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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
le 27 Mars 2014
Durant deux heures, les responsables des deux commissions ouvertes, Maître Michèle Jaudel, pour la médiation, et Maître Nathalie Tisseyre-Boinet, pour le droit collaboratif et la procédure participative, ont présenté ces deux processus, et ont répondu au travers de leurs interventions à la question de savoir si ces deux modes alternatifs de résolution des conflits (MARC) étaient convergents ou antagonistes.
Les intervenantes ont d'abord présenté brièvement ces deux modes alternatifs de résolution des conflits et ont mis en avant leurs spécificités.
Descriptif de la médiation, du droit collaboratif et de la procédure participative.
La médiation est un processus structuré dans lequel deux parties au moins avec l'aide d'un tiers neutre, impartial, indépendant, diligent et compétent, se réapproprient leur litige en vue de trouver ensemble une solution à leur conflit ; et ce en dehors d'une décision judiciaire qui trancherait le litige soumis à la juridiction.
Le droit collaboratif, quant à lui, est une pratique plus récente que la médiation. Ce processus a été créé par un avocat américain. Dans le cadre d'une convention préalable, les avocats travaillent ensemble avec toutes les parties afin de les réunir pour trouver, comme en médiation, la meilleure solution pour résoudre leur litige. Il est important de préciser que les avocats qui pratiquent ce processus doivent y être spécifiquement formés puisque des techniques particulières sont utilisées, notamment la technique de la négociation raisonnée. De plus, et c'est là pour Nathalie Tisseyre-Boinet le paradoxe de l'avocat collaboratif, si le processus n'aboutit pas à un accord et que les parties décident d'aller au contentieux, les avocats doivent se retirer du dossier.
En France, le principe du droit collaboratif a été traduit par la procédure participative, qui a été insérée dans le Code civil par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (N° Lexbase : L9762INU) et par le décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012 (N° Lexbase : L8264IRI). Si elle a pour origine le droit collaboratif, elle s'en distingue. En effet, les avocats n'ont pas à être spécifiquement formés et n'ont pas l'obligation de se retirer à la fin du processus si les parties décidaient de saisir le juge. En procédure participative, la loi prévoit deux temps : une étape conventionnelle pour trouver un accord amiable et une étape contentieuse si la première n'aboutissait pas.
Michèle Jaudel a tenu également à préciser que dans la médiation, seul le tiers, le médiateur, est obligatoirement formé. Le tiers est formé pour encadrer le processus, à la différence du droit collaboratif et de la procédure participative. N'y a-t-il pas une formidable opportunité pour le barreau de Paris de former aussi ses avocats à devenir des praticiens de la médiation à côté de leurs clients, s'interroge Maître Jaudel ?
Virginie Martins de Nobrega a ensuite invité ses consoeurs à mettre en avant, ce qui pour elles, sont les convergences de ces deux processus.
Convergences et ressemblances. Pour Nathalie Tisseyre-Boinet, dans les deux cas, sont utilisés les mêmes outils, notamment la négociation raisonnée. C'est une technique extrêmement performante pour amener les parties vers un accord. De même, les techniques de communication sont identiques. Dans les deux cas, insiste-t-elle, il s'agit de modes alternatifs de règlement des conflits. Les ressemblances sont donc manifestes. Michèle Jaudel souscrit parfaitement à ces énonciations. La modernité de cet outil permet d'avancer dans des délais très serrés. Et également, et parce qu'il s'agit d'un MARC, la possibilité est ouverte de chercher une solution adaptée à la question posée, contrairement au contentieux dont le règlement est enfermé, limité par le cadre de la demande formulée par le demandeur. En médiation tout comme en droit collaboratif, il est possible de sortir des points de droit du litige pour trouver une solution originale adaptée aux réels besoins des parties.
Incompatibilités ? Virginie Martins de Nobrega se demande tout de même s'il n'y a pas d'incompatibilités puisque en médiation, il y a un tiers au service des deux parties tandis qu'en droit collaboratif, il y a un avocat au service de son client. Pour Nathalie Tisseyre-Boinet c'est en effet un exercice délicat. En droit collaboratif, l'avocat doit rester au service de son client tout en travaillant avec l'autre partie, ce qui nécessite impérativement une formation spécifique permettant ce "grand écart". L'avocat reste le conseil de son client mais travaille en équipe : il défend les intérêts de son client, mais dans l'intérêt de tous. Michèle Jaudel souligne que, dans le processus de médiation, partie et avocat sont également à l'écoute des besoins de l'autre partie et que le moment de basculement du processus de médiation est un moment fort en direction de la solution lorsque les parties constatent qu'elles sont d'accord sur leur désaccord.
La forme de débat adoptée pour cette réunion a permis une grande interaction avec la salle, qui fut très vite intéressée par la question cruciale pour un avocat de la confidentialité des échanges dans ces deux MARC. Les intervenantes ont été invitées à s'exprimer sur ce point important.
Confidentialité. En droit collaboratif, la confidentialité est préservée grâce à la convention établie entre les parties dès le début du processus. C'est aussi pour préserver cette confidentialité que les avocats participant à un processus collaboratif doivent se retirer du dossier si l'affaire passe en contentieux. De plus, Nathalie Tisseyre-Boinet précise bien que la communication des pièces ne se fait pas au sens où on l'entend habituellement : les pièces sont posées sur la table et non photocopiées et remises à l'autre partie. Enfin, le cas échéant, certaines pièces "communiquées" peuvent être estampillées "Confidentiel - droit collaboratif". Ainsi, le juge n'est pas censé les recevoir. Michèle Jaudel apporte une information importante en précisant que tant dans le contrat collaboratif que dans le contrat de médiation, des clauses pénales peuvent être prévues afin de garantir le respect de la clause de confidentialité. Le rôle de l'avocat est ici très important, car il décidera des pièces à apporter au débat en fonction de leur impact sur la tournure de la résolution du litige (cf. techniques de négociation : préparation de la Meilleure solution de rechange (Mesore) ou de la Best alternative to a negociated agreement (Batna)). Il appartient aux avocats de jongler entre leur position et les conséquences juridiques et financières en cas de contentieux, et la recherche de justice négociée et apaisée favorisant la poursuite de la relation, éventuellement dans d'autres conditions, ou à tout le moins le "démêlement du noeud".
La lettre d'usage. La question se pose de modifier les lettres d'usage pour inviter les clients à recourir à un processus participatif ou collaboratif. Et Michèle Jaudel rappelle qu'il entre dans la déontologie de l'avocat d'informer le client de toutes les possibilités qui s'offrent à lui pour résoudre un conflit.
La liste des avocats. Il devrait y avoir, selon les participants à cette réunion, une liste des avocats pratiquant la médiation, le droit collaboratif et la procédure participative : cette liste pourrait être élaborée sous certaines conditions et selon certains critères. Nathalie Tisseyre-Boinet a d'ailleurs précisé que Madame Le Bâtonnier a chargé la Commission ouverte Droit collaboratif et procédure participative de centraliser cette liste pour le barreau de Paris.
Partant de ce rôle important de l'avocat dans la gestion de la confidentialité, Virginie Martins de Nobrega a invité ses consoeurs à exposer ce qui, selon elles, permettait de savoir si lorsque le client expose son cas, les MARC étaient une vraie alternative. Elle leur a également demandé de préciser, selon elles, quels étaient les critères pour choisir entre les différents modes alternatifs de règlement des conflits.
Comment savoir quel processus choisir ? Selon Nathalie Tisseyre-Boinet, il faut parler de "Justice participative". Les clients viennent voir les avocats car ils ont un problème, et pas nécessairement parce qu'ils veulent aller au contentieux. Pour aider un client, il convient de lui présenter toutes les façons de travailler sur un dossier : la médiation, la conciliation, le droit collaboratif, la procédure participative et le contentieux. Pour Michèle Jaudel également, il y a toute la partie du litige exprimée par le client, mais il peut y avoir d'autres raisons cachées liées à ce litige. Toutes ces raisons cachées influencent nécessairement les données juridiques le jour où le client expose son affaire à l'avocat. Dans le cadre d'une médiation ou d'un autre MARC, ces éléments cachés peuvent être mis à jour et permettre ainsi de traiter tout le conflit, et trouver une solution mieux adaptée.
Enfin, les deux intervenantes soulignent le fait que, dans le cadre de son devoir de conseil, l'avocat doit informer son client de toute la palette d'outils qui s'offre à lui pour régler un litige ou un conflit.
Il faut aussi prendre en compte tous les aspects du litige et les conséquences qu'il peut avoir quant au lien social qui peut se trouver rompu. L'avocat se doit de tout prendre en compte et de tout présenter à son client, lequel choisira le mode de règlement du litige en toute connaissance de cause.
Après avoir abordé les aspects théoriques de ces deux MARC, Virginie Martins de Nobrega a invité Nathalie Tisseyre-Boinet et Michèle Jaudel à parler des honoraires et de la pratique de facturation.
Les honoraires. En médiation, il y a le coût de l'avocat et celui du médiateur. Les honoraires du médiateur sont pris en charge, en général, par moitié par les deux parties. Il peut tout à fait être convenu entre les parties, dès le début de la médiation ou à l'occasion de l'élaboration de l'accord de médiation, que la charge des honoraires du médiateur sera répartie différemment entre elles et pouvant aller jusqu'à la prise en charge de la totalité par une seule. Selon Michèle Jaudel, en général, les honoraires ne sont pas très importants. En moyenne, une médiation conventionnelle coûte entre 3 000 et 5 000 euros, soit entre 1 500 et 2 500 euros par partie. Pour la médiation judiciaire, les tarifs sont fixés par chaque juridiction. Au niveau des honoraires, la pratique possible, tout comme dans un contentieux, est d'établir une convention d'honoraires avec son client en amont avec négociation d'un honoraire de résultat.
En droit collaboratif, les choses diffèrent un peu. L'avocat accompagne son client tout au long d'un protocole qui est réellement "ficelé". Il y a des réunions préalables, des entretiens avec l'avocat de l'autre partie, des réunions à quatre. En fait, les honoraires dans le cadre d'un processus collaboratif se règlent à l'heure. Et le nombre d'heures est assez important. Mais chaque heure est passée main dans la main avec le client. Le client ne cesse de voir la progression de son dossier et il ne peut pas y avoir de contestation d'honoraires. L'avocat percevra 100 % du travail qu'il aura effectivement fait dans le dossier. Pour ce qui est de la facturation, l'avocat en droit collaboratif peut faire une facturation mensuelle ou une facturation dès lors qu'un certain quota d'heures a été dépassé.
En guise de clôture de la séance, Virginie Martins de Nobrega avait demandé à ses consoeurs quels sont les trois mots qui caractérisent le plus ces deux processus de résolution des conflits. Performance, appropriation, pragmatisme, fut leur réponse commune.
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