La lettre juridique n°512 du 17 janvier 2013 : Avocats/Champ de compétence

[Jurisprudence] Une maison de justice et du droit installée à proximité du cabinet d'un avocat peut-elle causer une préjudice à ce dernier ?

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 28 décembre 2012, n° 350559 (N° Lexbase : A6864IZA)

Lecture: 8 min

N5219BTH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Une maison de justice et du droit installée à proximité du cabinet d'un avocat peut-elle causer une préjudice à ce dernier ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/7661100-jurisprudenceunemaisondejusticeetdudroitinstalleeaproximiteducabinetdunavocatpeutelle
Copier

par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

le 27 Mars 2014

Une maison de justice et du droit installée à proximité du cabinet d'un avocat peut-elle causer une préjudice à ce dernier ?. Telle était en substance la question posée au Conseil d'Etat qui, dans un arrêt du 28 décembre 2012, répond par la négative. Dans cette affaire, un avocat demandait la réparation du préjudice causé du fait des consultations juridiques gratuites organisées à la maison de justice et du droit de Cergy installée depuis 1997 à proximité de son cabinet, et notamment à ce que lui soit versée la somme de 2 410 684 euros en réparation dudit préjudice. Dans son arrêt le Haut conseil énonce que l'organisation de consultations juridiques, le cas échéant gratuites, dans les maisons de justice et du droit, qui trouve depuis 1998 un fondement explicite dans la loi (loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 N° Lexbase : L1390AXR), est justifiée par les motifs d'intérêt général de mieux garantir l'égalité devant la justice et de faciliter l'accès au droit. Aussi, en jugeant que l'organisation de ces consultations n'était, compte tenu de leurs caractéristiques, pas de nature à porter atteinte à l'activité professionnelle des avocats exerçant sur le territoire de la même commune et ne pouvait dès lors constituer une pratique anticoncurrentielle prohibée, une cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit. Les maisons de justice et du droit. Les maisons de justice et du droit (MJD) ont été créées par une loi de 1998 afin d'assurer dans les quartiers des grandes agglomérations une présence judiciaire de proximité, de concourir à la prévention de la délinquance et à l'aide aux victimes, de garantir aux citoyens un accès au droit, et de favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges du quotidien. Les MJD sont créées par arrêté du Garde des Sceaux après signature d'une convention avec l'ensemble des acteurs locaux. Elles sont placées sous l'autorité du procureur de la République et du président du tribunal de grande instance où elles sont implantées. Les MJD sont destinées à permettre le partenariat entre magistrats, élus, policiers, associations et travailleurs sociaux, afin de poursuivre certains objectifs.

En matière pénale, elles tendent à favoriser les actions de prévention de la délinquance, et mettre en oeuvre une réponse adaptée à la petite délinquance par le recours à des mesures alternatives aux poursuites (médiation pénale, rappel à la loi, etc.). En matière civile, elles ont pour objet de régler les litiges du quotidien (consommation, voisinage, logement) en mettant en place des solutions amiables (médiation, conciliation, etc.). Au final elles permettent au public, et notamment aux victimes, un plus large accès au droit dans le cadre de permanences gratuites et confidentielles organisées par des avocats ou des conseillers juridiques.

L'organisation et les missions des MJD sont prévues aux articles R. 131-1 (N° Lexbase : L6750IAA) et suivants du Code de l'organisation judiciaire.

Plus précisément, la MJD de Cergy-Pontoise constitue un établissement judiciaire régi par les articles 7-12-1-1 (N° Lexbase : L2904AWH) et suivants du Code de l'organisation judiciaire. Elle a été créée le 5 septembre 1990 ; sa convention constitutive prévoit qu'elle a, notamment, pour mission "de donner aux citoyens et notamment aux plus démunis d'entre eux, les moyens de connaître leurs droits grâce à l'organisation de consultations juridiques dispensées par les avocats". En application de cette convention, la maison de justice et du droit de Cergy-Pontoise qui s'est installée, depuis 1997, dans le quartier de Cergy Saint Christophe, assure, deux ou trois fois par semaine, des permanences (de deux heures ou deux heures trente chacune) au cours desquelles les avocats du barreau du Val d'Oise qui se sont portés volontaires donnent des consultations juridiques gratuites à destination du grand public. Par une convention signée le 13 décembre 2000, le conseil départemental de l'accès au droit (CDAD) du Val d'Oise, groupement d'intérêt public créé par l'article 54 de la loi du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L8607BBE), et l'Ordre des avocats du barreau de ce département ont convenu d'organiser la tenue de consultations juridiques gratuites dans les maisons de justice du département. Le CDAD s'engage à verser à l'Ordre, pour ces consultations, le tarif défini au décret n° 2000-4 du 4 janvier 2000, fixant la rétribution des consultations juridiques en matière d'accès au droit (N° Lexbase : L9061IU7).

Les faits de l'espèce. Dans cette affaire, un avocat, Me D., avait exercé son activité à Cergy-Pontoise de 1987 jusqu'à la mise en liquidation judiciaire de son cabinet intervenue en 2006. L'intéressé et le liquidateur judiciaire de son cabinet ont, notamment -puisqu'une tentative a été faite devant le Conseil de la concurrence-, recherché devant le juge administratif la responsabilité de l'Etat sur le terrain de la faute et de la rupture d'égalité devant les charges publiques, en se prévalant de ce que les consultations juridiques dispensées au sein de la maison de justice et du droit qui a été transférée en 1997 à proximité du cabinet de l'intéressé, avaient entraîné à compter de cette date un détournement de clientèle et étaient par suite à l'origine de ses difficultés financières.

L'incompétence de l'Autorité de la concurrence. Devant le Conseil de la concurrence (devenu l'Autorité de la concurrence), l'avocat estimait que ces consultations constituent une pratique prohibée tant par les articles L. 420-1 (N° Lexbase : L6583AIN) et L. 420-5 (N° Lexbase : L3779HBL) du Code de commerce et qu'elles sont, en outre, contraires à l'article L. 37-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 442-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L6609AIM). Il avait assorti sa saisine d'une demande de mesures conservatoires tendant à l'arrêt de ces pratiques et à la suspension de la convention du 21 décembre 2000, relative aux consultations juridiques dans les maisons de la justice et du droit du Val d'Oise, passée entre le conseil départemental de l'accès au droit (CDAD) du Val d'Oise et l'Ordre des avocats du barreau du Val d'Oise. Mais la Haute autorité, dans une décision du 4 juin 2003, s'est déclarée incompétente (Cons. conc., décision n° 03-D-27, relative à des pratiques de la maison de justice et du droit du quartier Saint Christophe de Cergy-Pontoise N° Lexbase : L5608DLB). En effet, les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d'une mission de service public assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la responsabilité encourue par ces personnes. L'aide à l'accès au droit, qui inclut l'aide à la consultation en matière juridique, constitue une mission de service public définie par la loi susvisée du 10 juillet 1991 modifiée. En l'espèce, l'institution de consultations juridiques à destination de tout public résulte des dispositions du point I-B-a de la convention constitutive de la MJD de Cergy signée le 5 septembre 1990 par le préfet du Val d'Oise, le président du tribunal de grande instance, le procureur de la République, le président du conseil général, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Val d'Oise et le commissaire central de police. La gratuité de ces consultations a ensuite été organisée par la MJD de Cergy-Pontoise en accord avec le barreau du Val d'Oise avant de faire l'objet de la convention du 13 décembre 2000 conclue entre le CDAD du Val d'Oise et l'Ordre des avocats de ce département. Dans ces circonstances, la décision de mettre en place les consultations gratuites litigieuses doit être regardée comme émanant des autorités publiques signataires de la convention constitutive de la MJD et du barreau du Val d'Oise, personne privée investie d'une mission de service public également signataire de cette convention, ainsi que de la MJD elle-même agissant au nom de l'Etat et du CDAD, personne publique qui, en raison de son objet comme de ses modalités d'organisation et de fonctionnement, assure la gestion d'un service public à caractère administratif. Cette décision, prise aux fins d'assurer la mission de service public de l'accès au droit confiée par la loi aux CDAD et aux MJD, au moyen des prérogatives de puissance publique dévolues à ces deux institutions en matière d'organisation du service public, constitue un acte administratif dont il n'appartient pas à l'Autorité de la concurrence d'apprécier la légalité.

La procédure devant le juge administratif. Le 11 mars 2009, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande. En appel, le jugement sera confirmé. En effet, la cour administrative de Versailles rappelle, dans son arrêt du 26 avril 2011 (CAA Versailles, 4ème ch., 26 avril 2011, n° 09VE01594 N° Lexbase : A5889HUN), dans un premier temps les termes des articles 53 à 57 de la loi du 10 juillet 1991, dans leur rédaction résultant de la loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998, portant sur l'aide à l'accès au droit et notamment les rôles des MJD. Dans un deuxième temps, la cour relève que, compte tenu du nombre restreint de permanences assurées à raison de deux fois deux heures et demi par semaine et de leur caractère limité à la délivrance d'informations et à l'orientation des usagers, les consultations organisées à la maison de justice et du droit ne sauraient être assimilées à des consultations réalisées par des avocats au sein de leurs cabinets. Et rien ne démontre que les consultations organisées au sein de la maison de justice et du droit auraient pu donner lieu à des ententes illicites, à un abus de position dominante ou à la proposition de tarifs abusivement bas de la part des avocats y participant. En outre, le requérant n'apporte pas la preuve de l'existence d'un détournement de sa clientèle au profit de ses confrères intervenant dans le cadre des consultations juridiques gratuites données à la maison de justice et du droit de Cergy-Saint-Christophe et qui serait imputable à l'Etat.

En dernier lieu, les juges du second degré précisent que, si l'avocat se prévaut à l'appui de sa demande indemnitaire de la responsabilité de l'Etat du fait des lois et de la rupture de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, il ne conteste pas les difficultés rencontrées par son cabinet matérialisées par une dette sociale et fiscale importante constatée avant même l'installation de la maison de justice et du droit à proximité de son cabinet. Il ne démontre pas non plus l'identité entre sa clientèle et les personnes ayant eu recours aux consultations juridiques gratuites litigieuses. Ainsi, le lien de causalité entre la baisse d'activité du cabinet de Me X et l'instauration de consultations juridiques gratuites à la maison de justice et du droit de Cergy-Saint-Christophe n'est pas démontré. Un pourvoi est alors formé devant le Haut conseil.

La solution du Conseil d'Etat. En premier lieu, les juges du Palais-Royal énoncent qu'en relevant que les consultations gratuites délivrées au sein de la maison de justice et du droit de Cergy-Pontoise ne pouvaient, eu égard à leur nombre restreint, à leur durée limitée et à la nature générale des informations qui y étaient délivrées, être assimilées aux prestations juridiques fournies par un avocat dans le cadre de son cabinet, la cour administrative d'appel de Versailles, qui n'a en tout état de cause pas entendu juger que ces consultations échappaient aux règles déontologiques qui s'imposent à l'ensemble de la profession, n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit. Ils précisent, ensuite, que l'organisation de consultations juridiques, le cas échéant gratuites, dans les maisons de justice et du droit, qui trouve depuis 1998 un fondement explicite dans la loi, est justifiée par les motifs d'intérêt général de mieux garantir l'égalité devant la justice et de faciliter l'accès au droit. Partant, en jugeant que l'organisation de ces consultations n'était, compte tenu de leurs caractéristiques, pas de nature à porter atteinte à l'activité professionnelle des avocats exerçant sur le territoire de la même commune et ne pouvait dès lors constituer une pratique anticoncurrentielle prohibée, la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas non plus commis d'erreur de droit. Enfin, Me X n'a pas rapporté la preuve ni de l'existence d'un détournement de sa clientèle au profit de ses confrères assurant les consultations juridiques litigieuses ni de ce que ses clients auraient eux-mêmes bénéficié à son insu de telles consultations. Ainsi, aucun lien de causalité n'est établi entre la baisse d'activité de son cabinet et l'organisation de consultations juridiques gratuites. La requête est donc, à nouveau, rejetée.

Les maisons de justice et du droit participent de l'accès au droit et, plus généralement, du "droit au droit" invoqué, de plus en plus, par les Hautes instances ordinales de la profession d'avocat. Elles permettent, avant tout, aux justiciables de prendre conscience et connaissance de leurs droits, et aux avocats de montrer leurs compétences et de rappeler leur qualité d'auxiliaire de justice. En aucun cas, ces lieux de rencontre juridique ne sont là pour concurrencer l'activité des avocats ; c'est en éveillant les citoyens au droit qu'ils adoptent le réflexe juridique : telle est en substance la vocation de ces maisons de justice et du droit non concurrentielles.

newsid:435219

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus