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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
L'Etat a beau prendre les devants, avec plusieurs trains de retard, sur le sujet controversé des conditions carcérales et, globalement, sur la manière dont il gère la sécurité, les conditions sanitaires et le surpeuplement dans les prisons, la France pourrait bien faire l'objet, tantôt, d'une condamnation éclatante par la Cour européenne des droits de l'Homme, emboîtant ainsi le pas à l'Italie.
Si, dans une ordonnance rendue le 22 décembre 2012, le juge des référés du Conseil d'Etat s'est contenté d'enjoindre à l'administration pénitentiaire, outre les prescriptions déjà ordonnées par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, de prendre des mesures nécessaires à la dératisation et la désinsectisation des locaux du centre pénitentiaire des Baumettes, la Cour européenne est beaucoup plus contraignante, en rendant, le 8 janvier 2013, un "arrêt pilote" sur la question du surpeuplement carcéral dans les prisons italiennes, après avoir condamné à plusieurs reprises la Roumanie.
La Cour rappelle que l'incarcération ne fait pas perdre à un détenu le bénéfice des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Elle considère, ensuite, que les prisonniers italiens ne bénéficient pas d'un espace de vie conforme aux critères qu'elle a jugés acceptables par sa jurisprudence. Elle rappelle que la norme en matière d'espace habitable dans les cellules, recommandée par le Comité de prévention de la torture, est de 4 m² par personne. Enfin, elle estime que le manque d'espace dont les prisonniers requérants ont souffert a encore été aggravé par d'autres traitements tels que le manque d'eau chaude sur de longues périodes, un éclairage et une ventilation insuffisants, qui, s'ils ne sont pas en soi inhumains et dégradants, constituent une souffrance supplémentaire ; si bien qu'il y a donc eu, en l'espèce, violation de l'article 3 de la Convention.
La Cour décide, dès lors, d'adopter une procédure d'"arrêt pilote" lui permettant de mettre clairement en lumière l'existence de problèmes structurels à l'origine des violations constatées et indiquer les mesures ou actions particulières que l'Etat défenseur devra prendre pour y remédier. Elle constate que la surpopulation carcérale en Italie ne concerne pas exclusivement le cas des requérants et relève que le caractère structurel et systémique du surpeuplement carcéral en Italie ressort clairement des termes de la déclaration de l'état d'urgence au niveau national proclamée par le président du Conseil des ministres italien en 2010. Ainsi, le Gouvernement devra, dans le délai d'un an à compter de la date à laquelle cet arrêt sera devenu définitif, mettre en place un recours ou un ensemble de recours internes effectifs aptes, conformément aux principes de la Convention, à offrir un redressement adéquat et suffisant dans les cas de surpeuplement carcéral.
En France, si l'état d'urgence dans les prisons a été instauré à la suite des nombreux suicides de prisonniers, révélant l'inaction ou l'incurie de l'administration pénitentiaire et entraînant la condamnation de l'Etat, c'est actuellement la seule prison de Nouméa qui bénéficie d'un plan d'urgence -qui devrait s'achever en 2014-, alors que l'ensemble des prisons devrait être concerné. Sur les traces de John Howard qui souhaitait, dès 1777, réformer les prisons afin d'en faire, pour le prisonnier, un véritable moyen de s'amender, les magistrats, les greffiers, les avocats, les agents de probation, les fonctionnaires et les gardiens de prison, eux-mêmes, demandent depuis longtemps un plan d'urgence. Un simple "tourisme pénitentiaire" contemporain permet à quiconque de prendre conscience de l'insalubrité et de l'insécurité quotidiennes des détenus. Le Garde des Sceaux semblait les avoir entendus, annonçant un plan d'urgence de lutte contre la vétusté... mais pour l'année prochaine.
Il n'est plus temps d'avoir du vague à l'âme avec la prise au corps ! Mais, faute de crédit budgétaire, ce voeu ne va-t-il pas, encore une fois, demeurer pieux, "l'émotion des Baumettes" passée ?
Dans Surveiller et punir, Michel Foucault rappelle que la prison est un choix par défaut : pour les délinquants sûrement, mais aussi pour la société elle-même ! Après le siècle des Lumières, et avec l'émergence des démocraties en Occident, la peine de privation de liberté semblait être le mode de coercition et de sanction le moins contestable. Auparavant, la prison ne servait qu'à enfermer les personnes dans l'attente de leur condamnation ; la sanction pénale, si elle n'était pas capitale, n'était pas, en principe, l'enfermement : on lui préférait les galères, les supplices ou l'assignation à résidence. Il faut bien se rendre compte que, aujourd'hui, penser l'architecture et l'organisation des prisons sous le prisme du panoptique de Bentham n'est plus suffisant. Si les "Big Brother" carcéraux évitent, le cas échéant, les débordements, seule une considération accrue de la société vis-à-vis de ses "brebis égarées" peut favoriser l'optique d'amendement et de réinsertion. Et, le respect des droits élémentaires des détenus est, bien évidemment, le fondement de cette considération nécessaire : tel est le sens de l'arrêt de la Cour européenne du 8 janvier 2013. Mais, tel est le sens, également, des débats actuels sur le travail en milieu carcéral, dont celui organisé à l'automne 2012 par l'Ordre des avocats au barreau de Versailles fut des plus instructifs et alarmants.
Sans pencher excessivement pour les utopistes et les philanthropes, il convient objectivement d'agir au plus vite afin de ne pas écorner, plus longtemps encore, notre démocratie et que la "Patrie des droits de l'Homme" ne noircisse plus le cahier des récriminations de l'Observatoire international des prisons.
Une idée ? Elle est absurde, mais elle vaut ce qu'elle vaut ; et elle est l'un des moyens rapides et opportuns de "simplement, rendre la prison visible", pour reprendre Paul Claudel. Il serait éventuellement intéressant de faire participer la société à la construction et à la réhabilitation des prisons, autrement que par la contribution aveugle à l'impôt -manifestement insuffisante-. L'offre immobilière française croule sous les incitations à l'investissement solidaire : poussons le "Duflot" un peu plus loin que "dans les zones géographiques présentant un déséquilibre important entre l'offre et la demande de logements locatifs" et étendons le dispositif d'incitation fiscale, même si la privatisation des prisons, à l'image du projet "Botton" à Saint-Julien-sur-Suran, est loin de faire l'unanimité et pose nécessairement des questions éthiques.
Dans La dernière incarnation de Vautrin, Balzac rappelait que "c'est surtout en prison qu'on croit à ce qu'on espère !" : l'espoir et la foi dans cet espoir sont primordiaux pour lutter contre la récidive ; mais ils ne peuvent trouver leur lit que dans des conditions sanitaires et sécuritaires conformes au principe de dignité.
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