Le Quotidien du 3 novembre 2021 : Actualité judiciaire

[A la une] Affaires des sondages de l’Élysée : Nicolas Sarkozy est venu, il a parlé, mais il n’a pas répondu

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par Adélaïde Léon

le 24 Novembre 2021

Estimant qu’il ne pouvait s’expliquer sur la façon dont il avait organisé son cabinet et sur les modalités d’exercice de ses fonctions de Président de la République, Nicolas Sarkozy a opposé un silence quasi systématique à l’ensemble des questions du tribunal correctionnel ; silence qu’il a expliqué dans une déclaration liminaire au cours de laquelle il a livré son interprétation des alinéas 1 et 2 de l’article 67 de la Constitution.

Cité comme témoin par l’association Anticor dans le cadre du procès dit « des sondages de l’Élysée », l’ancien Président de la République avait fait savoir qu’il ne comptait pas se rendre devant la 32ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Le 19 octobre 2021, un mandat d’amener était délivré par le tribunal à son encontre afin qu’il soit entendu le 2 novembre 2021. Dès le lendemain, Nicolas Sarkozy faisait savoir qu’il se rendrait lui-même au tribunal à la date fixée. L’intéressé ne manquera pas de signaler à l’audience qu’il a formé un appel contre la décision « coercitive » du tribunal.

Si le président que j’ai été n’applique pas la Constitution, alors qui le fera…

L’ancien chef de l’État a souhaité que son audition débute par une déclaration liminaire que l’on devine longuement préparée. Au cours de celle-ci, il a livré au tribunal et aux parties son interprétation de l’article 67 de la Constitution (N° Lexbase : L1333A9A) relatif à l’immunité présidentielle. C’est sur cet exposé qu’il se fondera pour dénoncer le mandat d’amener délivré à son encontre et justifier son silence quasi complet face aux questions du tribunal.

Nicolas Sarkozy ne mache pas ses mots devant le président du tribunal « envisager de me faire amener par la force publique, c’est parfaitement et pour la quasi-totalité des constitutionnalistes, inconstitutionnel ».

Il rappelle les principes d’inviolabilité provisoire et d’immunité définitive prévus par la Constitution. Cette protection, « qui protège la fonction et non pas la personne […] le président lui-même ne peut y renoncer ».

Il invoque la séparation des pouvoirs, « principe essentiel de la démocratie », en vertu duquel il n’aurait pas à rendre compte de l’organisation de son cabinet ou de la façon dont il a exercé ses fonctions. « J’en ai rendu compte devant les français, j’ai été élu, puis battu ».

Enfin, rappelant qu’il a été le premier président à vouloir faire entrer la Cour des comptes à l’Élysée, il témoigne de son sentiment d’injustice et d’incompréhension de voir ce souci de transparence se retourner aujourd’hui contre lui.

Je ne veux pas manquer de respect à l’institution judiciaire, je ne l’ai jamais fait

Viennent ensuite les questions du tribunal. Sans surprise, Nicolas Sarkozy refuse de répondre. Mais le président du tribunal soumet malgré tout ses interrogations au témoin.

Ce dernier hausse les épaules et oppose tantôt un silence, tantôt les arguments développés dans ses propos liminaires « je n’ai pas droit de m’extraire des obligations constitutionnelles qui sont les miennes. Si je commence à répondre, ça veut dire que je m’explique sur les fonctions ». Il ose même un « je n’ai pas l’intention de violer la Constitution, ce que vous êtes en train de faire » mais souligne dès après « je donne mon opinion et ce n’est pas une marque irrespectueuse à l’endroit de qui que ce soit ». Prudent, tout au long de son audition et dans le peu qu’il dira, Nicolas Sarkozy prendra soin d’affirmer systématiquement son respect à l’endroit du tribunal. En revanche, il ne manquera pas de faire quelques remarques sarcastiques dirigées vers Patrick Buisson.

Cette question de séparation est une lubie, une antienne

L’échange le plus marquant de cette journée est sans doute celui qui a opposé Maître Jérôme Karsenti à Nicolas Sarkozy. L’avocat de l’association Anticor, partie civile dans ce dossier, s’interroge : « je cherche à comprendre l’articulation de votre pensée », « aujourd’hui vous comparaissez comme témoin volontairement […] qu’est ce qui vous empêche de répondre […] de témoigner, une fois votre contrat terminé » et attaque « cette question de la séparation des pouvoirs est une lubie, une antienne ». Mais le président réplique en rappelant que, quelques mois en arrière, le monde de la justice lui-même dénonçait l’immixtion du politique dans son organisation. Visiblement agacé, Maître Karsenti conclura, « vous faites un parallélisme avec l’immixtion du politique dans le pouvoir judiciaire. Je vous rappelle qui si un pouvoir a été violenté par le pouvoir politique, c’est le pouvoir judiciaire ».

Ce n’est pas une petite audience ni une petite question. C’est un problème fondamental qui intéresse tous les français

Au milieu de cet échange, est mise en lumière l’épineuse question de la constitutionnalité de la convocation et de l’audition de Nicolas Sarkozy. Question très clairement exposée dans une tribune du Professeur Jeanneney, publiée dans Le Monde et citée par Maître Karsenti.

L’audience s’achève par le dépôt d’un incident de sursis à statuer déposé par Maître Philippe Bouchez El-Ghozi, avocat de Claude Guéant, et d’un vif échange sur la nécessité d’attendre le résultat de l’appel formé par l’ancien président contre la décision de délivrer à son encontre un mandat d’amener. Pour le ministère public, la décision attaquée est une mesure d’administration de la justice non susceptible d’appel. Pour Maître Karsenti, cet incident est une mesure dilatoire visant à retarder un procès dont l’issue est attendue depuis de nombreuses années.

Finalement, Maître Jean Veil conclut « on risque de ne pas s’arrêter à une décision de la cour d’appel. Il pourrait y avoir un pourvoi. D’une manière ou d’une autre on pourrait imaginer que le Conseil constitutionnel arbitre ce qui a été dit aujourd’hui et dans quel sens il convient d’interpréter les dispositions des alinéas 1 et 2 de l’article 67 de la Constitution. », « Quelle est la responsabilité, quelle est l’inviolabilité, quel est le silence que le président de la République peut opposer. », « Ce n’est pas une petite audience, ni une petite question. C’est un problème fondamental qui intéresse tous les français et nos enfants avec ».

Après une suspension d’audience, le tribunal joint finalement l’incident au fond.

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