Réf. : CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 1er décembre 2021, n° 20/04742 (N° Lexbase : A83027DT)
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par Vincent Téchené
le 30 Décembre 2021
► Le projet de la locataire de cession de son fonds de commerce ou de son droit au bail, le départ à la retraite du gérant de la société locataire ou encore l’insuffisance des capitaux propres de cette dernière ne caractérisent pas l'existence d'une cause objective de précarité de l'occupation des lieux, permettant le recours à une convention d'occupation précaire.
Faits et procédure. Par acte sous seing privé du 24 octobre 2005, les propriétaires d’un local commercial ont conclu avec une SARL un bail commercial pour l’exploitation d'un fonds de commerce.
Le 29 juin 2007, la locataire et les bailleurs ont signé un accord ayant pour objet d'anticiper la rupture du bail en cours à effet du 31 décembre 2007, laissant le propriétaire bailleur libre de convenir d'un nouveau bail avec les éventuels successeurs. À la suite de la cession de l’immeuble par les bailleurs, la nouvelle propriétaire du local a mis en demeure la locataire de libérer les lieux sans délai exposant qu'à la suite de l'expiration de la convention précaire consentie le 29 juin 2007 d'une durée de 23 mois, elle était occupante sans droit ni titre.
Une première cour d’appel (CA Rouen, 5 décembre 2013, n° 13/00987 N° Lexbase : A7174KQR) a fait droit aux demandes de la bailleresse, retenant que la circonstance particulière objective justifiant la précarité de l'occupation de l'immeuble résulte de la volonté même exprimée par la locataire de mettre un terme au bail commercial initial dont elle disposait et partant de quitter les lieux, le maintien dans les lieux ne lui étant plus permis que le temps pour elle de trouver un acquéreur au plus tard pour le 30 novembre 2009. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 7 juillet 2015, n° 14-11.644, F-D N° Lexbase : A7532NMW) avait alors censuré l’arrêt d’appel, retenant que ce dernier avait statué par des motifs impropres à caractériser l'existence, au moment de la signature de la convention, de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties justifiant le recours à une convention d'occupation précaire.
Par un second arrêt, la cour d’appel de Caen (CA Caen, 14 juin 2018, n° 15/02811 N° Lexbase : A0499XRW) a résisté et conclut, pour les mêmes raisons que la précédente cour d'appel, que le contrat était une convention d’occupation précaire. La Cour de cassation, saisie d’un second pourvoi, a donc de nouveau censuré l’arrêt d’appel pour les mêmes motifs (Cass. civ. 3, 12 décembre 2019, n° 18-23.784, FS-P+B+I N° Lexbase : A1655Z8S ; v. J. Prigent, Lexbase Affaires, décembre 2019, n° 618 N° Lexbase : N1603BYZ).
Décision. La cour d’appel de Paris, statuant comme troisième cour d’appel dans ce marathon judiciaire, relève que la locataire a été autorisée à se maintenir dans les lieux pendant une période maximum de 23 mois dans l'attente de la cession de son fonds de commerce ou de son droit au bail, la convention organisant les relations des parties pendant cette période.
Le projet de cession portait sur son fonds de commerce ou sur son droit au bail, ce qui exclut l'existence d'une cause objective de précarité de l'occupation des lieux faisant obstacle à la conclusion ou à l'exécution d'un bail commercial et justifiant le recours à une convention d'occupation précaire.
Par ailleurs, le motif tiré du départ à la retraite du gérant de la société locataire ne constitue pas une cause de précarité justifiant de recourir à une convention d'occupation précaire puisqu'il existe des dispositions spécifiques concernant la vente du fonds de commerce ou du droit au bail en ce cas dans le cadre des dispositions du statut des baux commerciaux.
Enfin, il n'existe aucune automaticité de la dissolution d'une société en cas d'insuffisance de capitaux propres, le tribunal de commerce, qui en l'espèce n'a pas été saisi d'une telle demande par un tiers, pouvant en tout état de cause accorder par application de l'article L. 223-42 du Code de commerce (N° Lexbase : L5867AI7) un délai de six mois à la société afin de régulariser la situation, de sorte qu'il s'agit d'un motif inopérant.
Par conséquent, la cour d’appel en conclut que la convention du 29 juin 2007 ne peut pas être qualifiée de convention d'occupation précaire.
Observations. Pour rappel, une convention d'occupation précaire est une convention par laquelle un propriétaire accorde un droit de jouissance sur des locaux, caractérisé par sa fragilité. La jurisprudence a exclu cette convention du champ d'application du statut des baux commerciaux. La loi « Pinel » (loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 N° Lexbase : L4967I3D) a créé un article L. 145-5-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4973I3L) qui consacre cette solution prétorienne. Ainsi, il est désormais prévu que « N'est pas soumise au [statut des baux commerciaux] la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties ».
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les contrats exclus du champ d'application du statut des baux commerciaux, Les critères d'identification de la convention d'occupation précaire, in Baux commerciaux, (dir. J. Prigent), Lexbase (N° Lexbase : E0768AGK). |
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