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par Marie Le Guerroué et Joséphine Pasieczny
le 03 Novembre 2021
Mots-clés : Interview • projet de loi « Confiance dans l'institution judiciaire » • secret professionnel • exceptions • CNB
Le Conseil national des barreaux a voté vendredi dernier à l’unanimité une proposition de modification substantielle de l’article 3 du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire » et donné mandat au bureau de la porter devant les pouvoirs publics. Matthieu Boissavy, Avocat aux barreaux de Paris et de New York et vice-président de la commission Libertés, a accepté de revenir pour Lexbase Avocats et pour Lexradio sur les raisons de la colère qui gronde dans la profession depuis l’adoption par la commission mixte paritaire d’un texte restreignant le secret professionnel, mais également de nous en dire plus sur cette ultime tentative pour le CNB de sauver un secret professionnel menacé.
Cette interview est également à retrouver en podcast sur Lexradio.
Lexbase Avocats : Est-ce que vous pouvez nous rappeler en substance le contenu du texte qui a été adopté par la commission paritaire le 21 octobre dernier ?
La profession, soucieuse du respect du droit des citoyens, était très satisfaite de la version du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire » sur ses dispositions concernant le secret professionnel de l’avocat votée par l’Assemblée nationale en mai dernier. Elle renforçait indéniablement la protection du secret en toutes matières, tant dans le domaine du conseil que celui de la défense. En septembre dernier, le Sénat a voté un amendement à ces dispositions prévoyant une exception dans le domaine du conseil. Une exception qui était si large qu’elle détruisait le principe de la protection du secret professionnel. La profession s’est mobilisée et nous espérions que la commission mixte paritaire reprenne ce qui avait été décidé par l’Assemblée nationale. Malheureusement, elle a adopté non plus une exception, mais deux exceptions qui sont si larges, qu’elles détruisent le principe de la protection du secret en matière de conseil. Il faut comprendre que le conseil et la défense sont imbriqués. Par exemple, si une personne vient voir un avocat pour obtenir des conseils sur sa situation passée ou un projet d’avenir et qu’il n’y a pas encore de procédure engagée, toutes les confidences du client à son avocat, toutes les consultations juridiques de l’avocat doivent être protégées par un secret de manière à ce qu’elles ne puissent pas se retourner ultérieurement contre le client si une procédure le met un jour en cause. Cela est très important, car l’avocat diffuse le droit dans la société en prodiguant des conseils en toute légalité, et permet à des clients qui étaient dans une situation difficile ou infractionnelle d’être conseillés afin qu’ils respectent le droit. Si les confidences que fait un client à son avocat ne sont pas protégées par un secret et peuvent être ultérieurement saisies par les autorités d’enquête et de poursuite, cela a des conséquences. Le lien entre l’avocat et le client devient un piège. Les clients se confient à leur avocat en pensant à tort que les confidences et les conseils qu’il lui donne seront couverts par un secret.
S’agissant plus précisément des exceptions prévues par la commission mixte paritaire, la première est la suivante :
« Article 56-1-2. - Dans les cas prévus aux articles 56-1 et 56-1-1, le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction :
`« 1° Lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du Code général des impôts et aux articles 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du Code pénal ainsi qu’au blanchiment de ces délits et que les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l’avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions »
Elle vise les délits financiers, la corruption, la fraude fiscale, le trafic d'influence et le financement de terrorisme ou le blanchiment de ces délits. Cette situation est beaucoup plus large que celle dans laquelle l’avocat a lui-même commis une infraction. Bien entendu, le secret n’est pas l’impunité pour l’avocat. C’est très important de le comprendre, les avocats ne revendiquent pas l'immunité ou l'impunité. Il n'y a évidemment pas de secret opposable si l'avocat a commis une infraction.
La seconde exception prévue par la commission mixte paritaire est la suivante :
« 2° Ou lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction. ».
Elle est encore plus large et encore plus vague que la première. Elle concerne toutes les infractions. Selon le texte, le secret professionnel du conseil ne sera pas opposable dans le cas des perquisitions, lorsque l'avocat a fait l'objet de manœuvres ou actions afin de permettre de façon non intentionnelle la commission, la poursuite ou la dissimulation d'une infraction. Ce texte est très difficile à comprendre, sa rédaction très complexe pourrait d’ailleurs faire l'objet d'un nombre important de contentieux. Il s’agit d’une sorte de création d’une notion juridique nouvelle qui serait la complicité passive de l'avocat manipulé ou idiot. Cette exception n'est absolument pas acceptable.
Si ces exceptions étaient adoptées dans le texte final, elles pourraient permettre de saisir dans le domaine du conseil toutes les confidences entre un avocat et son client, ainsi que les consultations juridiques de l'avocat même si celui-ci a respecté la loi et donné des conseils juridiques appropriés à son client, que ce dernier les ait suivis ou non. Par ailleurs, ces exceptions écartent les prérogatives du Bâtonnier dans son rôle protecteur du secret. Car ces exceptions qui seraient prévues dans ce projet d'article 56-1-2 du Code de procédure pénale ne renvoient pas ou ne précisent pas le recours aux prérogatives du Bâtonnier dans le cadre des perquisitions. Cela encore est inacceptable.
Depuis des temps immémoriaux et, en tout cas depuis le Digeste de Justinien, l'avocat ne porte pas témoignage des confidences reçues de son client ou faites à celui-ci. Ces exceptions ne respectent pas ce principe. Elles sont similaires à des dispositions qui obligeraient un avocat à venir témoigner à la barre d'un tribunal pour dire au juge ce qu'il a conseillé ou déconseillé à son client. Vous rendez-vous compte de l'énormité que cela représente ?
Lexbase Avocats : Pourquoi, selon vous, le législateur pense-t-il que le secret des avocats est un obstacle à la lutte contre la délinquance financière ?
Les promoteurs de ces exceptions expliquent que dans les affaires financières, les délits financiers complexes, les enquêtes sur les délits financiers complexes, les enquêteurs manquent de moyens, de ressources matérielles et humaines pour accomplir leur travail. Et donc il serait beaucoup plus simple pour eux de pouvoir « faire leurs courses » et d'aller dans les cabinets d'avocats pour aller saisir les confidences entre l'avocat et son client et les consultations juridiques. Cela reviendrait à pouvoir être autorisé à mettre des micros dans les cabinets d'avocats pour entendre les conversations entre un avocat et son client. Cette stratégie répressive est à courte vue parce qu'il est très clair que s’il n’y a pas en France de protection du secret en matière de conseil comme il existe dans les pays de Common Law - et je ne crois pas qu’aux États-Unis ou en Angleterre les enquêteurs aient un problème avec le secret professionnel des lawyers ou barrsiters ou sollicitors - d'abord ça se saura parce que les gens ne sont pas idiots donc ils ne voudront plus se confier aussi librement qu'ils le font aujourd'hui, donc les avocats ne pourront plus les conseiller utilement. Ensuite, il est clair également que les avocats seront tenus de dire à leurs clients que leurs confidences ne pourront pas être retranscrites dans une consultation et que les conseils ne pourront pas être écrits parce que tout cela pourrait être un jour saisi par des autorités d'enquêtes et de poursuites. Donc ceux qui ont des moyens financiers iront consulter à l'étranger quitte à prendre des avocats français installés à l'étranger ou des juristes formés au droit français, mais qui sont installés dans des pays qui protègent le secret. Cette stratégie répressive est à courte vue. Elle ne sera pas efficace. Elle met en péril la réputation du système juridique français en France alors même que le Gouvernement, de manière fort louable, cherche à ce que Paris devienne une place internationale du droit. Ces dispositions mettent en péril toutes les actions qui sont menées pour réaliser cet objectif.
Lexbase Avocats : Quelle a été la réaction du Gouvernement à la colère des avocats ?
Lorsque nous avons pris connaissance, le 21 octobre dernier, de ces exceptions, la profession s'est entièrement mobilisée. Tous les barreaux ont pris des motions de protestation contre ce texte tout comme l'Ordre des avocats de Paris, la Conférence des Bâtonniers et le Conseil national des barreaux ainsi que tous les syndicats d'avocats. La colère, l’expression de la colère, a été telle que le Gouvernement semble l'avoir entendue. Il y a une semaine, le ministre de la Justice a demandé à rencontrer le président du Conseil national des barreaux, Jérôme Gavaudan, la présidente de la Conférence des Bâtonniers, Hélène Fontaine, et le Bâtonnier de Paris, Olivier Cousi. Il a invité la profession à proposer un texte qui serait validé par les instances représentatives de la profession. Les trois institutions représentatives ont constitué un groupe de travail et celui-ci a proposé un texte alternatif dans l'hypothèse où les deux exceptions de la CMP ne seraient pas retirées. Il s’agit d’un texte alternatif qui a été validé vendredi 29 octobre dernier par l'ensemble des syndicats d'avocats et des institutions représentatives de la profession.
Lexbase Avocats : L’assemblée du CNB a donc proposé une nouvelle version de l’article 3 du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire ». Que propose cette nouvelle rédaction ?
La proposition porte sur une modification de la rédaction de l'article 56-1-2 du Code de procédure pénale, celui qui prévoit les deux exceptions scélérates. Elle consiste d'abord à supprimer purement et simplement la deuxième exception, celle qui crée une notion de complicité passive d'un avocat manipulé ou idiot. En effet, on a considéré que cette exception était si mal inspirée qu'on ne pouvait pas tremper notre plume pour écrire quoi que ce soit.
La proposition vise ensuite à restaurer les prérogatives du Bâtonnier dans son rôle de protecteur du secret, prérogatives qui ont été supprimées dans ce projet d'article. Enfin, elle insère la seule exception toujours admise par la profession en cas de participation intentionnelle de l'avocat à l’infraction.
Lexbase Avocats : Pensez-vous que cette nouvelle version sera un compromis acceptable pour les parlementaires et le Gouvernement ?
Nous pensons que nombre de parlementaires et, même au sein du Gouvernement, ont pris conscience de l'énormité que représentait les deux exceptions et ils sont, nous l'espérons, désireux de trouver effectivement un texte qui réponde aux préoccupations des avocats dans l'intérêt des droits des citoyens et des justiciables et qui puisse s'insérer dans une partie du texte adopté par la commission mixte paritaire.
Nous pensons que ce texte que nous leur proposons est tout à fait acceptable, s'ils ne souhaitent pas retirer les exceptions. La balle est maintenant dans le camp du Gouvernement et des parlementaires. À ce stade de la procédure, seul le Gouvernement peut proposer un amendement au texte. Donc nous espérons, parce que si les deux exceptions ne sont pas retirées ou que le texte que nous proposons n’est pas d'adopté, nous estimons que sera commise une grave atteinte à l'état de droit en France.
Lexbase Avocats : Est-ce que d’autres recours seront possibles si la loi est votée ?
Si la loi est votée, il pourra y avoir un recours devant le Conseil constitutionnel. Si cela n’est pas le cas, il restera la possibilité d’une question prioritaire de constitutionnalité, le recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne. Mais cela prendra des années. Les parlementaires et le Gouvernement ont encore la possibilité de ne pas commettre cette erreur, car il n’y a pas de confiance possible dans la Justice s’il n’y a pas de confiance dans l’avocat. Pour que celui-ci puisse prodiguer des conseils juridiques en toute légalité, il faut que son client puisse se confier à lui sans craindre que ce qu’il dit à son avocat ne se retourne un jour contre lui.
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