Réf. : Cass. civ. 1, 19 décembre 2012, n° 09-15.606, F-P+B+I (N° Lexbase : A1791IZD)
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N5355BTI
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP
le 30 Janvier 2013
Appréciation souveraine. La démonstration de l'absence d'intention matrimoniale, qui permet de prononcer la nullité du mariage pour défaut de consentement, est une question délicate à propos de laquelle il est difficile d'énoncer des certitudes (1). L'arrêt du 19 décembre 2012 apporte sans doute quelques éclairages quant aux exigences de la Cour de cassation sur ce point. Celle-ci reprend, en effet, de manière particulière les éléments retenus par les juges du fond pour caractériser le défaut d'intention matrimoniale de l'épouse et qui relèvent de leur pouvoir d'appréciation.
Au moment du mariage. La Cour de cassation relève, tout d'abord, "qu'au moment du mariage, Mme X était animée par une intention de lucre et de cupidité, n'ayant pour but que d'appréhender le patrimoine de Philippe Y, afin d'assurer son avenir et celui du fils". Un certain nombre de témoignages des proches du mari avait, en effet, permis d'établir que, déjà avant le mariage, ce dernier se plaignait des exigences financières de sa fiancée : acquisition d'un bague de fiançailles particulièrement onéreuse, demandes d'argent fréquentes notamment pour acquérir une nouvelle voiture, etc.. L'une des déclarations rapportées dans l'arrêt d'appel va même plus loin puisqu'elle laisse entendre que la future épouse avait sciemment établi une stratégie pour séduire "un vieux garçon, malade et en mauvais état physique, sans femme, sans famille" dans le but de l'épouser et de se mettre, ainsi que son fils, à l'abri du besoin.
Refus de se soumettre aux obligations conjugales. Ensuite, la Cour de cassation évoque le refus de l'épouse d'avoir des relations sexuelles avec son conjoint, après le mariage, à l'exception du jour de la cérémonie. Elle considère que les juges du fond ont ainsi établi l'absence d'intention de l'épouse de se soumettre aux obligations nées de l'union conjugale.
Doutes du mari. L'arrêt mentionne également les doutes du mari lui-même qu'il avait confiés à l'un de ses amis sur la sincérité de l'intention matrimoniale de son épouse, et lui avait même demandé de se renseigner sur les possibilités d'annuler son mariage.
Coups mortels. En faisant référence, dans son attendu, aux coups mortels portés par l'épouse à son mari, la Cour de cassation entend signifier que cet élément pèse sur la démonstration du défaut d'intention matrimoniale. Les faits revêtent, en effet, une connotation particulière au regard des coups mortels que l'épouse a infligé à son mari seulement quelques semaines après le mariage.
Caractère exclusif de l'intention étrangère à l'union matrimoniale. De ces différents éléments, les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, ont pu déduire, sans discussion possible, que "Mme X s'était mariée dans le but exclusif d'appréhender le patrimoine de Philippe Y". De cette affirmation ressort à la fois l'existence d'une intention vénale et l'exclusivité de cette intention.
La situation qui fait l'objet de la décision commentée est relativement rare en jurisprudence car, dans la plupart des arrêts relatifs au défaut d'intention matrimoniale, c'est l'acquisition de la nationalité qui est recherchée ; or, cet objectif est selon les termes mêmes de la Cour de cassation un "but étranger" au mariage. Dès lors qu'il est démontré que les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu'en vue d'atteindre ce but, le juge doit prononcer la nullité (2). Il en va différemment lorsque le but recherché est, comme en l'espèce, un avantage inhérent au mariage, qui touche à sa substance et qui ne peut être atteint par d'autre moyen. Dans cette hypothèse, pour démontrer l'absence d'intention matrimoniale de l'époux, il faut démontrer que le but recherché était le seul objectif poursuivi. Le fait de profiter d'un mariage avantageux n'est, en effet, pas en soi contestable, et c'est sans doute une réalité encore fréquente aujourd'hui, mais encore faut-il que ce profit ne soit pas le seul effet du mariage recherché et accepté par l'époux.
Dans l'arrêt du 19 décembre 2012, la Cour de cassation insiste particulièrement sur le fait que le profit recherché par l'épouse constituait sa seule motivation pour se marier et non pas un des intérêts parmi d'autres qu'elle pouvait tirer de cette union. Le fait qu'elle ait tué son mari montrait d'ailleurs qu'une fois l'avantage recherché obtenu elle souhaitait voir disparaître le mariage -dont elle avait refusé d'assumer les conséquences notamment sexuelles- et le mari... Contrairement à ce qu'elle affirmait dans son pourvoi, l'épouse ne pouvait justifier la validité du mariage en prétendant que son but était de bénéficier d'un avantage inhérent au mariage, en l'occurrence le devoir de secours entre époux et la vocation successorale du conjoint survivant ; dès lors que son seul but était d'obtenir le bénéfice de cet avantage, elle était dépourvue de toute intention matrimoniale, ce qui au regard des termes de l'article 146 du Code civil constituait un défaut de consentement permettant de prononcer la nullité du mariage.
II - Le régime de la nullité du mariage fondée sur l'article 146 du Code civil
Ordre public. La nullité pour défaut de consentement fondée sur l'article 146 du Code civil revêt un caractère d'ordre public. Il s'agit en conséquence d'une nullité absolue (C. civ., art. 184 N° Lexbase : L7237IAB) dont le régime permet aux tiers qui ont un intérêt en ce sens d'agir (C. civ., art. 187 N° Lexbase : L1947ABQ). En l'espèce, ce sont les héritiers du mari décédé qui ont pu initier la procédure en annulation du mariage à l'encontre de l'épouse. Il semble ressortir des faits qu'il s'agit de collatéraux, lesquels ont dû faire état en l'espèce, conformément à l'article 187 du Code civil, d'un intérêt pécuniaire né et actuel. Tel était bien le cas puisqu'ils prétendaient recueillir la succession du défunt sans subir le concours du conjoint survivant au titre des avantages matrimoniaux (3).
Liberté matrimoniale. Ce caractère d'ordre public explique que le juge puisse exercer un contrôle sur l'intention matrimoniale des époux. La Cour de cassation précise en effet, dans l'arrêt du 19 décembre 2012, que l'annulation pouvait être prononcée "sans méconnaitre les exigences conventionnelles de la liberté du mariage", contrairement à ce que prétendait l'auteur du pourvoi pour qui "la protection de la liberté du mariage implique que celui-ci puisse être contracté indépendamment de la finalité poursuivie par les époux, laquelle ne regarde qu'eux et n'intéresse pas la société". Le Conseil constitutionnel va dans le même sens dans sa décision QPC du 22 juin 2012 (4) en affirmant que "la protection constitutionnelle de la liberté du mariage ne confère pas le droit de contracter un mariage à des fins étrangères à l'union matrimoniale" (cons. 7). Le Conseil constitutionnel admet dans cette décision la constitutionnalité des articles du Code civil dont la vocation est justement d'empêcher la célébration ou permettre d'annuler des mariages contractés à des fins étrangères à l'union matrimoniale (5).
Protection du conjoint. Les circonstances de l'arrêt du 19 décembre 2012 constituant une véritable escroquerie de l'un des époux par l'autre, cette décision conduit à envisager la nullité de l'article 146 sous l'angle de la protection du conjoint trompé. Il est, en effet, évident qu'en l'espèce le mari n'aurait pas donné son consentement au mariage s'il avait su que son épouse ne se mariait que pour s'approprier son patrimoine. Sans doute aurait-il pu d'ailleurs demander la nullité du mariage pour erreur. Toutefois, cette nullité n'aurait pu être invoquée par ses héritiers puisqu'il s'agit d'une nullité relative, d'où l'intérêt pour eux d'agir en nullité pour défaut de consentement.
Indignité. La nullité du mariage était, en effet, le seul moyen de priver l'épouse meurtrière du bénéfice des avantages qu'elle pouvait retirer de la dissolution du mariage par le décès de son mari, étant bien précisé qu'évidemment, l'épouse ne pouvait invoquer le mariage putatif puisqu'elle n'était pas de bonne foi. Il a, en effet, été jugé, dans un arrêt du 7 avril 1998 (6), que les articles 953 (N° Lexbase : L0109HPQ), 727 (N° Lexbase : L3334AB4) et 1046 (N° Lexbase : L0206HPC) du Code civil relatives à l'indignité, qui permettent de priver un meurtrier du bénéfice d'une donation ou d'une succession ne pouvaient s'appliquer aux avantages qu'un époux peut retirer de la dissolution de son mariage. Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 7 avril 1998, l'épouse qui avait assassiné son mari avait ainsi quand même pu bénéficier des avantages matrimoniaux.
En admettant la nullité du mariage au regard du comportement meurtrier de l'épouse, la Cour de cassation offre ainsi aux héritiers la possibilité de priver celle-ci des bénéfices de son crime...
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