Le Quotidien du 5 janvier 2022 : Mineurs

[Focus] Les tests osseux dans le contentieux de l’âge des migrants : les limites de l’utilisation judiciaire de la preuve scientifique

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N9722BYQ

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[Focus] Les tests osseux dans le contentieux de l’âge des migrants : les limites de l’utilisation judiciaire de la preuve scientifique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/76658410-0
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par Elise Roumeau, Docteur en droit, ATER en droit privé et sciences criminelles, Chercheur associé au Centre Michel de l’Hospital (EA 4232), Université Clermont Auvergne

le 04 Janvier 2022


Mots-clés : mineur • mineur étranger • preuve de l’âge • preuve scientifique • expertise biologique • test osseux • assistance éducative • Défenseur des droits • intérêt supérieur de l’enfant


 

« Le juge a toujours douté et doit refuser d'être la bouche juridique de l'expert qui délivre la preuve scientifique. Certes il peut être pris de vertige devant le gouffre du paradoxe logique qui l'oblige à douter pour parvenir à une certitude. Pour ce faire, les modes de preuve, surtout scientifiques ne doivent pas lui faire abdiquer son libre arbitre ou l'endormir par l'illusion d'un progrès constant » [1].

Il est des situations dans lesquelles les éléments de l’état civil d’un individu sont contestés. C’est son identité même qui est mise en doute, l’obligeant à rapporter la preuve d’éléments constitutifs de sa personnalité. Mais, lorsque le doute porte sur la date de naissance d’un individu, la preuve de l’âge peut s’avérer délicate. La preuve juridique de l’âge d’une personne est établie en principe par le biais d’actes d’état civil. Leur absence ou leur défaut de validité peut donc conduire le juge à rechercher dans d’autres données des éléments permettant de déterminer l’âge de l’individu. Cette situation existe notamment pour les migrants qui se présentent comme des mineurs non accompagnés et pour lesquels l’existence ou la véracité des éléments mentionnés dans les actes d’état civil fait défaut. Dès lors, des techniques scientifiques peuvent être mobilisées à des fins probatoires. Pourtant, en la matière, la faillibilité de la preuve scientifique est sans cesse rappelée. Le recours aux tests osseux est non seulement critiqué [2] du fait des questions éthiques [3] qu’il pose, mais également pour le manque de fiabilité des résultats obtenus [4]. Dans ce contexte, la légitimation du recours à un tel mode de preuve interroge.

Il faut rappeler que les enjeux de ce contentieux ne sont pas anodins. De l’âge d’un individu dépend notamment sa prise en charge par les services départementaux compétents en matière d’assistance éducative. Il est donc nécessaire de pouvoir établir si un migrant est un mineur ou non. Confrontés à l’absence d’actes d’état civil, ou à des documents dont la validité est mise en cause, les services d’aide à l’enfance doivent rechercher des éléments de preuve de l’âge de l’intéressé. La Cour européenne des droits de l’Homme a constaté que la situation de ces mineurs était particulièrement préoccupante et a rappelé « qu’au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention, les États parties sont tenus de protéger et de prendre en charge les mineurs étrangers non accompagnés »[5]. Dans l’affaire « Khan », la Cour a condamné la France faute d’une prise en charge satisfaisante de ces mineurs étrangers, considérant que le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention avait été atteint et qu’un traitement dégradant pouvait être identifié. Outre cette carence étatique, c’est surtout le rappel opéré quant à la situation du mineur étranger qui importe : les juges européens ont retenu que « la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal » [6], plaçant les mineurs étrangers non accompagnés, comme le requérant, dans la « catégorie des personnes les plus vulnérables de la société » [7]. Pour que les droits de l’Homme soient garantis, un climat suspicieux à l’égard de ces individus n’est évidemment pas approprié ; il s’agit avant tout de les protéger. Pourtant, à l’occasion de cet arrêt, certains ne s’étonnent malheureusement plus des condamnations de la France pour violation de l’article 3 de la Convention EDH [8]. La prise en charge des mineurs étrangers non accompagnés semble être un terrain propice à de tels constats de violation des droits et libertés fondamentales. Dans le cadre de l’affaire « Khan », les juges strasbourgeois ont observé que « les mineurs étrangers livrés à eux‑mêmes se trouvaient de surcroît exposés à divers dangers, dont celui de subir des violences physiques, y compris sexuelles » [9]. Cela témoigne encore de l’importance de la prise en charge de ces personnes. Pourtant, la contestation de l’âge allégué et de leur qualité de mineurs complexifie l’accès à des mesures de protection adaptées, fragilisant l’effectivité des droits et libertés fondamentales.

Teinté d’enjeux relevant des droits de l’Homme, le contentieux relatif à la détermination de l’âge des migrants témoigne du fait que la présomption d’authenticité des actes d’état civil établie par le droit se mue dans la pratique en une présomption de fraude, révélée par la systématisation du recours aux tests osseux. Pourtant, en la matière, la preuve scientifique doit être mobilisée avec une grande prudence, de manière subsidiaire (I) et sans jamais omettre la marge d’erreur existante (II).

I. La subsidiarité du recours à la preuve scientifique pour la détermination de l’âge des migrants

Pour prétendre au bénéfice des mesures d’assistance éducative prévues par l’article 375 du Code civil (N° Lexbase : L0243K77), l’intéressé doit être un mineur non émancipé, dont « la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger », ou dont « les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ». Il doit donc pouvoir justifier de sa minorité puisqu’il s’agit là d’un fait nécessaire au succès de sa prétention : selon l’article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D), c’est bien sur lui que pèse la charge de cette preuve. En principe, la preuve de la minorité devrait pouvoir être rapportée simplement grâce à l’acte d’état civil. L’article 47 du Code civil (N° Lexbase : L4366L7T) prévoit d’ailleurs que « tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Censés faire foi jusqu’à preuve du contraire, ces actes d’état civil devraient donc permettre aux mineurs étrangers de prouver leur âge pour bénéficier des mesures de protection prévues. Pourtant, cette présomption d’authenticité des actes d’état civil étrangers est fréquemment renversée par l’administration. La mise en doute de la fiabilité de ces documents oblige alors à rechercher d’autres éléments de preuve.

Le premier élément probatoire pouvant être mobilisé est prévu par les dispositions de l’article R. 221-11 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L0255LRU) qui dispose qu’ « au cours de la période d’accueil provisoire d’urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d’évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement ». Cette évaluation permet d’attester ou non de la minorité de l’individu. Toutefois, dans certaines situations, les conclusions de l’évaluation sociale ne sont pas probantes et le doute subsiste.

La question s’est alors posée de savoir si ce doute pouvait profiter au migrant. Dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 19 septembre 2019, les juges avaient à connaître d’un arrêt de la cour d’appel de Riom qui avait ordonné la mainlevée du placement de l’individu, au motif que sa minorité avait été mise en doute par la vérification de l’authenticité des documents d’état civil produits. Le demandeur invoquait l’article 388 du Code civil (N° Lexbase : L0260K7R) qui prévoit que le doute doit être favorable à l’intéressé. L’adage in dubio pro reo qui s’applique en matière pénale et rend le doute favorable à la personne poursuivie vaudrait-il également sur le plan civil lorsqu’il s’agit de prouver l’état des personnes ? En somme, comme il existe une présomption d’innocence en droit pénal, existerait-il une présomption de minorité favorable aux demandeurs de l’assistance éducative ?

Cet article 388 du Code civil traite de la détermination de l’âge des individus et de la preuve de la minorité pouvant être établie par le recours aux examens radiologiques osseux. Les juges du Quai de l’Horloge excluent une interprétation extensive de l’alinéa 3 de l’article 388 s’agissant des documents d’état civil et retiennent « que le principe selon lequel le doute profite à l’intéressé ne s’applique que lorsqu’un examen radiologique a été ordonné sur le fondement de l’article 388 du Code civil ».

Notons par ailleurs que ces tests sont subordonnés au consentement de l’intéressé : même bénigne, il s’agit d’une intervention sur la personne humaine qui ne peut être réalisée sans son accord [10]. Si ce consentement fait défaut, les résultats des tests ne peuvent être utilisés [11]. À la différence des examens biologiques réalisés dans le cadre d’une procédure judiciaire portant sur la recherche ou la contestation d’un lien de filiation, le refus du jeune migrant n’est pas censé être interprété comme une présomption de majorité. En effet, le Conseil constitutionnel précise la valeur qui peut être accordée à ce refus et affirme que « la majorité d’une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux » [12]. Le seul refus du jeune migrant de se soumettre à un examen radiographique osseux, à l’instar des conclusions dudit test lorsqu’il est réalisé, ne peut suffire à infirmer la minorité alléguée. Ce test ne doit donc s’inscrire que dans un ensemble probatoire plus général. Il ne constitue qu’ « un indice parmi d’autres » [13] et ne doit pas être le seul élément permettant au juge d’exclure la qualité de mineur de l’intéressé.

En matière d’expertise, le Code de procédure civile énonce la règle selon laquelle « le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien » [14]. La force probante des expertises est donc, en principe, librement appréciée par le juge. S’agissant de l’utilisation des examens radiographiques, les dispositions de l’article 388 du Code civil (N° Lexbase : L0260K7R) limitent toutefois la souveraineté du magistrat en la matière puisqu’il est précisé que le doute doit profiter à l’intéressé. Si le test osseux est réalisé et que le doute subsiste, la présomption de minorité doit s’appliquer. C’est la logique probatoire prévue par le droit positif qui commande une telle solution : si la présomption d’authenticité des actes d’état civil est renversée par l’administration, cela revient à douter de la minorité alléguée du jeune migrant. Mais, si aucun élément ne permet de démontrer sa majorité, l’intéressé doit pouvoir bénéficier des mesures de protection prévues pour les mineurs.

Ce mode de preuve scientifique est fréquemment mobilisé lorsque la présomption d’authenticité des actes d’état civil est renversée par l’administration. La décision du juge constitutionnel du 21 mars 2019, bien que rappelant l’importance de la subsidiarité de cet examen, ne semble pas avoir permis d’harmoniser la pratique judiciaire. Il est toujours possible de constater que « certains magistrats ordonnent immédiatement cet examen, quelle que soit la validité de l’acte d’état civil présenté » [15]. La présomption d’authenticité des actes d’état civil devient, dans les faits, une présomption de non‑authenticité de ces documents. Cela pourrait se traduire par la mise en exergue d’une présomption de majorité difficile à combattre alors que c’est la reconnaissance d’une véritable présomption de minorité [16] qui semble pourtant commandée par le respect de l’intérêt de l’enfant. Malgré la suspicion qui pèse sur les jeunes migrants, l’utilisation de la preuve scientifique doit être particulièrement précautionneuse tant elle ne peut pas toujours apporter de réponses certaines.

II. Une preuve scientifique incertaine pour la détermination de l’âge des migrants

Le Défenseur des droits a pointé du doigt la systématisation du recours au test osseux en la liant directement liée à une « présomption de non-authenticité des actes produits » [17]. D’autres institutions expriment leur opposition à la réalisation de ces tests osseux à des fins de détermination de l’âge. En 2016, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies avait fait part de sa préoccupation à l’égard de la « dépendance excessive vis-à-vis des tests osseux pour déterminer l’âge des migrants » [18] en France. Il avait recommandé non seulement une augmentation des ressources allouées à la protection de l’enfance, mais également de « mettre un terme à l’utilisation des tests osseux en tant que méthode principale de détermination de l’âge des enfants et de privilégier d’autres méthodes qui se sont avérées plus précises » [19]. Est notamment critiquée la référence à l’atlas des stades de maturité osseuse de Greulich et Pyle qui reposerait sur une « perception occidentalo-centrée de l’âge projeté » [20]. Selon certains, « les perspectives de mesures affinées des scanners, et la numérisation des logiciels de traitement des images offrent déjà à ces identifications chiffrées – et discrètes – un nouvel avenir » [21]. D’autres évoquent encore des méthodes épigénétiques qui sont étudiées pour « pallier les limites des tests osseux » [22].

La Commission nationale consultative des droits de l’Homme, quant à elle, exprime « sa ferme opposition au recours aux tests osseux ainsi qu’à tout examen physique pour conclure à la minorité ou à la majorité d’un jeune isolé étranger » [23] et « recommande de faire jouer la présomption de minorité » [24]. Plus encore, elle alerte sur les risques qui existent pour ces jeunes migrants en cas de refus de prise en charge par la protection de l’enfance : « la question de l’identité est d’autant plus cruciale pour les mineurs non accompagnés que, faute de protection de la part des autorités, comme le préconise l’article 20 de la CIDE (N° Lexbase : L6807BHL), ils sont la proie des réseaux de criminalité organisée, au premier chef la traite d’êtres humains. Or, leur droit à l’identité est compromis par le refus de prise en compte des documents d’état civil existants, souvent considérés comme des faux, ou encore de reconstitution des documents manquants ou perdus » [25]. L’enjeu est donc de taille pour ces jeunes migrants. Le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant commanderait une généralisation de la présomption de minorité pour éviter qu’un mineur se trouve indûment considéré comme un majeur et ainsi exclu du champ de la protection qui pourrait lui être apportée.

Dans la même veine, la Ligue des droits de l’Homme dénonce de manière répétée cet usage des tests osseux, rappelant leur marge d’erreur, les lourdes conséquences qu’un tel test emporte et l’importance de la prise en charge de ces jeunes individus qui bénéficie finalement à l’ensemble de la population [26]. C’est bien dans cette marge d’erreur que se cristallise l’essentielle de la contestation du recours à un tel mode de preuve. Lorsque l’âge de l’intéressé est très manifestement supérieur à 18 ans, le recours consenti à ce test ne suscite pas de véritable controverse. C’est plus spécifiquement lorsque l’évidence fait défaut que la critique s’amplifie. Une marge d’erreur pouvant aller jusqu’à deux ans [27] ne doit pas permettre d’exclure un individu du bénéfice des mesures de protection des mineurs si la majorité semble acquise depuis seulement quelques mois. La contestation de ces tests revêt également une dimension éthique comme en témoignent les réflexions entreprises par l’Espace de réflexion éthique de Normandie [28]. Le caractère quasi systématique du recours aux tests osseux y est encore souligné, à l’instar de la nature « très contestable » des conclusions des examens « si l’on se réfère à des critères scientifiques objectifs » qui priment pourtant parfois sur les autres éléments probatoires.

Les examens radiographiques osseux comportent une marge d’erreur [29] qui ne peut pas être passée sous silence. Compte tenu de son importance, le juge doit nécessairement en tenir compte pour apprécier la situation de l’intéressé et la mentionner dans sa décision [30]. Le juge doit prendre en considération d’autres éléments de preuve pour déterminer si le jeune migrant est majeur ou mineur et lui permettre de bénéficier ou non des mesures de protection de l’enfance. L’infirmation de jugements en appel permet de constater que certains magistrats se prêtent à des manipulations des mécanismes probatoires contraires à l’objectif de protection des mineurs. Ainsi la cour d’appel de Douai [31] a notamment infirmé un jugement rendu par le juge des enfants de Lille [32] qui prononçait un non-lieu à assistance éducative au motif que l’expertise médicale avait situé l’âge de l’intéressé à 19 ans. D’une part, l’expertise osseuse n’était pas justifiée, faute de document permettant de contredire l’acte de naissance légalisé produit. D’autre part, la marge d’erreur n’était pas suffisamment prise en compte par le juge. En seconde instance, le juge replace les mécanismes probatoires à leur juste place en énonçant alors « que ce présupposé sur l’âge de l’intéressé s’ajoute à l’absence de fiabilité de la simple et succincte radiographie osseuse du poignet ainsi pratiquée, en sorte que ce seul examen radiologique ne permet pas de combattre des documents d’état civil authentiques, tel que le passeport en l’espèce ». D’autres affaires permettent de souligner les discordances dans l’appréciation de la situation des intéressés. Tel est notamment le cas d’un jeune guinéen dont la majorité a été constatée par la cour d’appel de Rennes, tandis qu’elle était infirmée par la cour administrative d’appel de Nantes à la même période. Ce dernier avait présenté un extrait d’acte de naissance pour justifier son âge. Le juge judiciaire a néanmoins mis en doute la véracité des informations produites, justifiant ainsi la réalisation d’un examen médical qui conclut à un âge d’au moins 18 ans en novembre 2012 pour refuser la mise en place d’une mesure de protection. Dans le même temps, le juge administratif annule l’OQTF [33] prise à l’encontre de ce jeune migrant au motif que celui-ci était mineur au moment de la décision. Bien qu’une expertise médicale réalisée en décembre 2012 ait conclu à un âge physiologique de plus de 18 ans, l’authenticité du passeport du requérant n’est pas contestée et ce document atteste de sa minorité en avril 2013.

Le climat de suspicion qui irrigue la politique migratoire conduit à une manipulation des présomptions prévues par le droit. Plus généralement, c’est le droit de la preuve qui est mis à mal. Profitant de cette « présomption de fraude liée au contexte global de suspicion à l’égard des jeunes migrants » [34], l’administration, censée supporter la charge de la preuve de l’irrégularité de l’acte d’état civil, ne démontre pas le caractère irrégulier ou non conforme à la réalité. La contestation systématique de la validité des actes d’état civil conduit finalement à présumer la majorité des intéressés. Dans ce contexte, favorisé par des notes ministérielles [35] contraires à la protection des mineurs, le caractère subsidiaire du recours au test osseux n’est plus vraiment. Le Conseil d’État a considéré qu’une note qui « préconise l’émission d’un avis défavorable pour toute analyse d’acte de naissance guinéen » [36] ne constitue pas une méconnaissance des dispositions de l’article 47 du Code civil (N° Lexbase : L4366L7T) puisqu’elle n’interdit pas de procéder à l’examen des demandes formulées et d’y faire droit [37]. Toutefois, les logiques d’une telle note et de l’article 47 du Code civil – qui énonce que l’acte d’état civil fait à l’étranger fait foi – s’opposent. Les juges de la cour d’appel de Douai ont toutefois affirmé que « les jeunes guinéens qui présentent des actes d’état civil ne peuvent être pénalisés par les dysfonctionnements de leur pays au niveau de leur état civil et qu’il n’est pas possible d’écarter systématiquement les actes d’état civil qu’ils pouvaient présenter au motif d’une fraude généralisée » [38].

Dans les faits, la substitution d’une présomption de fraude à la présomption d’authenticité des actes d’état civil conduit à ce que des examens radiographiques soient fréquemment réalisés chez les jeunes migrants afin de disposer d’un nouvel élément de preuve de leur âge. L’article 388 du Code civil prévoit, en effet, qu’un tel examen peut être réalisé « en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable ». Regardée comme une présomption‑concept [39], cette présomption de fraude traduit « l’existence d’un parti pris venant pré-orienter le raisonnement judiciaire » [40]. En présumant que lesdits documents d’identité ne sont pas valables, l’administration ne supporte plus vraiment la charge de la preuve qui pesait initialement sur elle. Cela lui permet de justifier la réalisation des tests osseux. La logique censée guider la présomption d’authenticité des actes d’état civil est alors totalement renversée.

Il convient enfin de rappeler la finalité des tests osseux mentionnée par le juge constitutionnel dans sa décision du 21 mars 2019 [41] relative à l’article 388 du Code civil. Le recours à ces examens constitue un élément de preuve de l’âge du migrant qui doit servir la protection de l’intérêt de l’enfant. Une protection qui implique que « des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures » [42]. Si les mots ont un sens, la formule ici employée par le Conseil constitutionnel a son importance : contrairement à ce que certains parlementaires affirment [43], le contentieux relatif à l’âge des migrants est d’abord lié à la protection de ces mineurs. La situation des intéressés ne doit pas être inversée.

Conclusion

Imprécise, cette méthode de détermination de l’âge par les tests osseux ne peut être qu’un élément de preuve parmi d’autres, pas un mode de preuve déterminant. Inadaptée à un contentieux aussi lourd de conséquences que celui de la détermination de l’âge d’un mineur non accompagné, cette preuve scientifique est un indice qui ne peut être regardé sans la marge d’erreur qu’il comporte. Si en principe la preuve est censée permettre d’établir de manière irréfutable la vérité, la preuve scientifique dans le contentieux de l’âge des migrants ne peut être aussi affirmative dès lors que l’âge vraisemblable se situe autour de 18 ans.  L’intérêt supérieur de l’enfant, principe à valeur constitutionnelle [44] protégé sur le plan international [45], commande une protection qui ne soit pas soumise à un mode de preuve aussi peu fiable que l’est l’examen radiographique osseux. Certes, la preuve scientifique est déterminante dans certaines matières et peut apporter des éléments de preuve satisfaisants [46]. Néanmoins, elle ne peut pas être généralisée pour tous les types de contentieux et ne doit parfois être mobilisée qu’avec de grandes précautions tant elle peut être faillible. Nietzsche, dans Ecce Homo, affirmait que « ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » et à trop chercher l’existence d’une vérité scientifique, certains pourraient perdre la raison.

 

[1] L. de Carbonnières, Le doute et le magistrat. Réflexions historiques sur la quête impossible d’une preuve infaillible, Les cahiers de la Justice, 2020/4, n° 4, pp. 673-687.

[2] Outre les critiques répétées du Défenseur des droits (v. not. : Défenseur des droits, Rapport du Défenseur des droits au Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies, 2020 [en ligne] ; Défenseur des droits, décision du 26 février 2016, relative à l’égal accès au droit et à la justice des mineurs isolés étrangers [en ligne]), il convient de souligner que les oppositions à l’utilisation des tests osseux comme méthode de détermination de l’âge des migrants sont tant nationales (v. not. : CNCDH, Avis sur les 30 ans de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, La convention au regard de la construction de l’enfant, JORF, 1er décembre 2019 N° Lexbase : L7201LTU) qu’internationales (v. not. : Comité des droits de l’enfant, observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France, 23 février 2016, § CRC/C/FRA/CO/5, § 73 b.).

[3] V. not. : parmi les différentes problématiques suscitées par le recours aux tests osseux, le Comité consultatif national d’éthique s’interroge notamment sur la pertinence du recours à des critères scientifiques médicaux, indépendants de l’âge chronologique, sur l’ambiguïté du statut de l’expert médical et sur la réalisation d’un tel test qui « peut blesser la dignité des enfants adolescents soumis à un tel regard médical sans comprendre leur finalité, dans une structure hospitalière apparentée alors à une structure policière. Au-delà des problèmes éthiques soulevés par la validité scientifique des méthodes d’évaluation, une des questions majeures est celle en effet des conditions dans lesquelles sont réalisés les examens. » (CCNE, Avis n° 88, « Sur les méthodes de détermination de l’âge à des fins juridiques » N° Lexbase : X7665AGY).

[4] V. not. : Haut Conseil de la santé publique, Avis relatif à l’évaluation de la minorité d’un jeune étranger isolé, 23 janv. 2014 : « La détermination d’un âge osseux ne permet pas de déterminer l’âge exact du jeune lorsqu’il est proche de la majorité légale. La détermination d’un âge physiologique sur le seul cliché radiologique est à proscrire. Aucune méthode à elle seule ne peut scientifiquement donner un âge précis. ».

[5] CEDH, 28 février 2019, Req. 12267/16, Khan c. France, § 44 (N° Lexbase : A2088YZD) ; v. également : CEDH, 12 octobre 2006, Req. 13178/03, Mubilianzila Mayeka et Kaniki Mitunga c/ Belgique, § 55 (N° Lexbase : A7616DRI) ; CEDH, 5 avril 2011, Req. 8687/08, Rahimi c/ Grèce, § 87 (N° Lexbase : A5687HML).

[6] CEDH, Khan c/ France, op. cit., § 74.

[7] Ibid..

[8] A.-B. Caire, La carence française face à l’extrême vulnérabilité d’un mineur étranger isolé dans la lande de Calais, D., 2019, p. 1092.

[9] CEDH, Khan c. France, op. cit., § 84.

[10] Le Défenseur des droits a d’ailleurs rappelé que la réalisation d’un examen radiographique, en vue de déterminer l’âge d’un individu, en dehors d’une décision judiciaire et sans recueil du consentement de l’intéressé constitue « une atteinte grave à l’intérêt supérieur et aux droits du jeune X ainsi que la violation de ses droits comme patient et usager du service public » et « est contraire aux dispositions législatives ainsi qu’aux règles de la déontologie des médecins figurant aux articles 388 du Code civil (N° Lexbase : L0260K7R), L. 1111-4 (N° Lexbase : L4849LWI), R. 4127-35 (N° Lexbase : L1223ITH), R. 4127-36 (N° Lexbase : L7281L4G) et R. 4127-42 (N° Lexbase : L7283L4I) du Code de la santé publique », Décision du Défenseur des droits n° 2021-050, 6 avril 2021, Recommandations dans le cadre de l’article 25 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars relative au Défenseur des droits, pp. 7‑8.

[11] V. not. : C. Marie, Détermination de la minorité : rappel bienvenu par la Cour de cassation des modalités de recours aux examens osseux et de la portée de leurs conclusions, Lexbase Pénal, janvier 2020 (N° Lexbase : N1835BYM).

[12] Cons. const., décision n° 2018-768 QPC, 21 mars 2019 (N° Lexbase : A3247XYW), op. cit., § 10.

[13] A.-B. Caire, L’examen radiologique osseux de l’article 388 du Code civil, un simple indice dans la détermination de l’âge, RDSS, 2019, p. 453.

[15] Rapport du Défenseur des droits au Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies, juillet 2020, p. 39.

[16] V. not. : M. Lartigue, Mineurs isolés étrangers : MSF veut se rapprocher des professionnels du droit, Gazette du Palais, 2021, n° 6, p. 6.

[17] Défenseur des droits, décision 2018-296 du 3 décembre 2018 relative à l'inconstitutionnalité de l'article 388 du Code civil, relatif aux examens radiologiques osseux, p. 10 [en ligne].

[18] Comité des droits de l’enfant, observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France, op. cit..

[19] Ibid., § 74 b.

[20] M-X. Catto, L’intérêt supérieur de l’enfant, exigence constitutionnelle opératoire ?, Gazette du Palais, 2019, n° 19, p. 26.

[21] V. Souffron, La mal-mesure de l’âge, Estimation médicale de l’âge des mineurs isolés étrangers, Socio-anthropologie, 2019 [en ligne], (consulté le 25 novembre 2021).

[22] C. Mary, Quelles techniques pour évaluer l’âge des jeunes migrants ?, Le Monde [en ligne], (consulté le 25 novembre 2021).

[23] CNCDH, Avis sur les 30 ans de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, La convention au regard de la construction de l’enfant (N° Lexbase : L7201LTU), JORF, 1er décembre 2019, § 8.

[24] Ibid..

[25] Ibid., § 9.

[26] V. not. : A. Pichard, Tests osseux : une méthode d’un autre âge, Libération [en ligne], publié le 28 septembre 2020, (consulté le 24 août 2021).

[27] Diverses institutions évoquent cette marge d’erreur. L’Académie Nationale de médecine, par exemple, souligne que cette méthode « permet d’apprécier avec une bonne approximation l’âge de développement d’un adolescent en dessous de seize ans. Cette méthode ne permet pas de distinction nette entre seize et dix-huit ans » (Bulletin de l’Académie nationale de médecine, séance du 16 janv. 2007). Cette imprécision est particulièrement dangereuse en ce que c’est précisément pour cette tranche d’âge que les conséquences seront les plus importantes.

[28] EREN, Le recours aux tests osseux : questionnements éthiques [en ligne], publié le 25 mai 2021, (consulté le 24 août 2021).

[29] V. not. : CCNE, Avis n° 88, Sur les méthodes de détermination de l’âge à des fins juridiques (N° Lexbase : X7665AGY) ; M-X. Catto, L’intérêt supérieur de l’enfant, exigence constitutionnelle opératoire ?, Gazette du Palais, 2019, n° 19, p. 26.

[30] Cass. crim., 11 décembre 2019, n° 18-84.938, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1517Z8P), § 16.

[31] CA Douai, ch. du conseil, 15 janvier 2013, n° 12/04477.

[32] TGI Lille, juge des enfants, 29 juin 2012.

[33] CAA Nantes, 15 mai 2014, 1re ch., 15 mai 2014, n° 13NT01277 (N° Lexbase : A7734MQI).

[34] A.-B. Caire, L’examen radiologique osseux de l’article 388 du Code civil, un simple indice dans la détermination de l’âge, RDSS, 2019, p. 453.

[35] Note d’actualité n° 17/2017 du ministère de l’Intérieur en date du 1er décembre 2017, relative aux fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil.

[36] CE, 12 juin 2020, n° 418142, publié au recueil Lebon, § 5 (N° Lexbase : A55233NU).

[37] Ibid..

[38] CA Douai, chambre des mineurs, 26 juillet 2018, n° 18/01565.

[39] A.-B. Caire, op. cit..

[40] Ibid..

[41] Cons. const., décision n° 2018-768 QPC, 21 mars 2019, « Examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge » (N° Lexbase : A3247XYW).

[42] Ibid., § 6.

[43] La formule employée par le Conseil constitutionnel a été détournée par certains députés, affirmant que l’intérêt supérieur de l’enfant implique qu’un majeur ne soit pas considéré indûment comme un mineur. Ici il n’est donc plus question de l’intérêt des migrants mineurs mais de l’intérêt des enfants de manière générale. Cette objectivation du contentieux relatif à l’âge des migrants s’inscrit finalement dans un détournement plus général de la situation puisqu’il ne s’agit plus de protéger les mineurs non accompagnés mais de « lutter contre la fraude à l’identité dans le cadre des mineurs non accompagnés » ; Rapport n° 3989 sur la proposition de loi visant à mieux lutter contre la fraude à l’identité dans le cadre des mineurs non accompagnés (n° 3443), enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 17 mars 2021 [en ligne].

[44] Cons. const., décision n° 2018-768 QPC, 21 mars 2019, op. cit., § 6.

[45] V. à ce propos : T. Escach-Dubourg, Les examens osseux des jeunes étrangers isolés, AJDA, 2019, p. 1448.

[46] C’est le cas par exemple du contentieux de la filiation. V. not. : S. Bimes-Arbus, La preuve scientifique de la filiation, Thèse, Toulouse, 1999, 237 p. ; M. Mignot, La preuve scientifique dans le droit de la filiation, RRJ, 2003, p. 71 ; D. Wrona, Les empreintes génétiques et le procès civil de la filiation, LPA, 1995, n° 96, p. 24.

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