Lecture: 5 min
N6878BTW
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
A priori, on ne peut guère dire que l'acquisition ou la souscription à une documentation juridique corresponde à "un mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l'acquisition de biens superflus, par goût de l'ostentation et du plus grand bien-être" -pour reprendre la définition usuelle du "luxe" inscrite au Petit Robert-. Pour autant, même si ce service professionnel n'a pas le glamour d'un parfum ou d'une crème de soins, le clinquant d'un vêtement original ou la précision d'une montre suisse, la documentation juridique présente les caractéristiques communes aux produits de luxe : la qualité, la rareté, le prix et le superflu.
Lorsque l'on pense "luxe", l'on pense indéniablement "qualité" : d'abord, parce que c'est l'essence d'un produit de luxe, même si ce n'est pas nécessairement sa téléologie ; mais surtout parce que, sans cette qualité, il est difficile d'en justifier, ne serait-ce que psychologiquement, le prix. Pour la documentation juridique professionnelle, c'est la même chose : c'est sa supériorité technique qualitative et technologique qui la distingue des informations de masse qui envahissent la toile ou les pages "pratiques" des journaux et magazines populaires. Le professionnalisme de l'édition requiert une qualité scientifique consacrée par des comités d'auteurs plus prestigieux les uns que les autres, et une réactivité de l'information que seule permet une équipe rédactionnelle qualifiée et aux aguets. L'internalisation de telles ressources est, évidemment, à proscrire et n'aurait aucun sens économique : c'est la mutualisation de la documentation juridique qui permet justement la richesse des contenus et de l'information.
Si "nul n'est censé ignorer la loi", la complexité de nos régimes juridiques aux allures byzantines, la diversité de leur interprétation selon la qualité des professionnels (professeurs, avocats, notaires, juristes...) et les localités en cause obligent l'accès à une documentation plus diserte en matière de sources brutes, plus originale en matière de doctrine. Il est patent de constater combien l'accès aux décisions des juridictions du fond n'était pas fondamental pour les professionnels du droit, il y a encore quelques années ; et, combien l'accès à ce fonds de documentation s'est développé comme une traînée de poudre et est devenu indispensable après que l'ensemble des éditeurs ait adhéré à sa diffusion -quand l'offre crée la demande-. La rareté, élément central de l'identité du luxe, est également un oripeau de la documentation juridique. Chaque éditeur mise sur l'originalité de ses contenus, engageant les signatures les plus reconnues ou des investissements de plus en plus conséquents pour l'acquisition de nouvelles sources du droit. Là encore, la qualité et la rareté justifient l'existence de la documentation juridique professionnelle, quand elles n'arrivent pas toujours à justifier son prix...
Le prix, justement : quand on pense "luxe", on pense tout de suite "cher". Est-ce pour autant inexorable, compte tenu de la qualité et de la rareté de l'information juridique ainsi publiée ? Bien entendu, en la matière, comme pour tous les produits de luxe, il faut prendre en compte la valeur imaginaire du service de documentation ainsi proposé. Et, pour reprendre la sociologie du luxe, il est étrange -pour ne pas dire consternant- de constater combien la marque d'un éditeur séculaire peut demander un prix d'autant plus élevé que sa valeur symbolique est plus forte... Pensant "bien le valoir", c'est avec toute la légitimité emprunte de candeur, que les "grands" éditeurs assoient, sans sourciller, leurs prix élevés. Pour autant, sans ce prix conséquent, la documentation juridique rare et de qualité n'existerait-elle pas ?
A n'en pas douter, la documentation juridique est un produit superflu pour la grande majorité des gens : elle n'est pas indispensable aux besoins ordinaires de la vie. Pour un professionnel du droit, la chose est, bien entendu, moins évidente : mais on apprendra, au détour d'un colloque, à la lecture régulière des forums spécialisés, ou en effectuant ses recherches par l'intermédiaire d'un moteur universel, que le web recèle des trésors de gratuité. Légifrance est le site de documentation professionnelle le plus consulté par les juristes gaulois de tout acabit. Et, les Hauts responsables des professions du droit d'implorer le Gouvernement de maintenir la qualité et la gratuité de ses services... Sur la toile, se multiplient des sites d'information juridique plus commerciaux qu'éditoriaux, des blogs de ces mêmes professeurs offrant parallèlement leur savoir aux éditeurs professionnels -sans le moindre conflit d'intérêts, par ailleurs-, etc.. Par conséquent, aux abords d'une information juridique gratuite foisonnante, est-il permis de penser que l'achat ou la souscription à une documentation juridique professionnelle pourrait passer pour... "superflu" ?
Tout étudiant en marketing sait que, ordinairement, lorsque le produit est jugé trop cher, le client cherchera un produit de substitution ; et l'acte d'achat aura lieu uniquement si le produit est irremplaçable. A l'inverse, lorsque le produit est jugé trop bon marché, il véhiculera une mauvaise image quant à sa qualité. Et, souvent le client partira avec un mauvais a priori sur le produit et sur la marque.
D'abord, il n'est aucune documentation juridique qui ne soit irremplaçable, si ce n'est dans l'esprit des lobbyistes de l'édition, c'est-à-dire ceux qui défendent leurs intérêts catégoriels. Nombre de prescripteurs obligent à penser en "rouge" ou en "bleu", quand il existe trois couleurs primaires ! Et, justement, l'offre de substitution n'a jamais été aussi importante qu'aujourd'hui : aussi, penser l'offre documentaire juridique comme au temps du Moniteur présente une certaine gageure...
Ensuite, s'il n'est pas meilleur marché que la gratuité, on s'interrogera effectivement sur la qualité scientifique et la réactivité informationnelle des "éditeurs du dimanche". Mais, la documentation juridique n'a pas besoin d'être chère pour être de qualité scientifique et proposer des contenus originaux et des sources rares -et parfois même pertinentes !-.
Le tout est de trouver un éditeur au comité d'auteurs digne des plus vieilles maisons d'édition, à la pointe de la réactivité et de l'originalité fonctionnelle, en quête de nouvelles sources d'information juridique, respectant le "périmètre du droit" et mutualisant, au plus grand nombre, l'accès à ses contenus...
Trouver et promouvoir cet éditeur, ce n'est pas faire de la documentation juridique un produit de masse, c'est partager les vertus du "luxe" au nom de "l'égalité des armes" et mutualiser ses vices au nom de la solidarité professionnelle. Il en va de la documentation juridique comme de la formation professionnelle... Alors, oui, la documentation juridique professionnelle est un produit de luxe, mais rien ne justifie, si ce n'est les pressions catégorielles exercées, qu'elle ne soit pas accessible à tous les professionnels du droit.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:436878