Réf. : Cass. soc., 24 avril 2013, jonction, n° 12-10.219 et n° 12-10.196, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5202KCN)
Lecture: 9 min
N7016BTZ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 16 Mai 2013
Résumé
Le principe d'égalité de traitement ne s'oppose pas à ce que l'employeur fasse bénéficier, par engagement unilatéral, les salariés engagés postérieurement à la dénonciation d'un accord collectif d'avantages identiques à ceux dont bénéficient, au titre des avantages individuels acquis, les salariés engagés antérieurement à la dénonciation de l'accord. Les avantages individuels acquis et le complément de rémunération ne faisant pas partie, dans l'accord instituant une rémunération annuelle minimale conventionnelle, des éléments exclus de l'assiette de comparaison pour déterminer cette rémunération, il n'y a pas lieu de les en exclure. |
I - Egalité de traitement et situation des salariés postérieurement à la dénonciation de l'accord d'entreprise
Situation du problème. La dénonciation de l'accord d'entreprise laisse aux partenaires sociaux un délai d'un an, à l'expiration du préavis, pour conclure un nouvel accord qui se substituera à l'ancien, à défaut de quoi les salariés conserveront le bénéfice des avantages individuels acquis sur la base de l'accord dénoncé (1).
Les salariés présents à l'effectif avant l'expiration du délai de préavis se retrouvent dans une situation relativement privilégiée par rapport à ceux qui ont été embauchés après puisqu'ils bénéficieront, de manière concurrente, des avantages individuels acquis sur le fondement de leur ancien statut et de ceux qui résultent du statut collectif en vigueur dans leur nouvelle entreprise (2).
La Cour de cassation a considéré que le maintien de ces avantages ne portait pas atteinte au principe "à travail égal, salaire égal", dans la mesure où les salariés concernés n'étaient pas placés dans la même situation, au regard de l'avantage concerné qui a pour objet de compenser les préjudices résultant de la perte des droits conventionnels (3).
Du désir d'harmonisation "par le haut" postérieur au transfert. Cette situation n'est pas des plus simples à gérer pour l'employeur car les salariés qui ne bénéficient pas du maintien de ces avantages conventionnels, peuvent en éprouver une certaine amertume dans la mesure où ils accomplissent, dans la nouvelle entreprise, le même travail, mais pour un "salaire" moindre. Dans la loi "Aubry II" (loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 N° Lexbase : L0988AH3), le législateur avait d'ailleurs considéré que tous les salariés de l'entreprise devaient percevoir un salaire minimum d'un même montant, dès lors qu'ils travaillaient tous 35 heures par semaine sur un emploi équivalent, ce qui avait eu pour conséquence de généraliser le maintien du Smic "39 heures" pour les salariés les moins payés, et ce quelle que soit leur date d'embauche (4).
C'est dire si l'employeur peut avoir intérêt à harmoniser le traitement de ses salariés au plus vite pour éviter que ne s'instaure un climat social délétère. Il peut alors décider d'une harmonisation "par le bas" en concluant un accord de remplacement qui supprime les avantages (mais quel syndicat prendrait le risque de signer un tel accord ?), au risque d'entrer en conflit avec les anciens salariés, ou "par le haut" en faisant bénéficier l'ensemble des salariés des avantages qui, jusque là, ne profitaient qu'à certains. Ce faisant, et de manière assez surprenante, il risque de se trouver en but à l'hostilité des salariés dont les avantages ont été maintenus et qui pourront considérer avoir perdu un "privilège"...
C'est précisément à cette question que répond cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 24 avril 2013.
L'affaire. Il s'agissait ici de salariés de la caisse d'épargne d'Auvergne et du Limousin qui avaient bénéficié du maintien d'avantages individuels acquis après la dénonciation des accords applicables dans leur caisse et l'échec des négociations de remplacement. Un nouvel accord avait été conclu ultérieurement qui instaurait une rémunération annuelle minimale. Cet accord avait été complété par deux engagements unilatéraux collectifs par lesquels la caisse d'épargne s'engageait à maintenir les modalités d'évolution de la gratification de fin d'année, devenue un avantage individuel acquis, prévues par l'accord dénoncé (5), et, à accorder aux salariés engagés postérieurement une prime de treizième mois répondant aux mêmes conditions d'ouverture, de calcul et de règlement.
Les salariés bénéficiant du maintien de la prime de treizième mois, au titre des avantages individuels acquis, avaient alors considéré qu'ils devaient également bénéficier de l'avantages accordé aux nouveaux arrivants et saisi la juridiction prud'homale en ce sens. Ils avaient été déboutés de leurs demandes, ce que confirme le rejet du pourvoi sur ce point.
La solution. Pour la Cour de cassation, en effet, "le principe d'égalité de traitement ne s'oppose pas à ce que l'employeur fasse bénéficier, par engagement unilatéral, les salariés engagés postérieurement à la dénonciation d'un accord collectif d'avantages identiques à ceux dont bénéficient, au titre des avantages individuels acquis, les salariés engagés antérieurement à la dénonciation de l'accord".
Cette solution, inédite, doit être approuvée.
Une solution justifiée. La solution retenue pourrait à première vue surprendre et sembler paradoxale, puisque la Cour de cassation avait, par ailleurs, affirmé que l'application de la règle du maintien des avantages individuels acquis ne portait pas atteinte au principe d'égalité salariale, les salariés qui bénéficiaient de l'accord avant sa dénonciation ne se trouvant pas dans la même situation que ceux qui ont été embauchés postérieurement (6). Or, on sait qu'une inégalité de traitement peut résulter soit du fait de traiter différemment des personnes placées dans une même situation, soit de traiter de la même manière des personnes placées dans des situations différentes (7). Dès lors, en traitant de la même manière l'ensemble des salariés de l'entreprise, sans tenir compte du fait qu'ils sont placés dans une situation différente, on pourrait croire que l'employeur porte atteinte au principe d'égalité de traitement.
L'analogie ainsi suggérée est toutefois trompeuse.
Le propre d'un principe est, en effet, d'avoir vocation à s'appliquer lorsqu'il n'existe aucun motif d'y déroger (8). Dire qu'il existe dans l'entreprise un principe d'égalité de traitement impose donc de rechercher l'égalité en droits, toutes les fois que celle-ci est possible, et de n'admettre d'exceptions que dans des cas strictement limités.
Lorsqu'il s'est agi de déterminer si l'application de la règle du maintien des avantages individuels acquis pouvait justifier une dérogation au principe d'égalité, une réponse positive a été donnée compte tenu du fait qu'il s'agissait ici de compenser le préjudice causé aux salariés par la dénonciation, ou la mise en cause, de leur statut collectif. Dans ce cas, un avantage était exceptionnellement maintenu, les salariés n'en bénéficiant pas n'ayant pas vocation à en profiter compte tenu de leur situation personnelle au sein de l'entreprise (9).
Mais en prévoyant le même avantage au bénéfice de l'ensemble des salariés de l'entreprise, l'employeur cherche non pas à priver les anciens salariés d'un droit, qu'ils conservent, mais à rétablir l'égalité de traitement en conférant un même droit à l'ensemble du personnel. Comme l'avait d'ailleurs observé justement la cour d'appel, le fait de reconnaître aux nouveaux salariés la prime de treizième mois ne privait pas les anciens d'un droit, dont ils bénéficiaient déjà, et qui, présentant le même objet et la même cause, ne pouvait se cumuler. Il en irait bien entendu différemment si l'employeur reconnaissait aux nouveaux salariés une autre prime, ayant un autre objet et une autre cause, car dans cette hypothèse la mise à l'écart des "anciens" salariés ne pourrait être justifiée, la jurisprudence refusant, pour le moment, de raisonner globalement lorsqu'elle compare le traitement réservé aux salariés de l'entreprise.
II - Détermination des sommes entrant dans l'assiette d'un minimum conventionnel
Situation du problème. Les partenaires sociaux peuvent mettre en place une rémunération minimum conventionnelle, soit mensuelle, soit annuelle. Dès lors qu'elle est supérieure au Smic, cette rémunération minimum peut être constituée des éléments que les partenaires sociaux décident d'y intégrer.
Deux pratiques peuvent être observées.
Certains accords énumèrent tout d'abord les composantes de la rémunération qui entrent dans l'assiette ; dès lors, tout ce qui n'est pas visé doit être payé en sus de ce minimum (10).
D'autres préfèrent poser comme principe que toutes les sommes versées au salarié entrent dans l'assiette du minimum, à l'exclusion de celles qu'ils énumèrent ; dans cette hypothèse, tout ce qui n'est pas exclu doit être intégré dans les sommes composant le minimum (11).
Quel que soit le cas de figure, et dès lors que le respect du Smic n'est pas en cause, la jurisprudence veille à ce que les intentions des partenaires sociaux soient respectées et que le principe conventionnel posé (exclusion ou inclusion de principe dans l'assiette) soit appliqué.
C'est ce que confirme également cet arrêt.
L'affaire. L'article 2 de l'accord collectif national de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance sur la rémunération annuelle minimale du 11 décembre 2003, dont l'application était ici en cause, prévoit que "la rémunération brute annuelle, en dehors des sommes éventuellement versées au titre de la participation, de l'intéressement ou de la part variable de chaque salarié à temps complet, doit être au moins égale à la rémunération brute annuelle minimale du niveau de classification de l'emploi occupé".
Les salariés avaient considéré que leur prime conventionnelle de treizième mois ne devait pas être prise en compte pour la vérification du respect de la rémunération minimum conventionnelle dans la mesure où elle qui ne sont pas la "contrepartie directe de la prestation de travail", et avaient obtenu gain de cause en appel.
L'arrêt est logiquement cassé dans la mesure où il ne s'agissait pas ici de vérifier le respect du Smic par l'employeur, mais seulement celui du minimum conventionnel que les partenaires sociaux sont libres de mettre en place, d'en déterminer le montant et les sommes qui doivent être prises en compte pour vérifier son respect.
Dans la mesure où l'accord en cause avait opté pour une énumération des sommes exclues de l'assiette, il convenait donc de faire masse de toutes les autres sommes perçues, même si ces dernières doivent être exclues en cas de vérification du Smic.
Les turbulences ayant affecté l'assiette du Smic ces derniers mois (12) n'ont donc aucune incidence sur cette jurisprudence ancienne, et constante.
(1) C. trav., art. L. 2261-10 (N° Lexbase : L3731IBS).
(2) Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-44.454, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7753ERL), v. nos obs., Cession d'entreprise et détermination des accords applicables aux salariés : la Cour de cassation fait la leçon, Lexbase Hebdo n° 384 du 25 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2474BNX) ; D., 2010, Actualité jurisprudentielle, p. 586, note L. Perrin ; JCP éd. S, 2010, n° 1171, p. 29, note A. Martinon ; RLDA, 2010, n° 2834, p. 50, note F. Canut.
(3) Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 03-15.258, FS-D (N° Lexbase : A0211DGW), Dr. soc., 2005, p. 323, obs. Ch. Radé ; D., 2005, p. 323, note A. Bugada. Sur ces questions notre ouvrage, Discriminations et inégalités de traitement dans l'entreprise, éditions Liaisons, coll. Droit vivant, 232 p., 2011, sp. n° 286 s..
(4) V. notre chron., Smic et réduction du temps de travail : la politique des petits pas, Dr. soc., 1999, pp. 986-995.
(5) On sait, en effet, que si le montant de la rémunération constitue un avantage individuel acquis, les règles de révision et de progression sont des avantages collectifs qui ne sont pas maintenus : Cass. soc., 12 février 1991, n° 89-45.314, publié (N° Lexbase : A4265AA9), Bull. civ. V, n° 62 ; Cass. soc., 22 avril 1992, n° 88-40.921, publié (N° Lexbase : A1512AAA), Bull. civ. V, n° 296 ; Cass. soc., 24 novembre 1992, n° 89-20.427, publié (N° Lexbase : A4674ABQ), Bull. civ. V, n° 567 ; Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-44.712, FS-P+B (N° Lexbase : A2927DGI), Bull. civ. V, n° 32.
(6) Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 03-15.258, FS-D, préc..
(7) V. notre ouvrage préc., n° 19.
(8) Que ce motif d'y déroger soit d'ailleurs le même motif qui trouve à s'exprimer de manière plus satisfaisante dans l'exception que dans le principe (d'où l'adage "l'exception confirme la règle"), soit qu'il s'agisse d'un autre motif à la légitimité supérieure.
(9) Cette situation tenant à la date de leur engagement, postérieure à la date où la dénonciation de l'accord devient effective. La même règle vaut en cas de mise en cause d'un accord pour les salariés embauchés postérieurement à la cession de l'entreprise.
(10) Cass. soc., 22 mai 2001, n° 98-45.645, publié (N° Lexbase : A4880ATW), Dr. soc., 2001, p. 766, et nos obs..
(11) Cass. soc., 7 mai 2002 , n° 00-40.354, publié (N° Lexbase : A6077AYQ), Dr. soc., 2002, p. 776, et les obs..
(12) Dernièrement Cass. soc., 14 novembre 2012, n° 11-14.862, FS-P+B (N° Lexbase : A0339IXT), v. nos obs., Assiette du Smic : vers le grand chambardement ?, Lexbase Hebdo n° 507 du 29 novembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N4628BTL).
Décision
Cass. soc., 24 avril 2013, jonction, n° 12-10.219 et n° 12-10.196, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5202KCN) Cassation partielle sans renvoi (CA Riom, 8 novembre 2011, n° 10/03316 N° Lexbase : A0077H4M) Textes visés et principes concernés : principe d'égalité de traitement, article 2 de l'accord collectif national de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance sur la rémunération annuelle minimale du 11 décembre 2003 Mots-clés : égalité de traitement, rémunération annuelle minimale Liens base : (N° Lexbase : E2385ETI) |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:437016