La lettre juridique n°527 du 16 mai 2013 : Éditorial

Un "Super procureur financier" : cet autre Grand inquisiteur des Frères Karamazov ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


L'instauration d'un "Super procureur financier", à la compétence nationale, gage d'efficacité contre la corruption, selon le Gouvernement, a de quoi faire grincer les dents des magistrats, soucieux d'une plus grande efficacité des institutions et services déjà présents et sceptiques sur une indépendance encore proclamée, mais toujours assujettie à la nomination gouvernementale. "La centralisation dans les mains d'un seul magistrat de l'ensemble des poursuites dans les dossiers nécessairement sensibles que constituent les atteintes à la probité en matière financière, est particulièrement inquiétante", peut-on entendre sur les bancs de certaines organisations représentatives de la magistrature... Un lecteur amoureux de Dostoïevski, et ils sont nombreux parmi les professionnels de la Justice, aurait tôt fait de versifier un poème à la fois absurde et philosophique pour montrer combien la Démocratie pourrait finir par "gêner" l'action de ce "Super procureur financier" et comment ce dernier aurait tout intérêt à l'enfermer pour qu'elle ne déjoue pas ses plans pour le "bonheur" de l'Humanité...

"Un préambule est nécessaire au point de vue littéraire" -pour ainsi paraphraser le Livre V des Frères Karamazov-. L'action se passe ainsi au XXVème siècle. A cette époque, il est alors d'usage de faire intervenir dans les logorrhées politiques les puissances et mânes de la République. En France, les gouvernants donnent ainsi des représentations télégéniques où l'on met en scène la vertu, la transparence, l'efficacité et la probité publiques. Ce sont des spectacles naïfs. Mais, c'est aussi l'époque de la plus terrible "Inquisition financière" ; chaque jour s'allument des bûchers à la gloire de la morale publique et, dans de superbes autodafés médiatiques, on brûle d'affreux hérétiques coupables tantôt de malversations ou d'abus de confiance, tantôt de détournements de fonds ou d'abus de faiblesse...

Un jour, la Démocratie se faisant chair descend vers les rues brûlantes de la ville, où justement, la veille, en présence de l'Autorité exécutive, de ses courtisans, de ses suiveurs et des officiers ministériels, le Super procureur financier a condamné une centaine d'hérétiques ad majorem Virtutis gloriam. Elle est apparue doucement, sans se faire remarquer, et -chose étrange- tous la reconnaissent, même dépourvue de son bonnet phrygien, et cachant ce sein que l'on ne saurait désormais voir en ces temps de chasteté politique. Attiré par une force irrésistible, le peuple se presse sur son passage et s'attache à ses pas. Le Grand inquisiteur de la morale publique et financière fronce ses épais sourcils et ses yeux brillent d'un éclat sinistre. Il la désigne alors du doigt et ordonne aux gardes de la saisir. Si grande est sa puissance et le peuple est tellement habitué à se soumettre, à lui obéir en tremblant, que la foule s'écarte devant les sbires ; au milieu d'un silence de mort, ceux-ci l'empoignent et l'emmènent, avant d'être condamnée à mourir le lendemain.

La nuit venue, le Magistrat suprême visite l'illustre prisonnière et lui explique les raisons de sa séquestration -privée désormais du soutien moral des Soeurs du Dépôt du palais de justice, elles qui avaient accompagné les prostituées de Bordeaux, puis qui avaient officié à Rennes, en centrale, auprès de femmes condamnées à de lourdes peines, et enfin à Paris-. Et, le Super procureur financier de soumettre la Démocratie, en personne, à la question : "C'est Toi, Toi ?" Ne recevant pas de réponse, il ajoute rapidement : "Ne dis rien, tais-toi. D'ailleurs, que pourrais-tu dire ? Je ne le sais que trop. Tu n'as pas le droit d'ajouter un mot à ce que tu as dit jadis au sein du Bloc constitutionnel. Pourquoi es-tu venue nous déranger ? Car tu nous déranges, tu le sais bien"...

"N'as-tu pas dit bien souvent : Je veux vous rendre libres' Eh bien ! Tu les a vus, les hommes libres'", ajoute le Magistrat d'un air sarcastique. "Oui, cela nous a coûté cher", poursuit-il en la regardant avec sévérité, "mais nous avons enfin achevé cette oeuvre en ton nom. Il nous a fallu quatre siècles de rude labeur pour instaurer la morale publique, gage de la liberté démocratique ; mais c'est fait, et bien fait. Tu ne le crois pas ? Tu me regardes avec douceur, sans même me faire l'honneur de t'indigner ? Mais sache que jamais les hommes ne se sont crus aussi empreints de probité qu'à présent, et pourtant, leur conscience politique, comme leur liberté, ils l'ont humblement déposée à nos pieds. Cela est notre oeuvre, à vrai dire ; est-ce la morale publique que tu rêvais ?"

Et, le Super procureur financier de se vanter d'avoir ainsi supprimé le libre arbitre entre le bien et le mal, condition de l'existence même d'une quelconque morale qu'elle soit publique ou privée, dans le dessein de rendre les hommes heureux, en traquant et condamnant sans relâche, ni clémence, au nom de l'ordre public, le plus petit écart à la transparence financière, au point d'annihiler tout esprit critique, toute conscience politique. "As-tu donc oublié que l'homme préfère la paix et même la mort à la liberté de discerner le bien et le mal ? Il n'y a rien de plus séduisant pour l'homme que le libre arbitre, mais aussi rien de plus douloureux. Et au lieu de droits, garanties et libertés solides qui eussent tranquillisé pour toujours la conscience humaine, tu as choisi des notions vagues, étranges, énigmatiques, sujettes à l'interprétation des Sages ; tout ce qui dépasse la force des hommes, et par là tu as agi comme si tu ne les aimais pas, toi, qui étais venue donner ta vie sur les barricades des Trois glorieuses, pour eux ! Tu voulais être librement aimée, volontairement suivie par les hommes charmés. Au lieu de la dure loi ancienne, l'homme devait désormais, d'un coeur libre, discerner le bien et le mal, n'ayant pour se guider que ton image, mais ne prévoyais-tu pas qu'il repousserait enfin et contesterait même ton image et ta vérité, étant accablé sous ce fardeau terrible : la liberté de choisir ? Ils s'écrieront enfin que la vérité n'était pas en toi, autrement tu ne les aurais pas laissés dans une incertitude aussi angoissante avec tant de soucis et de problèmes insolubles. Tu as ainsi préparé la ruine de ton royaume ; n'accuse donc personne de cette ruine. Cependant, était-ce là ce qu'on te proposait ? Il y a trois forces, les seules qui puissent subjuguer à jamais la conscience de ces faibles révoltés, ce sont : le miracle, le mystère, l'autorité ! Tu les as repoussées toutes trois, donnant ainsi un exemple. Tu as, d'abord, rejeté le miracle en t'attachant à la laicité de ton action ; puis exclu le mystère, en éclairant par la Raison et les Lumières tes lois fondamentales, ton corpus juridique et finalement l'ensemble des rapports sociaux ; enfin, tu es la contrariété vivante et étincelante du despotisme, même éclairé, de l'autocratie, même sacralisée". "Démocratie, tu es l'oraison funèbre de la solitude de mon action, de l'impérialisme de la morale à tous les étages de la vie publique, de la transparence castratrice du libre arbitre et de la conscience politique !"

"Aussi, jours après jours, depuis ce printemps français 2013 qui m'a vu naître, je me suis révolté pour ne plus servir une cause insensée. Je suis revenu me joindre à ceux qui ont corrigé ton oeuvre. J'ai quitté les fiers, je suis revenu aux humbles, pour faire leur bonheur. Ce que je te dis s'accomplira et notre empire s'édifiera. Je te le répète, demain, sur un signe de moi, tu verras ce troupeau docile apporter des charbons ardents au bûcher où tu monteras, pour être venu entraver notre oeuvre. Car si quelqu'un a mérité plus que tous le bûcher, c'est toi. Demain, je te brûlerai. Dixi"...

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