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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 18 Avril 2013
Outre ces raisons conjoncturelles motivant le nouveau traitement des intérêts, il existe des raisons structurelles. Il s'agit de la différence de traitement des dividendes par rapport aux intérêts. En effet, il existe une asymétrie au niveau de l'entreprise et des investisseurs. Ainsi, alors que la déduction des intérêts est (était) totale, les dividendes ne constituent pas des charges pour l'entreprise. D'un autre côté, les intérêts reçus sont totalement imposables, alors qu'ils ne le sont qu'en partie dans le sein des associés. Ces deux règles expliquent pourquoi les entreprises ont eu beaucoup plus facilement recours au financement externe. Pourtant, cette dichotomie ne correspond plus au monde des affaires, qui a recours à une analyse de plus en plus fonctionnelle. Les créanciers et les associés supportent tous deux le risque de l'entreprise. Cela explique, notamment, la création d'instruments financiers hybrides.
La règle fiscale devrait être neutre et ne pas appliquer un traitement fiscal différent selon que le capital est apporté, mis en réserve ou prêté. Aujourd'hui, la fiscalité influence le système de financement des entreprises. Aucun pays n'a encore traité ce problème à la source. Or, ce système ne favorise pas la sécurité juridique, puisque la France a mis en place son huitième dispositif de limitation de la déduction des intérêts cette année.
Quelles sont les solutions globales qui pourraient s'appliquer ? En Allemagne, dont le système a été repris par la France, le régime de non-déductibilité des dividendes a été partiellement étendu aux intérêts. Cette solution est imparfaite. De plus, elle devait s'accompagner d'une diminution de l'assiette de l'IS, en contrepartie, mais cette dernière ne semble pas à l'ordre du jour. En Belgique, en Italie et au Brésil, il est fait appel à une fiction fiscale, l'"intérêt notionnel". Il s'agit d'un intérêt fiscalement déductible, qui correspond aux capitaux propres de l'entreprise. Il n'est pas possible de déduire plus que son montant. Mais cela revient à imposer des profits théoriques. Or, l'expérience montre que ces profits théoriques (les intérêts non déductibles) proviennent d'opérations sur les actifs incorporels. Ainsi, ces dernières sont découragées. D'autres idées ont été mises en avant, par exemple, la limitation de la déductibilité au prorata de la part des titres dont les revenus sont exonérés en application du régime mère/fille. Ce système propose de créer un lien entre un produit exonéré et une non-déductibilité. Ou encore, le système prévu par le projet "ACCIS" n'applique pas de mécanisme anti-sous-capitalisation, et permet une déduction totale à partir du moment où les intérêts versés sont reçus par une entreprise située dans un Etat dont le taux d'imposition n'est pas inférieur à 40 % de la moyenne des taux d'IS en Union européenne. Enfin, la dernière idée émergée vise à combiner la non-déductibilité partielle des intérêts et une approche fondée sur le taux d'intérêt notionnel.
Malgré ces propositions, la plupart des Etats n'a pas réglé le fond du problème avec une vue d'ensemble suffisante.
D'après les observateurs, le régime français de déductibilité des intérêts serait l'un des plus favorables de l'Union européenne. La France a réagi, en instituant, par le biais de la loi de finances initiale pour 2013, deux nouveaux textes.
Les textes applicables en la matière sont les suivants :
- CGI, art. 39, I, 3° (N° Lexbase : L3894IAH). Ce dispositif, le plus ancien créé dans le CGI, prévoit que les intérêts stipulés ne doivent pas excéder un taux limite, dont le taux était, fin 2012, de 3,39 % ;
- CGI, art. 209, IX (N° Lexbase : L0159IWS). Le dispositif "Carrez" prévoit une réintégration d'une quote-part des intérêts en cas d'acquisition de titres d'une société étrangère par une société française, sur ordre d'une autre société étrangère. Cette règle tente de mettre fin à l'utilisation des sociétés françaises comme véhicule d'investissement ;
- CGI, art. 212, I (N° Lexbase : L5196IRU). Cette disposition institue un taux limite des intérêts versés entre sociétés liées ;
- CGI, art. 212, II. Le dispositif de sous-capitalisation, avec ses trois ratios, s'applique depuis le 31 décembre 2010 aux intérêts rémunérant des prêts effectués ou garantis par des entreprises liées ;
- CGI, art. 212 bis (nouveau) (N° Lexbase : L0040IWE). Cet article crée une limitation globale des intérêts dans les sociétés qui ne font pas partie d'une intégration fiscale. Ainsi, si la somme des intérêts à déduire dépasse trois millions d'euros, 15 % de leur montant est réintégré au résultat imposable de la société débitrice. A partir de 2014, ce pourcentage est augmenté à 25 % ;
- CGI, art. 223 B bis (nouveau) (N° Lexbase : L0041IWG). La limitation globale des intérêts s'applique aussi aux sociétés faisant partie d'une intégration fiscale. Le seuil des trois millions d'euros s'apprécie au niveau du groupe.
- CGI, art. 223 B, alinéa 7 (N° Lexbase : L9519ITQ). L'amendement "Charasse" s'applique en cas de rachat par soi-même de titres, permettant à une société cible d'intégrer un groupe fiscalement intégré ;
- CGI, art. 223 B, alinéas 14 à 19. Le dispositif de sous-capitalisation est applicable dans les groupes soumis à intégration fiscale.
Le terme de "charges financières" est plus large que les seuls "intérêts", puisqu'il englobe les pertes de change, certains loyers, etc.. Une référence est faite aux comptes 66 du PCG.
Focus sur l'amendement "Carrez"
Une instruction fiscale du 30 novembre 2012 précise le nouveau dispositif "Carrez" (CGI, art. 209, IX ; lire N° Lexbase : N4778BT7 ; voir le BoFip - Impôts N° Lexbase : X0061AM9). Une société française soumise à l'IS, ou tout établissement stable d'une société étrangère, précise l'administration, doit dorénavant prouver qu'il est le centre de décision autonome à l'origine duquel l'acquisition des titres d'une société étrangère a été actée. La preuve se fait par tout moyen. La société doit donc prouver que la décision vient bien d'elle-même, et aussi qu'elle a tout pouvoir sur les titres. Concernant cette dernière preuve, l'instruction précise que les conventions d'inaliénabilité conclues avec les banques ne prouvent pas le contraire. Quid des pactes d'actionnaires ?
Lorsque le niveau de participation acquis permet le contrôle de la société étrangère, il est nécessaire de démontrer que la société française détentrice des titres est bien celle qui contrôle la filiale. Attention, cette notion de contrôle est indépendante de celle donnée par l'article L. 223-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L3174DY9), lequel prévoit que le contrôle est acquis lorsqu'une entité détient 40 % des titres d'une autre.
Les sociétés françaises doivent donc établir une véritable documentation visant à démontrer qu'elles sont le centre de décision autonome.
Trois exceptions sont prévues. Ainsi, il n'est pas nécessaire d'apporter ces preuves lorsque :
- le montant total de la participation n'excède pas un million d'euros ;
- le financement ne s'est pas opéré via un emprunt souscrit par la société ou une autre société du groupe (il est cependant très difficile de démontrer que, sur la totalité des emprunts souscrits par une société, aucun des montants prêtés n'a été affecté à l'acquisition des titres) ;
- le ratio d'endettement consolidé est supérieur au ratio individuel.
Si la société française ne parvient pas à démontrer qu'elle est le centre de décision autonome, un dispositif proche de celui de l'amendement "Charasse" s'applique : une quote-part de la dette financière est non-déductible sur neuf ans, ou plutôt sur l'exercice N et les huit exercices suivants. Cela signifie que, pour les titres acquis entre le 1er janvier 2005 et le 1er janvier 2012, et alors même que le dispositif n'avait pas été adopté, les sociétés françaises doivent apporter la démonstration qu'elles constituent un centre de décision autonome, sur les acquisitions opérées les huit années précédentes, dans la limite des deux dates susmentionnées.
Focus sur la limitation générale de déductibilité des charges financières
Les deux nouveaux articles intégrés par la loi de finances pour 2013, c'est-à-dire les articles 212 bis et 223 B bis du CGI s'appliquent à toute société soumise à l'IS et à toute société de personne pour la quote-part des revenus distribués à des associés soumis à l'IS. L'article 212 bis du CGI concerne les sociétés hors intégration fiscale, l'article 223 B bis du CGI les sociétés fiscalement intégrées.
Les charges financières dont la déductibilité est globalement limitée sont les charges nettes, c'est-à-dire les charges brutes auxquelles sont ajoutés les produits bruts. La définition de ces notions s'effectue par renvoi au PCG (comptes 66 pour les charges, comptes 76 pour les produits).
Le projet d'instruction (voir N° Lexbase : N6469BTR), aujourd'hui soumis à consultation publique, précise les charges et les produits pris en compte. Les charges concernées ne sont pas limitées aux seuls apports de fonds consentis à l'entreprise, mais correspondent à toute créance rémunérée par des intérêts ou assimilés. Sont toutefois exclues, les prestations annexes à la mise à disposition des sommes. Les charges nettes sur cession de valeurs mobilières, les escomptes commerciaux, les pertes de change sur créance liées à des participations et les pertes de change déliées des participations n'entrent pas dans le champ des charges concernées par le dispositif. Les charges auxquelles le dispositif est applicable sont celles comprises dans les sous-comptes 661 à 668, à l'exclusion des sous-comptes 664 à 667. Pour les produits, il s'agit de l'ensemble des intérêts ou assimilés rémunérant des sommes laissées à la disposition de l'entreprise. Les dividendes, quel que soit leur traitement comptable, les escomptes commerciaux et les pertes de change sont exclus. Au niveau comptable, les produits à prendre en compte sont ceux des sous-comptes 761 à 768, à l'exclusion des sous-comptes 764 à 767, ainsi que le sous-compte 7621.
Trois cas particuliers doivent être soulignés : le crédit-bail, la location avec option d'achat et la location de biens mobiliers entre entreprises liées. La charge financière se calcule ainsi : loyer - amortissement linéaire (ou financier dans certains cas) - frais et prestations accessoires. Cette formule de calcul s'applique chez le locataire (pour la charge) et chez le bailleur (pour le produit).
Le dispositif de limitation générale de la déductibilité des intérêts prévoit que 15 % des intérêts doivent être réintégrés au résultat imposable de l'entreprise, si leur montant total dépasse trois millions d'euros. A partir du 1er janvier 2014, ce pourcentage passe à 25 %. L'administration précise qu'il n'est pas tenu compte des régimes de limitation des articles 212 et 209, IX du CGI pour le calcul de ce montant.
Concernant l'ordre d'application des régimes, l'intention du législateur est d'appliquer, en premier lieu, les dispositifs les plus spécifiques. Dans le projet d'instruction de l'administration, l'ordre d'application est le suivant :
L'article 223 B bis du CGI prévoit l'application du régime de limitation générale de la déductibilité des intérêts au sein des groupes de sociétés. Lors de la détermination du résultat individuel, il est fait application de l'article 212 bis. Ensuite, il est fait masse des charges financières nettes ainsi calculées, afin de déterminer l'assiette de réintégration forfaitaire. Il est à noter que le calcul de la participation des salariés s'effectue sur le résultat individuel, il est donc indispensable d'appliquer l'article 212 bis du CGI dans un premier temps.
L'ordre d'application des régimes est, selon le projet d'instruction de l'administration fiscale, le suivant :
Au fil des textes, et de plus en plus, l'opportunité de constituer une intégration fiscale est remise en cause, et le périmètre d'intégration doit faire l'objet d'un pilotage toujours plus serré.
Lorsque la question de la constitution d'un groupe fiscalement intégré se pose, il faut d'abord regarder les résultats des entités pouvant le constituer, afin de calculer l'économie fiscale qui pourrait naître de la compensation des résultats positifs et négatifs des éventuelles filiales.
L'avantage de l'intégration fiscale est qu'elle évite les frottements fiscaux, en cas de cession d'immobilisation, de distribution de dividendes, de transactions courantes, d'aides intragroupe, etc..
L'intégration fiscale est favorable en matière de contribution additionnelle à l'IS de 3 %, car elle ne concerne pas les PME et les groupes intégrés.
Toutefois, l'intégration fiscale est aussi défavorable, notamment parce que les seuils, qui sont les mêmes que pour une société isolée, sont évalués au niveau du groupe.
Ainsi, en matière de CVAE, le taux de 1,5 % s'applique si le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions d'euros. En-dessous de ce montant, un dispositif de dégrèvement est prévu. Ce seuil s'apprécie au niveau de la société en dehors de l'intégration fiscale, mais aussi au groupe intégré.
En matière de contribution exceptionnelle de 5 % sur l'IS, le dispositif est réservé aux entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 250 millions d'euros, ce montant étant apprécié au niveau du groupe, le cas échéant.
Dans le cadre de l'article 223 B bis du CGI, la limite de trois millions d'euros, qui permet de déterminer si les intérêts seront totalement ou partiellement déductibles, s'apprécie encore au niveau du groupe.
Enfin, la contribution sociale sur les bénéfices s'applique au taux de 3,3 %, avec un abattement de 763 000 euros applicable à chaque société hors intégration fiscale, mais à tout le groupe si une intégration fiscale est constituée.
La constitution d'un groupe fiscalement intégré est donc de moins en moins favorable.
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