté de remplacement édictée par l'article 1144 du code précité.
Il apparaît ainsi nécessaire, tant au bailleur qu'au preneur qui souhaiterait effectuer des travaux qu'il estime incomber à l'autre partie, d'obtenir préalablement une autorisation judiciaire d'effectuer ces travaux à ses frais avancés s'il entend obtenir ensuite le remboursement de ces derniers.
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