La lettre juridique n°512 du 17 janvier 2013 : Procédure administrative

[Jurisprudence] Chronique de contentieux administratif - Janvier 2013

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N5354BTH

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 17 Janvier 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de contentieux administratif de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, trois arrêts témoignant d'un assouplissement bienvenu du régime procédural des irrecevabilités devant le juge administratif. Tout d'abord, un arrêt du Conseil d'Etat en date du 12 décembre 2012 qui traite des conséquences de l'absence de chiffrage de l'indemnité dans la requête introductive d'instance et de son incidence sur la compétence matérielle du juge. Pour le juge, cette absence est sans conséquence s'il a été demandé une expertise afin de déterminer l'étendue du préjudice et partant, le montant de l'indemnité (CE 5° s-s-r, 12 décembre 2012, n° 359952, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le deuxième arrêt, en date du 28 décembre 2012, concerne une requête d'appel présentée sans ministère d'avocat qui n'est pas déclarée irrecevable dans la mesure où le président de la Cour s'est borné à mettre en demeure l'avocat désigné d'accomplir les diligences qui lui incombaient sans porter sa carence à la connaissance du requérant (CE 1° et 6° s-s-r., 28 décembre 2012, n° 348472, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le troisième arrêt est un arrêt émis par la cour administrative d'appel de Douai sur la question de la sanction automatique ou non du non respect du délai de production d'un mémoire. Pour le juge d'appel, le non-respect du délai n'empêche pas la possibilité de régulariser la demande jusqu'à la clôture de l'instruction (CAA Douai, 22 novembre 2012, n° 12DA00510, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • L'absence de chiffrage de l'indemnité dans la requête introductive d'instance n'a pas d'incidence sur la compétence matérielle du juge s'il a été demandé une expertise afin de déterminer l'étendue du préjudice et partant, le montant de l'indemnité (CE 5° s-s-r, 12 décembre 2012, n° 359952, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8262IYN)

Pour celui qui intente une action en justice devant la juridiction administrative, la requête introductive d'instance est sans nul doute l'acte de procédure le plus important, dès lors que c'est par cet acte que s'opère la saisine du juge et que le requérant doit satisfaire à des conditions de recevabilité de cet acte. Certaines de ces conditions concernent des éléments qui auront en outre, au-delà, une influence déterminante quant au fond même de l'action : ainsi, c'est dès le stade de la requête introductive d'instance que se jouent pour une grande part la recevabilité et le bien-fondé de l'action.

Il ressort des pièces du dossier que, le 15 mai 2007, les requérants ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes de désigner un expert afin d'évaluer les préjudices subis par leur fils mineur, préjudices qu'ils attribuaient à des fautes commises lors de sa prise en charge dans un centre hospitalier à la suite d'un accident de la circulation. Par une requête introductive d'instance présentée le même jour devant le même tribunal, ils ont demandé, d'une part, en leur qualité de représentants légaux de leur fils, que le centre hospitalier soit condamné à verser à celui-ci des indemnités dont ils se réservaient d'indiquer le montant au vu des conclusions de l'expert et, d'autre part, en leur nom propre, qu'il soit condamné à leur verser une somme de 7 500 euros en réparation de préjudices qu'ils avaient eux-mêmes subis. Trois ans après, par un mémoire déposé le 27 octobre 2010 que le tribunal administratif a regardé comme une nouvelle requête, le fils des requérants, désormais majeur, a demandé que le centre hospitalier soit condamné à lui verser une indemnité de 102 166 euros, les parents requérants demandant, quant à eux, qu'il soit condamné à leur verser une indemnité de 2 072,53 euros. Le tribunal administratif de Rennes, ayant joint les deux requêtes a rejeté leur demande par un jugement du 1er mars 2012 que les intéressés ont déféré à la cour administrative d'appel de Nantes. Le président de cette cour, s'estimant saisi de conclusions relevant de la compétence du Conseil d'Etat a transmis sans délai le dossier à ce dernier qui a poursuivi l'instruction de l'affaire en application de l'article R. 351-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2998ALM).

La cour administrative d'appel s'estime incompétente en vertu de l'application du 7° de l'article R. 222-13 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4860IRG). Celui-ci prévoit un certain nombre d'hypothèses dans lesquelles les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort. C'est le décret du 24 juin 2003 (1) qui a limité la possibilité de faire appel d'un jugement de tribunal administratif en rendant ledit tribunal compétent en premier et dernier ressort pour un certain nombre de matières, la seule voie de recours restant ouverte étant alors celle du pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat. Depuis ce décret, sont jugés en premier et dernier ressort par les tribunaux administratifs les litiges réputés moins lourds ou plus simples à juger. Les litiges énumérés par l'article R. 222-13 étant aussi ceux pouvant être tranchés, devant les tribunaux administratifs, par un juge statuant seul. Le critère retenu par les nouvelles dispositions est celui de la matière, et non pas celui de la formation de jugement. La suppression de la voie de l'appel concerne donc l'ensemble des décisions prises dans les matières précitées, même si le litige, qui aurait pu être tranché par un juge unique, a finalement été renvoyé en formation collégiale ou a fait l'objet d'une ordonnance.

Il en va ainsi en matière indemnitaire lorsque le requérant demande le versement d'une indemnité ne dépassant pas 10 000 euros, somme fixée par l'article R. 222-14 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2820HWD). En l'espèce, l'addition des indemnités demandées ne dépasse pas cette somme dans la mesure où seules sont demandées à la cour la réparation du préjudice matériel subi par les parents pour une somme de 2072,53 euros et la réparation du dommage moral subi par le fils devenu majeur à hauteur de 1 000 euros. Pour le reste, il est demandé à la cour de surseoir à statuer. Se pose, ainsi, la question des requêtes introductives d'instance qui ne chiffrent pas le montant de l'indemnité demandée. Dans le contentieux pécuniaire, le fait que le juge ne puisse statuer au-delà des conclusions dont il est saisi implique que, pour être recevable, la requête comporte des conclusions chiffrées. S'il n'y a pas de conclusions chiffrées, le Conseil d'Etat considère que la demande ne peut être regardée comme tendant au versement d'une somme supérieure à 10 000 euros. Il n'en va autrement que dans l'hypothèse où le requérant demande, dans sa requête introductive, qu'il soit procédé à une expertise afin de déterminer l'étendue de son préjudice et partant, le montant de l'indemnité. Dans ce cas, la jurisprudence lui reconnaît la possibilité de différer le chiffrage de ses conclusions jusqu'au dépôt du rapport de l'expertise qu'il a demandé au tribunal administratif d'ordonner. Le Conseil d'Etat dit, en effet, que "le jugement rendu sur une telle requête, qui doit l'être par une formation collégiale, est susceptible d'appel quel que soit le montant de la provision que le demandeur a, le cas échéant, sollicitée dans sa requête introductive d'instance comme celui de l'indemnité qu'il a chiffrée à l'issue de l'expertise" (2).

La juridiction administrative estime de même, en l'espèce, en considérant que la requête tendant à l'annulation du jugement relève de la compétence de la cour administrative d'appel. D'abord, la requête introductive d'instance comportait des conclusions présentées au nom du fils devenu majeur. Ces conclusions tendaient au versement d'indemnités dont le montant serait précisé au vu des conclusions de l'expert sollicité devant le juge des référés et le mémoire produit ultérieurement comportait des conclusions au versement d'une somme dépassant les 10 000 euros, en l'occurrence la somme précisément de 102 166 euros. Le Conseil d'Etat avait jugé de même à propos d'un jugement qui avait opéré la jonction entre différentes requêtes comportant une série de conclusions d'excès de pouvoir et de conclusions indemnitaires, présentées séparément dans certaines demandes et cumulativement dans d'autres. Pour lui, dès lors que figure au sein de ces conclusions le versement d'une somme supérieure au montant de 10 000 euros, lequel maintient ouverte la voie de l'appel pour ce type de conclusions, l'appel, pour des motifs de bonne administration de la justice, est ouvert en totalité contre le jugement (3).

Il y a là, dans la décision d'espèce, un souci marquant et louable du Conseil d'Etat d'agir dans une optique de bonne administration de la justice à un moment où l'une des préoccupations constantes et croissantes du juge administratif, voire de l'ensemble des ordres de juridiction est l'accélération du traitement des litiges et le désencombrement du prétoire administratif. Cette accélération est, en effet, au coeur de nombreuses réformes structurelles et procédurales de la juridiction administrative intervenues depuis quelques décennies.

Pour que dans la juridiction administrative le cheminement d'un dossier ne soit plus ni trop long, ni trop coûteux, la tendance est à la résolution des litiges par des moyens correctement adaptés à chacun d'entre eux. C'est l'incarnation de la justice administrative modernisée, rapide et économique. Comme peut le relever Ludovic Garrido, "la procédure administrative contentieuse, autrefois si généreuse, traduit désormais une certaine méfiance envers les requérants. Ces dernières décennies ont constitué un tournant radical dans l'ouverture du prétoire administratif aux justiciables, avec le développement des obstacles procéduraux et financiers ou, plus généralement, l'abandon d'un certain libéralisme du juge dans la recevabilité des recours. Sans parler de la réduction importante de l'accès aux voies de recours" (4). Mais si la canalisation des flux, voire de l'afflux, de recours, est nécessaire, "il serait paradoxal, au seuil de ce troisième millénaire, que le juge administratif si soucieux de la qualité de la justice qu'il rend, si obsédé par l'efficacité de son contrôle et par le raffinement de ses solutions, si préoccupé de satisfaire aux exigences d'indépendance et d'impartialité, ne soit pas aussi toujours plus attentif à ce qui permet d'en bénéficier, à savoir : l'accès à son prétoire" (5). C'est au Conseil d'Etat de trouver l'équilibre entre ces deux intérêts contradictoires que sont, d'une part, celui d'assurer un accès aisé des justiciables au juge et, d'autre part, celui d'assurer le bon fonctionnement de la juridiction administrative. Les perspectives d'évolution des recours contentieux laissent augurer une sévérité grandissante dans la recevabilité des recours car les efforts de productivité des juges et les moyens budgétaires et humains trop limités de la justice administrative ne suffiront pas à absorber l'inflation contentieuse. Il est, à cet égard, opportun que le juge, comme il le fait en l'espèce, assouplisse de temps en temps cette sévérité.

  • Une requête d'appel présentée sans ministère d'avocat n'est pas irrecevable si le président de la cour s'est borné à mettre en demeure l'avocat désigné d'accomplir les diligences qui lui incombaient sans porter sa carence à la connaissance du requérant (CE 1° et 6° s-s-r., 28 décembre 2012, n° 348472, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6855IZW)

Le ministère d'avocat est obligatoire, devant les cours administratives d'appel, pour les instances engagées par les justiciables depuis le 1er septembre 2003, tant en ce qui concerne les appels que les mémoires déposés (6). Toutefois, le Code de justice administrative prévoit une série d'exceptions à cette obligation du ministère d'avocat. L'article R. 811-7 de ce code (N° Lexbase : L3284AL9) prévoit, en effet, une telle dispense pour les requêtes dirigées contre les décisions des tribunaux administratifs statuant sur les recours pour excès de pouvoir formés par les fonctionnaires ou agents de l'Etat et des autres personnes ou collectivités publiques, ainsi que par les agents ou employés de la Banque de France contre les actes relatifs à leur situation personnelle, les litiges en matière de contraventions de grande voirie mentionnés à l'article L. 774-8 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3252ALZ), ainsi que les demandes d'exécution d'un arrêt de la cour administrative d'appel ou d'un jugement rendu par un tribunal administratif situé dans le ressort de la cour et frappé d'appel devant celle-ci. L'article R. 811-10 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3287ALC) dispense l'Etat d'un tel ministère soit en demande, soit en défense, soit en intervention. La requête d'appel et les mémoires doivent être présentés par l'un des mandataires visés à l'article R. 432-1 (N° Lexbase : L3038AL4), c'est-à-dire par un avocat, un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

Les présidents de cour administrative d'appel et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance, rejeter les requêtes irrecevables pour défaut d'avocat aux termes de l'article R. 222-1 4°) du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2818HWB). Le premier alinéa de l'article R. 612-1 (N° Lexbase : L3126ALD) prévoit bien que, lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. Mais le décret n° 2002-547 du 19 avril 2002, modifiant certaines dispositions de la partie réglementaire du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3077AZY) (7), a introduit dans cet article un deuxième alinéa selon lequel "la juridiction d'appel ou de cassation peut rejeter de telles conclusions sans demande de régularisation préalable pour les cas d'irrecevabilité tirés de la méconnaissance d'une obligation mentionnée dans la notification de la décision attaquée conformément à l'article R. 751-5" du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1543IRL).

Selon la rédaction donnée par le même décret à l'article R. 751-5 du Code de justice administrative, la notification de la décision doit mentionner que copie de la décision doit être jointe à la requête d'appel, que la requête d'appel doit justifier de l'acquittement du droit de timbre, ou de ce que le requérant remplit les conditions permettant de bénéficier de l'aide juridictionnelle et reproduire les dispositions de l'article R. 811-7 du même code (N° Lexbase : L3284AL9). Ainsi, une ordonnance d'irrecevabilité peut donc être rendue, sans demande préalable de régularisation, lorsque la copie de la décision contestée n'est pas annexée à la requête, lorsque la requête n'est pas accompagnée du timbre fiscal ou de la justification de ce que le requérant remplit les conditions de l'aide juridictionnelle et donc lorsque la requête n'a pas été présentée par un mandataire habilité (selon les cas par un avocat, par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation).

La question qui se pose est de savoir plus précisément quelles sont les conséquences à tirer d'une requête d'appel présentée sans ministère d'avocat : convient-il de la déclarer irrecevable ou d'inviter le requérant à la régulariser ? L'arrêt d'espèce permet, en partie, de répondre à cette question. Il ressort des pièces du dossier que le requérant avait été régulièrement informé par lettre de notification du jugement attaqué de l'obligation de recourir au ministère d'avocat pour faire appel de ce jugement. Il a introduit sa requête sans le ministère d'un avocat avant de demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Douai a fait droit à sa demande et désigné un avocat pour le représenter. Cependant, l'avocat nommé n'a pas produit de mémoire après sa désignation au titre de l'aide juridictionnelle. Le président de la cour administrative d'appel a déclaré la requête irrecevable pour cause de défaut de ministère d'avocat sur le fondement de l'article R. 222-1 du Code de justice administrative.

Pour le Conseil d'Etat, les cours administratives d'appel peuvent rejeter les requêtes entachées de défaut de ministère d'avocat, sans demande de régularisation préalable, si le requérant a été averti dans la notification du jugement attaqué que l'obligation du ministère d'avocat s'imposait à lui. Or, en l'espèce, le Conseil d'Etat juge que ce n'est pas le cas. Pour la juridiction suprême, le président de la cour a commis une erreur de droit en déclarant la demande irrecevable et en se bornant juste à mettre en demeure l'avocat désigné d'accomplir les diligences qui lui incombaient sans porter sa carence à la connaissance du requérant afin de le mettre en mesure, le cas échéant, de choisir un autre représentant.

La solution retenue par la Haute assemblée est ici protectrice des droits des justiciables et s'inscrit à la suite de contentieux traités de manière équivalente. Les contentieux précédents avaient, notamment, porté sur le contenu de l'information que doit comporter la notification faite par les tribunaux administratifs pour permettre à la cour de ne pas avoir à inviter à régulariser. Le Conseil d'Etat avait jugé qu'elle devait mentionner, en des termes dépourvus d'ambiguïté, que le ministère d'avocat était obligatoire. Elle ne pouvait se borner à reproduire les règles générales prévues par l'article R. 811-7 qui posait le principe de l'obligation de ministère d'avocat en appel, sauf cas de dispense prévu par une disposition particulière. Autrement dit, l'appelant devait bénéficier d'une information personnalisée lui indiquant qu'il devait constituer avocat et pas seulement d'une information sur les règles applicables, lui laissant le soin de déterminer si cette obligation lui incombait. Il faut que les termes de la notification soient dépourvus d'ambigüité, et tel n'est pas le cas lorsque la notification se borne à reproduire ou à résumer les dispositions de l'article R. 811-7 relatives à cette obligation et aux exceptions qu'elle comporte, sans indiquer si le requérant est effectivement tenu de recourir à un avocat pour former un appel (8).

  • Le non-respect du délai de production d'un mémoire n'empêche pas la possibilité de régulariser la demande jusqu'à la clôture de l'instruction (CAA Douai, 22 novembre 2012, n° 12DA00510, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3143IY3)

Il relève de l'essence d'une décision de justice que le juge puisse se décider avec tous les éléments en main. Donc, dès qu'une partie fait état d'un argument ou produit un document, il est essentiel que l'autre partie ait la possibilité et le temps de répondre à cet argument. L'idée est d'empêcher une partie de gagner un procès simplement parce que l'autre n'a pas eu la possibilité de répondre à un argument qui peut être décisif. La décision de justice doit, ainsi, être rendue après un examen serein de tous les éléments du dossier. Désigné classiquement sous l'appellation de "principe du contradictoire" ou, plus récemment, "principe de la contradiction", la règle posée par l'article L. 5 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2612ALC) s'oppose à ce que le juge rende une décision fondée, en tout ou en partie, sur une pièce du dossier que la partie perdante n'aurait pas été mise à même de discuter ou, en d'autres termes, de contredire. La contradiction permet, ainsi, d'assurer une égalité entre les parties, qui ont le même accès au dossier au vu duquel le juge se prononce.

L''obligation pesant sur le juge est de mettre en oeuvre un pouvoir inquisitorial de direction de l'instruction de façon à assurer le respect de cette égalité mais, concernant plus particulièrement la communication des mémoires entre les parties, il n'est pas toujours facile d'articuler les règles relatives aux délais de production des mémoires et celles relatives à la régularisation des mémoires.

Il ressort des pièces du dossier que la partie requérante, une association, avait reçu communication du mémoire en défense de la partie adverse, lequel soulevait une fin de non-recevoir tirée du défaut de production de ses statuts et de l'habilitation à ester en justice de son président. Elle n'avait pas répondu à ce mémoire dans le délai de trente jours qui lui avait été fixé et avait vu sa requête rejetée pour irrecevabilité par le tribunal. La cour relève, toutefois, que le délai ainsi donné, en application de l'article R. 611-10 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4869IRR) (9), à l'association pour produire son mémoire en réponse n'emportait, par lui-même, aucune forclusion. Dans ces conditions, et malgré son retard à répondre, l'association conservait la possibilité de régulariser sa demande jusqu'à la clôture de l'instruction. La juridiction doit inviter les parties à régulariser dans un délai imparti leurs conclusions et les avertir qu'à défaut d'une régularisation, celles-ci pourront être rejetées comme irrecevables dès l'expiration de ce délai. En l'absence de cette invitation, les parties conservent la possibilité de régulariser leurs demandes jusqu'à la clôture de l'instruction.

Pour que le principe du contradictoire puisse être pleinement respecté, le Code de justice administrative prévoit que la réponse à la suite de la communication des mémoires tant en demande, qu'en défense ou en intervention doit être faite dans des délais prévus respectivement aux articles R. 611-10 pour les tribunaux administratifs, R. 611-17 (N° Lexbase : L5962IGW) pour les cours administrative d'appels et R. 611-25 (N° Lexbase : L3120AL7) pour le Conseil d'Etat. Toutefois, ces articles ne prévoient pas de durée pour ce délai qui est fixé "eu égard aux circonstances de l'affaire", c'est-à-dire eu égard à sa complexité, mais aussi à l'urgence de la procédure. Il appartient donc au magistrat instructeur de le fixer, sous contrôle le cas échéant du juge d'appel ou de cassation. La fixation d'un délai trop bref pour pouvoir produire constituant une atteinte au principe du contradictoire, le jugement ou l'arrêt entaché d'une telle violation sera annulé.

Tout comme l'absence de fixation d'un délai précis n'entache pas d'irrégularité la procédure pour la production d'un mémoire complémentaire (10), le dépassement du délai fixé aux parties n'est donc pas automatiquement sanctionné. Le délai n'a aucun caractère impératif (11) dès lors que son non-respect n'encourt aucune sanction. L'article R. 612-3 (N° Lexbase : L5952IGK) prévoit, toutefois, que, lorsqu'une des parties n'a pas respecté le délai qui lui a été imparti, le président de la formation de jugement peut lui adresser une mise en demeure. En cas de force majeure, un nouveau et dernier délai peut être accordé. L'appréciation de la durée du délai dépend de l'appréciation souveraine des juges du fond. Un délai de quarante-huit heures a, ainsi, été jugé suffisant dans le cas où le mémoire ne comportait pas d'élément nouveau par rapport à ceux qui avaient été précédemment communiqués (12). En sens contraire, un délai de trois jours pour répondre à un mémoire en défense n'est pas, de manière générale, suffisant pour que le principe du contradictoire de l'instruction puisse être considéré comme respecté (13).

Si, par principe, la procédure administrative contentieuse ne peut qu'attacher une importance extrême au déroulement des échanges durant l'instruction, l'arrêt témoigne, néanmoins, d'une conception exigeante de l'invitation à régulariser. L'irrecevabilité en tant que question d'ordre public ne peut conduire qu'au rejet de la requête sans examen de son mérite. Cette sévérité est, cependant, tempérée, de longue date, par l'obligation pour le juge d'inviter l'auteur d'une requête irrecevable à la régulariser, lorsqu'une telle régularisation est possible.

D'origine jurisprudentielle (14), l'invitation à régulariser n'a pas d'équivalent en procédure civile. Si la conception forte et large de l'obligation de régulariser est protectrice des droits des justiciables, la tendance contemporaine, tant textuelle que jurisprudentielle, est, au contraire, de proportionner le formalisme en matière d'invitations à régulariser et de moyens soulevés d'office à leur intérêt pour le débat contradictoire, compte tenu des informations connues ou supposées connues des parties et de leurs conseils. Plusieurs décrets ont dispensé les juges d'appel et de cassation d'inviter les parties à régulariser leur requête d'appel ou leur pourvoi quant à la production de la décision juridictionnelle attaquée et de ministère d'avocat (15). La dispense d'invitation à régulariser est même générale en matière de procédure d'admission des pourvois en cassation (CJA, art. R. 822-6 N° Lexbase : L3311AL9) et de référés d'urgence (CJA, art. R. 522-2 N° Lexbase : L2529AQQ). La solution est étendue aux juridictions administratives spécialisées, qui, en l'absence de dispositions expresses, ne sont pas couvertes par les obligations définies par le Code de justice administrative pour les juridictions de droit commun (16). L'article R. 411-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1542IRK), encore, dispense d'inviter à régulariser les requêtes dépourvues de timbre fiscal lorsque cette exigence est mentionnée par la notification de la décision administrative attaquée, ou lorsque la requête est introduite par un avocat. L'article R. 771-4 (N° Lexbase : L5757IGC), enfin, dispense d'inviter à régulariser les questions prioritaires de constitutionnalité qui ne sont pas présentées par un mémoire distinct et motivé.

Au final, si l'on peut apprécier cette conception large de la perception de l'invitation à régulariser au regard de la protection des droits des justiciables et de l'assouplissement bienvenu du régime procédural des irrecevabilités devant le juge administratif, il ne faut pas non plus que cette perception fragilise encore davantage l'ensemble de la procédure administrative contentieuse au regard du principe du contradictoire. Il convient, en ce sens, de trouver le juste équilibre pour ne pas remettre en cause les modalités de déroulement de l'instruction. Le juge administratif est doté d'un véritable arsenal procédural pour prévenir la durée excessive des procédures. Il a donc le devoir de veiller à la célérité et à la prévisibilité de l'instruction et est, aujourd'hui, conduit à faire un plus grand usage de ses pouvoirs d'instruction. De nombreuses réformes procédurales touchant l'office du juge administratif ont renforcé ces pouvoirs d'instruction afin de lui permettre d'accélérer le jugement des affaires, mais il y a là qu'une simple obligation de diligence. Si le juge peut et doit vaincre l'inertie des parties ou celle des experts, il ne doit pas le faire au détriment des droits des justiciables.


(1) Décret n° 2003-543 du 24 juin 2003, relatif aux cours administratives d'appel et modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative (N° Lexbase : L6539BHN), codifié sur ce point aux articles R. 222-13 et R. 811-1 (N° Lexbase : L8777IBP) du Code de justice administrative (JO, 25 juin 2003, p. 10657).
(2) CE Sect., 5 mai 2006, n° 280223, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2411DPY), Rec. CE, p. 231.
(3) CE 2° et 7° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 264992, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1353DKC), Rec. CE, tables, p. 804.
(4) L. Garrido, La responsabilisation des acteurs du procès administratif : remède aux délais excessifs de jugement ou avatar ?, DA, 2011, n° 5, mai, étude n° 9.
(5) Ibid.
(6) Article 10 du décret n° 2003-543 du 24 juin 2003, relatif aux cours administratives d'appel et modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative (N° Lexbase : L6539BHN) (JO, 25 juin 2003, p. 10657), codifié sur ce point aux articles R. 751-5 et R. 811-7.
(7) Décret n° 2002-547 du 19 avril 2002, modifiant certaines dispositions de la partie réglementaire du Code de justice administrative (JO, 21 avril 2002, p. 7137).
(8) CE 3° et 8° s-s-r., 27 février 2006, n° 269589, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3985DNW), Droit Fiscal, 2006, n° 27, comm. n° 493, concl. L. Olléon ; voir, dans le même sens, CE 9° s-s., 26 mars 2007, n° 266738, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8118DU9), Procédures, 2007, n° 154, note J.-L. Pierre.
(9) L'article R. 611-10 du Code de justice administrative dispose que "sous l'autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, le délai accordé aux parties pour produire leurs mémoires. Il peut demander aux parties, pour être jointes à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige".
(10) Ainsi, le tribunal administratif de Lille a pu légalement clore l'instruction et fixer la date de son audience, l'affaire étant en état d'être jugée : CE 2° et 6° s-s-r., 10 octobre 1990, n° 94808, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6096AQT), Rec. CE, tables, p. 926.
(11) Sauf recours à l'article R. 611-3, alinéa 3, du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7769HEH), selon lequel "les notifications des requêtes et mémoires mentionnent qu'en cas d'inobservation du délai imparti pour produire en application de l'article R. 611-10 ou de l'article R. 611-17, l'instruction pourra, sans mise en demeure préalable, être close dans les conditions prévues aux articles R. 613-1 (N° Lexbase : L5927IGMet R. 613-2 (N° Lexbase : L5878IGS)".
(12) CE 4° et 6° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 211240, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2215AIU), RFDA, 2001, p. 294.
(13) CE 3° et 5° s-s-r., 7 avril 1993, n° 101340, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9177AMT).
(14) CE Sect., 26 juin 1959, Syndicat algérien de l'éducation surveillée CFTC, Rec. CE, p. 399.
(15) Cf. les décrets n° 2001-710 du 31 juillet 2001, modifiant certaines dispositions de la partie réglementaire du Code de justice administrative (N° Lexbase : L9952IU7) (JO, 3 août 2001, p.12584), et n° 2003-543 du 24 juin 2003, relatif aux cours administratives d'appel et modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative (N° Lexbase : L6539BHN) (JO, 25 juin 2003, p.10657).
(16) CE 4° et 5° s-s-r., 22 mars 2010, n° 323748, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1398EUC).

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