La lettre juridique n°527 du 16 mai 2013 : Pénal

[Jurisprudence] La médiation pénale, entre droit pénal et droit civil

Réf. : Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 02-13.672, F-P+B (N° Lexbase : A2728DBN)

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par Romain Ollard, Maître de conférences à l'université Montesquieu - Bordeaux IV, Institut de sciences criminelles et de la justice (ISCJ : EA 4601)

le 16 Mai 2013

Procédure reposant sur l'accord de tous les intéressés, parquet y compris, la médiation pénale, forme de réconciliation par le dialogue, participe d'une forme de "justice restaurative" au sein de laquelle les personnes concernées par une infraction, auteur et victime, décident ensemble de la réaction à apporter à l'infraction, sous le contrôle d'un tiers habilité par la Justice pénale (1). Objet de nombreux espoirs, invitant à repenser la manière de concevoir le procès pénal, la médiation pénale demeure, aujourd'hui encore, un "objet juridique mal identifié" (2), ce dont témoigne encore un arrêt récent du 10 avril 2013, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui qualifie expressément le contenu de la médiation pénale de transaction, soumise en tant que telle, indépendamment de ses conséquences pénales, au droit civil de l'exécution forcée. Le développement des alternatives aux poursuites. Nées de la pratique des parquets, qui ne voulaient pas se laisser enfermer dans l'option binaire entre poursuites et classement sans suite, les alternatives aux poursuites furent légalisées, à titre expérimental, par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 (N° Lexbase : L8015H3A). La loi n° 99-515 du 23 juin 1999, renforçant l'efficacité de la procédure pénale (N° Lexbase : L2004ATE), rationnalisa et institutionnalisa la figure des alternatives aux poursuites pénales en instituant notamment la médiation pénale et en créant la composition pénale. Ces procédures alternatives aux poursuites constituent donc désormais une "troisième voie", alternative, entre le classement sans suite "sec" et les poursuites, destinées à traiter les infractions d'une gravité relative sans saisir pour autant les tribunaux, déjà encombrés. Ces "circuits de dérivation", qui impliquent une forme de déjudiciarisation du droit pénal, ont pour point commun de reposer sur le consentement des parties et participent donc d'une certaine forme de justice pénale négociée. Essentiellement développées pour alléger la charge des tribunaux et permettant le cas échéant une indemnisation plus rapide des victimes, les alternatives aux poursuites ont connu ces dernières années un développement quantitatif considérable (3).

Les différentes procédures alternatives aux poursuites. Plusieurs procédures alternatives aux poursuites sont prévues aux articles 41-1 (N° Lexbase : L7207IMU) et 41-2 (N° Lexbase : L3348IQ3) du Code de procédure pénale qui peuvent être distinguées selon leur finalité et leur objet. Tandis que le premier texte comprend des mesures de type réparatrices, le second ne vise que la seule composition pénale qui comprend pour sa part des mesures exclusivement punitives (4).

Les mesures réparatrices de l'article 41-1. S'agissant des seules mesures réparatrices, le procureur de la République peut ainsi, aux termes de l'article 41-1 du Code de procédure pénale, préalablement à sa décision sur l'action publique, procéder à un "rappel à la loi" (1°) ; orienter l'auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, pouvant consister notamment dans l'accomplissement par l'auteur des faits, à ses frais, d'un stage ou d'une formation (2°) ; demander à l'auteur des faits de régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements (3°) ; lui demander à de réparer le dommage résultant des faits (4°) ; ou enfin faire procéder à une mission de médiation pénale entre l'auteur et la victime (5°).

Objet de la médiation pénale. Mesure phare de l'article 41-1 du Code de procédure pénale, puisée dans la pratique des procureurs qui l'avaient expérimenté grâce à la figure des classements sans suite sous condition, la médiation pénale, conduite sous l'égide d'un tiers -le médiateur du procureur (5)-, est envisagée lorsque les poursuites n'apparaissent pas, compte tenu des relations entre l'auteur et la victime, comme le meilleur moyen de prévenir la réitération de l'infraction. Quoique le texte n'en dise mot, le recours privilégié à la médiation pénale se situe en effet dans le domaine des relations suivies entre l'auteur et la victime, dans les rapports de famille, de voisinage ou de travail, notamment lorsque l'auteur et la victime sont amenés à se côtoyer après l'infraction, de sorte que la médiation consensuelle paraît préférable à des poursuites pénales qui crispent nécessairement les relations à venir.

Finalités et domaine de la médiation pénale. Aussi la médiation pénale a-t-elle un objet strictement défini quant à ses finalités. Comme les autres mesures prévues à l'article 41-1 du Code de procédure pénale, le procureur de la République peut y recourir s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits, ces différentes finalités n'étant plus désormais, depuis la loi du 23 juin 1999, cumulatives. Contrairement à la composition pénale dont le champ d'application est restreint aux seuls délits punis d'une peine d'emprisonnement n'excédant pas cinq ans ou à certaines contraventions, le domaine de la médiation pénale n'est nullement limité quant aux infractions. Toutefois, au regard des finalités énumérées par la loi, seules les infractions de gravité relative semblent pouvoir donner lieu à médiation, à l'exclusion des crimes, ainsi que semble venir le confirmer la pratique (6).

Issue de la médiation. Quant à l'issue de la médiation, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (N° Lexbase : L1768DP8) est venue légaliser une pratique consistant pour le procureur de la République ou le médiateur, en cas de réussite de la médiation, à en dresser procès-verbal, signé du procureur et des parties. Ce procès-verbal constitue en quelque sorte la charte des obligations devant être respectées par l'agent, charte qui conditionne la réussite ou l'échec de la médiation.

Succès de la médiation : exécution des mesures. Si l'article 41-1 du Code de procédure pénale érige la médiation en cause de suspension de l'action publique, cet article ne prévoit pas que la bonne exécution des mesures imposées à l'auteur des faits emporte extinction de l'action publique. D'ailleurs, ni la médiation pénale, ni les autres mesures prévues par l'article 41-1 ne sont visées par l'article 6 du code (N° Lexbase : L9881IQZ) parmi les causes d'extinction de l'action publique. En théorie, l'auteur n'est donc pas à l'abri de poursuites ultérieures pour les mêmes faits, ainsi qu'en témoigne un arrêt du 21 juin 2011 (7). Sans doute, l'exercice de poursuites ultérieures ne tombent-elles pas sous le coup de la règle non bis in idem dès lors que la médiation a une finalité réparatrice là où l'action publique vise au prononcé d'une peine (8). Il n'en demeure pas moins gênant qu'un individu puisse être poursuivi alors qu'il a consciencieusement accompli les obligations auxquelles il était astreint en vertu de la médiation ; malgré la finalité réparatrice des mesures, il y a là une distorsion avec le régime de la composition pénale peu justifiable, laquelle, si elle est exécutée, éteint l'action publique (9).

Echec de la médiation : non-exécution de la mesure. Assez fréquente à en croire les praticiens (10), l'inexécution des obligations définies par le procès-verbal de médiation génère une double réaction, à la fois civile et pénale.

Suites pénales de l'inexécution. Au plan pénal, la loi du 9 mars 2004 décide qu'en cas de non-exécution de la mesure en raison du comportement de l'auteur des faits, le procureur de la République, sauf élément nouveau, "met en oeuvre une composition pénale ou engage des poursuites". De la même manière qu'en cas de non respect des obligations afférentes à la mesure de composition pénale (11), pour laquelle le procureur est tenu de mettre en mouvement l'action, le pouvoir d'opportunité des poursuites est donc, ici aussi, bridé : pouvant seulement opter pour une composition pénale ou des poursuites, à l'exclusion d'un classement sans suite, le procureur de la République a une compétence liée pour sanctionner la non-exécution des mesures négociées. Décidée par le procureur "préalablement à sa décision sur l'action publique", la médiation pénale ne fait donc que "différer" les poursuites (12) en fonction de la réussite ou de l'échec de la mesure, échec pouvant être d'autant plus préjudiciable pour l'auteur des faits que les déclarations faites au cours de la médiation pourront être utilisées contre lui, la médiation postulant implicitement la culpabilité de l'agent (13).

Suites civiles de l'inexécution. Au plan civil, la loi du 9 mars 2004 a prévu, afin de garantir l'exécution des mesures de médiation, que si l'auteur s'est engagé à verser des dommages et intérêts à la victime, celle-ci peut, en se fondant sur le procès-verbal de médiation, en demander le recouvrement selon la procédure d'injonction de payer telle que prévue par le Code de procédure civile.

Décision du 10 avril 2013. C'est précisément dans ce contexte qu'est intervenu un arrêt du 10 avril 2013 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation (14). A la suite d'une plainte pour violences et extorsion de fonds déposée par une femme contre son concubin, ceux-ci avaient signé, à l'occasion d'une médiation pénale, un procès-verbal aux termes duquel, en contrepartie de la renonciation de la concubine à sa plainte, l'auteur des faits s'obligeait à lui verser une certaine somme, "toutes causes de préjudices confondues", à prendre en charge deux crédits bancaires et à annuler une reconnaissance de dette qu'elle lui avait consentie. Condamné en appel à exécuter l'ensemble de ses engagements, l'auteur des faits forma un pourvoi en cassation. Ce pourvoi est rejeté par la première chambre civile au motif que "le procès-verbal établi et signé à l'occasion d'une médiation pénale, qui contient les engagements de l'auteur des faits incriminés, pris envers sa victime en contrepartie de la renonciation de celle-ci à sa plainte et, le cas échéant, à une indemnisation intégrale, afin d'assurer la réparation des conséquences dommageables de l'infraction et d'en prévenir la réitération par le règlement des désaccords entre les parties, constitue une transaction qui, en dehors de toute procédure pénale, tend à régler tous les différends s'y trouvant compris et laisse au procureur de la République la libre appréciation des poursuites en considération du comportement du mis en cause". Inédite quant à la qualification de transaction retenue à l'endroit du contenu de la médiation pénale, cette décision est particulièrement digne d'intérêt, tant au regard du domaine de la médiation qu'au regard des conséquences -civiles et pénales- de l'inexécution des engagements en résultant.

Extension de l'objet de la médiation pénale au-delà de la seule réparation du dommage résultant des faits. En premier lieu, le demandeur au pourvoi faisait valoir que la médiation pénale ne peut contenir que le seul engagement de l'auteur de réparer le préjudice résultant de l'infraction de sorte qu'en retenant que la mesure pouvait avoir pour objet des actes totalement étrangers à l'infraction (annulation d'une reconnaissance de dettes antérieure aux faits, prise en charge de divers crédits), la cour d'appel aurait violé l'article 41-1 du Code de procédure pénale. Quoi que pertinent en apparence, l'argument n'en était pas moins pas moins voué à l'échec en ce qu'il procédait d'une confusion entre deux mesures prévues par l'article 41-1 du code, la médiation pénale (5°), d'une part, et la réparation du dommage résultant des faits (4°), d'autre part. En effet, si cette dernière mesure implique une réparation pécuniaire des conséquences de l'infraction par l'auteur, ce qui postule un lien de corrélation entre la somme remise à la victime et les faits commis ("réparer le dommage résultant des faits"), l'objet de la médiation pénale est plus large, pouvant consister aussi bien en une satisfaction matérielle qu'en une satisfaction morale de la victime (15). Aussi bien, cette extension de l'objet de la médiation pénale au-delà de la seule réparation du dommage résultant des faits apparaît conforme aux finalités dégagées par l'article 41-1 du Code de procédure pénale puisque si la mesure peut avoir pour objet d'assurer la réparation du dommage causé à la victime ou de mettre fin au trouble résultant de l'infraction, elle peut encore "contribuer au reclassement de l'auteur des faits", ces différentes finalités n'étant plus cumulatives. Or, l'engagement à des actes étrangers à l'infraction, comme tel était le cas en l'espèce, peut parfaitement, sinon réparer les conséquences de l'infraction, du moins participer du reclassement de l'auteur des faits. Ainsi comprend-t-on que la Chambre criminelle ait pris le soin de préciser que la médiation avait pour objet en l'espèce d'assurer non seulement la réparation des conséquences dommageables de l'infraction mais encore d'en prévenir la réitération par le règlement des désaccords entre les parties.

La dualité de régime de la médiation pénale. En second lieu, et c'est là l'apport essentiel de la solution, la Cour de cassation qualifie expressément les engagements, contenus dans le procès-verbal de médiation, de transaction au sens de l'article 2044 du Code civil, soumise en tant que telle aux règles du droit civil de l'exécution. L'intérêt de la qualification de transaction est considérable car si la loi du 9 mars 2004 prévoit que la victime peut demander le recouvrement des dommages et intérêts consentis dans la médiation selon la procédure d'injonction de payer telle que prévue par le Code de procédure civile, cette procédure est inapte à garantir l'exécution des engagements autres que des dommages et intérêts. La qualification de transaction permet ainsi de garantir l'exécution de toutes les mesures de médiation, qu'il s'agisse de dommages et intérêts ou, comme en l'espèce, d'engagements de nature différente. La médiation pénale emporte ainsi deux sortes de conséquences autonomes, les unes de nature pénale relative à l'action publique, les autres de nature civile justifiant l'exécution forcée de la transaction en découlant. Du point de vue de l'action publique d'une part, la médiation pénale "laisse au procureur de la République la libre appréciation des poursuites en considération du comportement du mis en cause" ; du point de vue du droit civil, le contenu de la médiation pénale est qualifié de transaction dotée d'une force obligatoire en vertu de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), qui "en dehors de toute procédure pénale", tend à régler tous les différends s'y trouvant compris, justifiant l'exécution forcée de la transaction. Ainsi en l'espèce, indépendamment de la décision du procureur de la République quant à l'exercice de l'action publique, la cour d'appel pouvait-elle décider de condamner l'auteur des faits à exécuter la transaction dès lors qu'il n'avait pas justifié s'être libéré de ses engagements ni n'avait établi que la victime y eût renoncé.

Garanties procédurales et justice négociée. L'espèce invite implicitement à s'interroger sur le point de savoir si la médiation pénale, qui peut emporter des conséquences pécuniaires importantes, est entourée de garanties suffisantes, en l'absence d'intervention juridictionnelle, que ce soit quant à l'exercice des droits de la défense ou quant à l'intégrité du consentement de celui à qui est proposé une mesure de médiation pénale sous la menace de l'exercice de l'action publique. Car si la justice négociée peut être vue comme un progrès, c'est à la double condition que les droits de la défense soient garantis et que la volonté de ceux qui s'engagent soit libre et éclairée. Plus largement, c'est l'ensemble de ce mouvement de "contractualisation" de la Justice pénale qui peut laisser songeur en ce qu'il conduit à une "déjuridictionnalisation" de la réponse pénale : que l'on songe par exemple au développement de la composition pénale -qui fait certes intervenir un juge pour homologation, mais qui ne fait bien souvent qu'entériner la mesure- ou à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui éclipse purement et simplement la compétence du tribunal correctionnel ; et même lorsque ce dernier est saisi, ce peut être au moyen de procédures simplifiées, telle que l'ordonnance pénale, se déroulant hors de toute audience publique, orale et contradictoire. Si ces différentes procédures continuent d'organiser une réponse pénale aux faits constitutifs d'infractions, c'est au prix d'un glissement sensible d'un traitement juridictionnel des infractions vers un traitement judiciaire de la délinquance, bref au prix d'un changement de nature de la réponse pénale (16).


(1) J. Pradel, Procédure pénale, Cujas, 16ème éd., 2011, n° 595.
(2) E. Dreyer, La médiation pénale, objet juridique mal identifié, JCP éd. G, 2008, I, 131.
(3) Tandis qu'en 1998, les procédures alternatives aux poursuites s'élevaient à 3,6 % des affaires traitées, elles atteignaient 37,5 % des affaires en 2009, in Les chiffres clés de la Justice, Ministère de la Justice, 1998, 2010.
(4) S. Guinchard, J. Buisson, Procédure pénale, Lexis-Nexis, 7ème éd., 2011, n° 1455.
(5) C. pr. pén., art. R. 15-33-30 (N° Lexbase : L7341A4N).
(6) S. Guinchard, J. Buisson, op. cit., n° 1469.
(7) Cass. crim., 21 juin 2011, n° 11-80.003, F-P+B (N° Lexbase : A5150HUB), Bull. crim. n° 141.
(8) C. pr. pén., art. 1er (N° Lexbase : L9909IQ3).
(9) C. pr. pén., art. 41-2, al. 9 (N° Lexbase : L3348IQ3).
(10) Le taux d'inexécution serait d'environ 45 % (chiffre cité par J. Pradel, op. cit., n° 595).
(11) C. pr. pén., art. 41-2, al. 6.
(12) S. Guinchard, J. Buisson, op. cit., n° 1468.
(13) Cass. crim., 12 mai 2004, n° 03-82.098, FS-P+F (N° Lexbase : A5247DCC), Bull. crim. n° 121.
(14) Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 02-13.672, F-P+B (N° Lexbase : A2728DBN).
(15) S. Guinchard, J. Buisson, op. cit., n° 1464.
(16) F. Fourment, Procédure pénale, Larcier, 13ème éd., 2012, n° 321. Adde, F. Debove, La justice pénale instantanée, entre miracles et mirages, DP, 2006, Etude 19, p. 4.

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