Lexbase Fiscal n°879 du 30 septembre 2021 : Fiscalité des particuliers

[Conclusions] Précisions du Conseil d’État sur l’imposition des pensions alimentaires réglées en nature par l’ex-époux - Conclusions de la Rapporteure publique

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 5 juillet 2021, n° 434517, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A30144YB)

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[Conclusions] Précisions du Conseil d’État sur l’imposition des pensions alimentaires réglées en nature par l’ex-époux - Conclusions de la Rapporteure publique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/72607937-conclusionsprecisionsduconseildetatsurlimpositiondespensionsalimentairesregleesennature
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par Marie-Gabrielle Merloz, Rapporteure publique au Conseil d’État

le 01 Octobre 2021


Mots-clés : famille • pensions alimentaires • divorce • fiscalité

1. Le présent pourvoi porte sur l’attribution de la majoration de quotient familial en cas de parents divorcés et sur les règles applicables aux pensions alimentaires dans une configuration atypique qui soulève des questions inédites dans votre jurisprudence.

Lexbase Fiscal vous propose les conclusions anonymisées de la Rapporteure publique, Marie-Gabrielle Merloz.


 

Mme N. s’est séparée de son époux en 2009 avec qui elle a eu trois enfants nés en 1998, 2001 et 2004. Par une ordonnance de non-conciliation du 3 avril 2009, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris a attribué la jouissance gratuite du logement et du mobilier de ménage à Mme N. et fixé à 8 000 euros la pension alimentaire mensuelle qui devait lui être versée au titre du devoir de secours. La résidence habituelle des enfants a été fixée chez leur mère, le père bénéficiant d’un droit de visite et d’hébergement. La contribution mensuelle à l’entretien et l’éducation de leurs trois enfants mineurs devant être versée par ce dernier a été fixée à 2 000 euros par enfant (soit 6 000 euros par mois). Il devait en outre prendre en charge directement les frais de scolarité et des activités extrascolaires des enfants ainsi que les salaires et cotisations afférents à la nourrice et l’employée de maison engagées par le couple. Ces modalités ont été confirmées après le prononcé du divorce par un jugement du 28 septembre 2012 de ce même tribunal.

À l’issue du contrôle sur pièces dont Mme N. a fait l’objet, l’administration fiscale a réintégré dans ses revenus imposables des années 2010 à 2012 les sommes, qu’elle avait omises de déclarer, correspondant aux frais directement pris en charge par son ex-époux au titre de sa contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ainsi qu’une évaluation de l’avantage en nature correspondant à la jouissance gratuite de la totalité du logement familial détenu en indivision avec son ex-époux, soit des rectifications au titre de chacune des trois années vérifiées de 136 343 euros, 149 707 euros et 186 228 euros. Il en est résulté un redressement en matière d’impôt sur le revenu incluant l’application, pour 2011 et 2012, de la contribution exceptionnelle aux hauts revenus prévue au 1 du I de l’article 223 sexies du CGI (N° Lexbase : L9339LHD). Mme N. a contesté ces rehaussements en faisant valoir que les pensions alimentaires versées en nature étaient exonérées d’impôt sur le revenu. Elle a également contesté ses cotisations primitives d’impôt sur le revenu au titre des années 2010 à 2012, au motif que les sommes versées en numéraire au titre de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, qu’elle avait spontanément déclarées, n’étaient en réalité pas imposables. Après le rejet de sa réclamation, elle a porté le litige devant le juge de l’impôt. Par un jugement du 2 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Elle n’a pas eu plus de succès devant la cour administrative d’appel de Paris qui, par un arrêt du 11 juillet 2019, a confirmé que la majoration de quotient familial devait lui être attribuée et que les pensions alimentaires litigieuses, qu’elles soient versées en numéraire ou en nature, étaient imposables entre ses mains. C’est l’arrêt attaqué.

2. Mme N. reproche tout d’abord à la cour, sous le timbre de l’erreur de droit et, à tout le moins, de la dénaturation, d’avoir jugé qu’elle « n’établi[ssai]t pas qu’au cours des années en litige, [son ex-époux] avait supporté la charge principale de l’entretien de leurs enfants en faisant valoir, d’une part, qu’il a pris en charge les salaires et cotisations sociales de la nourrice et de l’employé de maison, les frais de scolarité, des activités extra-scolaires et des cours de soutien scolaire des enfants, et, d’autre part, qu’il a mis à sa disposition et à celle de leurs enfants, sa part indivise sur l’appartement familial ». Elle estime qu’au vu des charges d’entretien assumées par son ex-époux, c’est lui et non elle qui doit en réalité bénéficier de la majoration de quotient familial, en dépit de la fixation par le juge des affaires familiales de la résidence des enfants à son domicile. Le litige se présente ainsi à front renversé et s’explique par le fait que Mme N. croit pouvoir en déduire que les pensions qui lui sont versées par son ex-époux ne seraient alors pas imposables, nous y reviendrons.

2.1. Vous vous souvenez que le législateur a dû en 2002 mettre en conformité le droit fiscal avec l’évolution du droit civil. La loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale [1] a redéfini la notion d’autorité parentale en faisant disparaître toute référence à la notion de garde juridique (C. civ., art. 372 N° Lexbase : L4364L7R) et a consacré la possibilité, en cas de séparation ou de divorce, de fixer la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents (C. civ., art. 373-2-9 N° Lexbase : L0239K7Y). L’article 30 de la loi de finances rectificative pour 2002 [2] a tiré les conséquences fiscales de ces évolutions en réécrivant plusieurs articles du CGI afin, d’une part, de modifier les principes de rattachement de l’enfant au foyer fiscal en substituant à la notion de garde le critère de la charge effective d’entretien et d’éducation de l’enfant, dégagé quelques mois plus tôt, de manière prétorienne, par votre avis de Section « Mouthe » (CE Section,14 juin 2002, n° 241036, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1446AZL, RJF, 8-9/02, n° 893, concl. G. Bachelier, p. 657), et, d’autre part, d’aménager, par des dispositions spécifiques, les modalités de détermination et d’application du quotient fiscal en cas de résidence alternée.

Selon l’article 193 du CGI (N° Lexbase : L3952I7I), sous réserve des dispositions de l’article 196 B (N° Lexbase : L6959LZR) (qui concerne le rattachement des enfants majeurs), le revenu imposable est, pour le calcul de l’impôt sur le revenu, divisé en un certain nombre de parts.

Le nombre de parts à prendre en compte pour la division de ce revenu imposable selon la situation et les charges de famille du contribuable est déterminé par l’article 194 du même Code (N° Lexbase : L3343LCS), largement réécrit par la loi de finances rectificative. Selon les dispositions du troisième alinéa du I, qui intéressent plus précisément le litige, en cas de séparation ou de divorce, le rattachement de l'enfant est désormais fondé sur le critère de résidence : « l’enfant est considéré, jusqu’à preuve du contraire, comme étant à la charge du parent chez lequel il réside à titre principal ». C’est en effet en principe le parent chez qui réside l’enfant mineur qui assume l’essentiel des dépenses quotidiennes que requiert son entretien matériel et son éducation (hébergement, nourriture, habillement, santé, transport, frais de scolarité et des activités extra-scolaires…).  Il s’agit néanmoins d’un régime de présomption simple, celle-ci pouvant être combattue par tout élément attestant de la répartition effective des dépenses engagées au titre de l’entretien de l’enfant par chacun des parents (tel que notamment des factures ou un compte de dépenses faisant apparaître leurs contributions respectives).

La notion de charge d’entretien étant devenue la pierre angulaire de ce dispositif, le législateur de 2002 a décidé de l’expliciter dans un nouvel article. L’article 193 ter prévoit désormais qu’« à défaut de dispositions spécifiques, les enfants ou les personnes à charge s'entendent de ceux dont le contribuable assume la charge d'entretien à titre exclusif ou principal, nonobstant le versement ou la perception d'une pension alimentaire pour l'entretien desdits enfants ». C’est sur la portée de ce dernier membre de phrase, et donc sur les conditions dans lesquelles la présomption posée par l’article 194 peut être renversée, que porte le débat contentieux.

Indiquons encore que vous devez examiner prioritairement les droits du contribuable au regard du quotient familial avant d’apprécier les droits à déduction d’une pension, ainsi que l’a jugé votre décision du 24 juin 1994, « Vieu » (CE 8° et 9° ssr., 24 juin 1994, n° 123627 N° Lexbase : A1394ASG, RJF, 8-9/94, n° 873, concl. J. Arrighi de Casanova, Dr. fisc. 1994, n° 39, comm.1607). Bien que cela s’impose avec moins d’évidence lorsqu’est en cause le caractère imposable de ces pensions, vous pourriez vous en tenir à cet ordre d’examen des questions.

2.2. Une question liminaire doit être tranchée. Vous l’aurez compris à la lecture que nous avons donnée des motifs de l’arrêt attaqué, la cour a écarté l’argumentation de la requérante par une motivation elliptique et ambigüe. On peut la comprendre de deux manières différentes : soit comme excluant, par principe, la prise en compte des pensions alimentaires versées par le père des enfants pour déterminer lequel des deux parents assumait à titre principal la charge d’entretien des enfants, soit comme estimant, au fond, que Mme N. n’établissait pas que la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants versée par le père était supérieure à la sienne. La première de ces deux lectures nous paraît devoir être privilégiée compte tenu de la motivation laconique de l’arrêt et, spécifiquement, de l’absence de comparaison explicite entre les contributions respectives des parents. C’était d’ailleurs la ligne de défense du ministre en appel et il reste fidèle à cette analyse devant vous.

Cette solution prend appui sur votre décision du 28 décembre 2016, « Danthony » (CE 3° et 8° ch.-r., 28 décembre 2016, n°s 393214 394154, mentionnés aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3672SYN, RJF, 3/17, n° 211, avec concl. E. Cortot-Boucher). Interprétant les dispositions l’article 193 ter du CGI (N° Lexbase : L3290HLG) à la lumière des travaux préparatoires de la loi de finances rectificative pour 2002, vous avez jugé que le versement ou la perception d’une pension alimentaire ne doit pas être pris en compte pour apprécier la charge d’entretien qui est assumée par chaque parent et qu’il en va notamment ainsi, en cas de résidence alternée, lorsque l’un d’entre eux entend écarter la présomption prévue par le I de l’article 194 au motif qu’il assume la charge principale d’un enfant.

Les travaux préparatoires étaient en effet clairement en ce sens. La notion de charge d’entretien a été conçue comme visant uniquement les dépenses quotidiennes engagées au bénéfice de l’enfant. L’appréciation de cette charge est indépendante des pensions alimentaires versées qui s’analysent comme un revenu de transfert fiscalement neutre. Autrement dit, comme l’avait souligné Emmanuelle Cortot-Boucher dans ses conclusions auxquelles nous nous permettons de renvoyer, l’origine des ressources utilisées pour faire face à ces dépenses est indifférente.

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion d’expliciter cette analyse dans sa décision n° 2018-753 QPC du 14 décembre 2018 (N° Lexbase : A3017YQS) (RJF, 3/19, n° 287) confirmant la constitutionnalité du dispositif d’attribution de la majoration de quotient familial en cas de résidence alternée. Il a souligné l’objet différent des deux dispositifs : « l’attribution à l’un des parents de la majoration de quotient familial vise à tenir compte du fait qu’il assume la charge principale de l’enfant en s’acquittant directement des dépenses nécessaires à son entretien », tandis que la fixation d’une pension alimentaire est destinée à « équilibrer les contributions des parents à l’éducation et à l’entretien de l’enfant » en tenant « compte des besoins de ce dernier au regard des ressources de ses deux parents ». Il en a déduit qu’« en excluant cette pension alimentaire pour apprécier si l'un des parents assume la charge principale de l'enfant, le législateur a entendu tenir compte de ce que cette pension opère un transfert de revenus dans le but de permettre au parent qui la reçoit de faire face aux besoins de l'enfant pour la charge qui lui incombe » (point 10). Le commentaire précise sur ce point que « la neutralisation de ce transfert financier, dans ce cadre, permet de caler la répartition de la majoration de quotient familial sur les dépenses directement acquittées pour l’enfant sur le revenu disponible de chaque parent, que celui-ci ait été enrichi ou appauvri par le transfert correspondant à la pension alimentaire ».

2.3. La difficulté soulevée par le présent litige naît de ce que le débat porte non sur une pension alimentaire versée en numéraire comme dans l’affaire « Danthony » [3] mais sur une pension réglée en nature.

Cette transposition ne va pas complètement de soi. Tout d’abord, nous avons le sentiment que seul le versement ou la perception d’une pension alimentaire en numéraire était dans les esprits, que ce soit lors du jugement de cette affaire ou lors de l’ajout du membre de phrase litigieux par le législateur.

Plus fondamentalement, les motifs justifiant cette solution ne s’acclimatent qu’imparfaitement à l’hypothèse d’une pension alimentaire constituant un avantage en nature ou prenant la forme d’une prise en charge directe des frais exposés au profit de l’enfant. Le seul critère d'attribution de la majoration du quotient familial est celui de la répartition, entre les deux parents, de la charge effective d'entretien et d'éducation des enfants mineurs nés de leur union. Comme y insistent les travaux préparatoires, cette notion de charge d’entretien renvoie à un critère économique et matériel. Il s’agit d’apprécier, concrètement et matériellement, la répartition effective des dépenses exposées au bénéfice de l’enfant pour déterminer lequel des parents doit bénéficier de la majoration. Il faut donc se placer au niveau des dépenses et examiner celles qui sont directement supportées par chacun des parents. 

Cette approche pourrait s’appuyer sur votre décision du 24 janvier 2018, « Sudre-Rouffaux » (CE 9° et 10° ch.-r., 24 janvier 2018, n° 399726, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2114XBW, RJF, 4/18, n° 345, avec concl. E. Bokdam-Tognetti). Vous y avez précisé que la présomption légale de charge égale des enfants en cas de résidence alternée ne joue pas lorsqu’une convention homologuée par le juge, une décision du juge tranchant un désaccord ou un accord extrajudiciaire des parents en dispose autrement. Vous avez estimé que tel était le cas en l’espèce, dès lors que le juge des affaires familiales avait constaté l’accord des parents en cours d’audience et énoncé notamment que la requérante bénéficierait seule des ressources provenant des prestations familiales et se verrait, en outre, rembourser par le père des enfants la moitié des dépenses qu’elle exposerait. Il est troublant de constater que vous vous en êtes tenus à l’examen de la répartition des charges d’entretien prévue par la décision judiciaire sans faire jouer la neutralisation prévue à l’article 193 ter, ce qui pourrait laisser penser que vous avez implicitement considéré que ces remboursements ne constituaient pas des pensions alimentaires pour l’entretien des enfants au sens de cet article.

Nous peinons en outre à entrevoir comment le contribuable pourra, dans une hypothèse comme la nôtre, combattre la présomption simple de l’article 194. Si l’on doit neutraliser, pour l’application de l’article 193 ter, toute forme de pensions alimentaires et non les seules pensions fixées en numéraire, cette faculté sera réduite à la portion congrue, ce alors même que le parent chez qui ne réside pas les enfants s’acquitterait directement de l’essentiel des dépenses liées à leur entretien et leur éducation.

Ces arguments ne manquent pas de force. Ils se heurtent toutefois à la lettre du texte qui vise la notion - générique - de pension alimentaire pour l’entretien des enfants, sans prévoir de restrictions. Or, les dispositions de l’article 373-2-2 du Code civil, que le législateur ne pouvait ignorer, prévoient que la pension alimentaire versée par l'un des parents à l'autre en cas de séparation au titre de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant peut être fixée selon des modalités variées et non exclusives l’une de l’autre : il est expressément précisé qu’elle peut prendre la forme, en tout ou partie, d’une somme versée en numéraire mais aussi d'une prise en charge directe de frais exposés au profit de l'enfant ou encore être servie sous forme d'un droit d'usage et d'habitation.

Il ne paraît guère intuitif de traiter différemment une pension alimentaire selon la forme qu’elle revêt, ce d’autant que ses modalités sont librement décidées par les parents. Son objet reste le même : on l’a dit, il s’agit d’équilibrer les contributions des parents à l’éducation et à l’entretien des enfants. Si, comme ne manque pas de le relever le pourvoi, elle ne se traduit par aucun flux financier lorsqu’elle est prend la forme d’une prise en charge directe de frais ou est servie sous forme d'un droit d'usage et d'habitation, on peut néanmoins admettre, comme l’a tout récemment suggéré Céline Guibé à l’occasion de la transmission au Conseil constitutionnel d’une QPC [4] sur l’interdiction de la déductibilité des pensions alimentaires versées par les parents d’enfants mineurs en cas de résidence alternée, qu’elle permet à l’autre parent de dégager des ressources propres pour assumer les autres dépenses d’entretien de l’enfant. Elle serait en ce sens équivalente à un transfert monétaire.

Par ailleurs, votre jurisprudence ne fait pas de différence selon la forme sous laquelle la pension est versée pour apprécier son caractère déductible en application du 2° du II de l’article 156 du CGI. Citons en guise d’illustration la décision du 18 décembre 1992, « D’Augustin » (CE 8° et 9° ssr., 18 décembre 1992, n° 74860 N° Lexbase : A8578AR7, RJF, 2/93, n°173) dans le cas d’une pension alimentaire consistant en la mise à disposition gratuite au profit de l'autre époux d'un logement ou la décision du 14 octobre 2009, « Brouard » (CE 3° et 8° ssr., 14 octobre 2009, n° 301709, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0745EMK, RJF, 1/10, n° 1, concl. E. Geffray, BDCF, 1/10, n° 1) dans le cas d’une pension alimentaire prenant la forme de la prise en charge directe de salaires d’une garde d'enfants à domicile employée par la mère. Cette dernière affaire est particulièrement emblématique. Alors que la déduction est clairement réservée aux pensions versées dans le cadre de l'obligation alimentaire prévue aux articles 205 (N° Lexbase : L2270ABP) à 211 (N° Lexbase : L2278ABY) du Code civil, vous avez retenu une approche globalisante des pensions alimentaires et admis d’en étendre le champ d’application aux pensions versées spontanément par un contribuable en vue de pourvoir aux besoins de toute nature de ses enfants mineurs, c’est-à-dire versées en exécution de l'obligation d'entretien prévue à l'article 203 du Code civil (N° Lexbase : L2268ABM), de portée plus large que la stricte obligation alimentaire.

Ajoutons enfin qu’une incertitude demeure quant à la portée exacte de la décision « Sudre-Rouffaux ». L’interprétation exposée tout à l’heure miroite avec la décision « Danthony ». Par ailleurs, bien que le régime de présomption prévu à l’article 194 en cas de résidence alternée ne soit pas si éloigné de celui applicable en l’espèce, il présente des spécificités et vous vous êtes précisément concentrés sur l’une d’entre elles. Surtout, la question précise qui intéresse ce litige n’était pas dans le débat contentieux, si bien que cette décision, au demeurant non fichée, ne mentionne pas l’article 193 ter et n’est pas éclairée sur ce point par les conclusions.

Pour conclure sur ce point, bien que l’hésitation soit permise car aucune de ces deux approches n’est complètement satisfaisante, nous vous invitons à consentir un effort et transposer la logique sous-jacente de votre décision « Danthony » dans l’hypothèse où la pension alimentaire prend la forme d’une prestation en nature. C’est à la réflexion, en dépit de ses inconvénients, celle qui nous paraît être la mieux à même de préserver la cohérence d’ensemble du traitement fiscal des pensions alimentaires et la plus simple et lisible pour le contribuable, à charge pour le législateur, s’il le juge utile, de remettre l’ouvrage sur le métier afin de clarifier la portée de l’article 193 ter.

Si vous nous suivez, et au prix de l’interprétation proposée des motifs de l’arrêt attaqué, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé que Mme N ne combattait pas utilement la présomption prévue à l’article 194 en se prévalant uniquement des pensions alimentaires versées par son ex-époux au titre de l’entretien et de l’éducation de leurs enfants en exécution des décisions de justice déjà mentionnées, quelle que soit la forme qu’elles prennent. Le moyen de dénaturation tombe dès lors à plat. Les autres arguments avancés par Mme N. sur ce point sont nouveaux en cassation et par suite, en tout état de cause, inopérants.

3. Nous en venons au deuxième volet de sa critique. Elle soutient que la cour a commis une erreur de droit en jugeant qu’elle avait pu être imposée à raison de l’ensemble des pensions versées, y compris notamment celles prenant la forme de frais directement pris en charge par son ex-époux au profit de leurs enfants.

3.1. Le sort à réserver aux pensions alimentaires est, lorsque l’on se place du côté de la personne qui les verse, clairement fixé. Le 2° du II de l’article 156 du CGI (N° Lexbase : L8643L4U), seulement modifié en 2002 pour supprimer la référence à la notion de garde, prévoit, on l’a dit, que le contribuable peut déduire de son revenu imposable les pensions alimentaires versées au bénéfice de ses enfants mineurs en cas de divorce ou de séparation lorsque le conjoint fait l’objet d’une imposition séparée. Il n’en va toutefois ainsi à la condition expresse que ses enfants ne soient pas pris en compte pour la détermination de son quotient familial. Cette règle ancienne d’exclusivité n’a pas été remise en cause par le législateur en 2002 et s’applique donc désormais tant au parent qui assume la charge principale de son enfant qu’en cas de garde alternée.

Saisi par vos soins par la décision Righi déjà mentionnée, le Conseil constitutionnel vient d’en confirmer la constitutionnalité (Cons. const., décision n° 2021-907 QPC, du 14-05-2021 N° Lexbase : A69844R4). Il a notamment relevé que « l’attribution d’une majoration de quotient familial au titre d’un enfant atténue la progressivité de l’impôt sur le revenu d’un contribuable en fonction de sa situation et de ses charges de famille » et que « la déduction d’une pension alimentaire versée à un enfant mineur prend en compte, dans la détermination du revenu imposable, les sommes versées par un parent pour la contribution à l’entretien et l’éducation d’un enfant ». Il en a déduit qu’« en refusant la déduction d’une pension lorsque le parent débiteur bénéficie déjà d’une majoration de quotient familial au titre du même enfant, le législateur a entendu éviter un cumul d’avantages fiscaux ayant le même objet ».

Les règles applicables du côté du parent qui perçoit la pension alimentaire laissent en revanche quelques zones d’ombre. Il est communément admis qu’elle constitue un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des dispositions combinées des articles 79 (N° Lexbase : L1669IPI), 82 (N° Lexbase : L1172ITL) et 83 (N° Lexbase : L8672L4X) du CGI (voyez, par exemple, s’agissant précisément d’une pension alimentaire au titre de la contribution à l’entretien des enfants : CE Contentieux, 2 avril 1991, n° 70652, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9368AQZ, RJF, 5/91, n° 541) [5]. Cette règle ne paraît souffrir qu’une seule exception : en cas de résidence alternée et de charge égale des enfants entre les parents, les pensions alimentaires, qui ne peuvent être déduites par le parent qui les verse, ne sont pas imposables pour celui qui les reçoit. C’est ce qui résulte de l’article 80 septies du CGI (N° Lexbase : L1789HLT) aux termes duquel « les pensions alimentaires versées pour un enfant mineur résidant en alternance chez ses parents et pris en compte pour la détermination du quotient familial de chacun d'eux ne sont pas imposables entre les mains de celui qui les reçoit ».

Ce caractère imposable est souvent présenté comme le corollaire du 2° du II de l’article 156, ce qui semble suggérer que lorsque les pensions alimentaires ne sont pas déductibles du revenu de celui qui les verse, elles ne sont alors pas imposables entre les mains de celui qui les reçoit. Mais c’est en vain que l’on cherche la trace de l’affirmation d’un tel principe dans la loi : les articles 79 et 82 du CGI, en particulier, ont une portée très large et, à l’inverse de ce que prévoit l’article 156, les règles du quotient familial n’interfèrent pas a priori avec le caractère imposable des pensions alimentaires. Si les dispositions de l’article 80 septies sont inspirées en filigrane par ce principe, le législateur a néanmoins jugé nécessaire d’intervenir par une disposition expresse, comme s’il s’agissait de déroger à un principe d’imposition des pensions alimentaires.

On en trouve certes un écho dans des commentaires administratifs mais ils sont relatifs au revenu de solidarité active et cités de manière tronquée par le pourvoi. Il est ainsi indiqué qu’: « à titre de règle pratique, sont imposables entre les mains de celui qui les reçoit les pensions alimentaires qui sont déductibles du revenu global de celui qui les verse. Dans le cas contraire, elles ne sont en principe pas imposables » (BOI-RSA-PENS-10-30, n° 80, 12 septembre 2012) [6]. L’affirmation n’est donc pas fermement assurée. Votre jurisprudence ne nous paraît pas non plus apporter de réponse explicite à cette question. Vous pourrez, en tout état de cause, réserver votre position si, comme nous vous l’avons proposé, vous confirmez l’attribution de la majoration de quotient familial à Mme N..  

Reste à déterminer s’il y a lieu de raisonner différemment selon les modalités de la pension. Une réponse négative s’impose à notre avis bien que votre jurisprudence ne semble pas encore avoir eu à le juger. Vous l’avez admis, au moins à une reprise, pour une pension alimentaire consentie à l’épouse constituée par la mise à disposition gratuite d’un appartement (voyez a contrario : CE Contentieux, 13 juin 1979, n° 14316 N° Lexbase : A1928AKM, RJF, 9/79, n° 508). La solution paraît transposable lorsqu’elle prend la forme d’une prise en charge directe par l’autre parent des frais exposés au bénéfice des enfants. Vous ne vous arrêtez pas en effet à l’absence de flux financier. L’imposition appréhende ce qui est assimilable à un revenu. Cette solution est cohérente avec l’acception large qui prévaut pour l’application du 2° du II de l’article 156 du CGI (voyez spécifiquement la décision « Brouard » déjà mentionnée) et permet d’éviter que les sommes correspondantes échappent à tout impôt lorsqu’elles sont supportées par le parent qui ne bénéficie pas de la majoration de quotient familial.

Nous vous invitons donc à juger, bien que l’arrêt attaqué ne soit pas d’une grande rigueur, que la cour n’a pas commis l’erreur de droit qui lui est reprochée en jugeant que devaient être comprises dans le revenu imposable de Mme N au titre des années litigieuses les pensions alimentaires qu’elle a perçues de son ex-époux au titre de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, y compris celles prenant la forme d’une prise en charge directe de certaines dépenses exposées au profit des enfants.

4. Le dernier moyen nous paraît également devoir être écarté. L’arrêt attaqué prête certes le flanc à la critique car la cour n’a pas répondu avec toute la rigueur requise au moyen soulevé par la requérante tiré de ce que les impositions en litige présentaient un caractère confiscatoire au regard de sa situation personnelle. Nous y voyons cependant plus une maladresse rédactionnelle que l’omission à statuer dénoncée par le pourvoi. Il est en effet correctement visé et, contrairement à ce qui est soutenu, elle y a répondu au point 15 de son arrêt, même si elle n’a pas fait référence à l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, cité seulement au point précédent pour écarter le moyen tiré d’une discrimination envers les femmes.

Par ces motifs nous concluons au rejet du pourvoi.

 

[1] Loi n° 2002-305, du 4 mars 2002, relative à l'autorité parentale (N° Lexbase : L4320A4R).

[2] Loi n° 2002-1576, du 30 décembre 2002, de finances rectificative pour 2002 (N° Lexbase : L9372A8M).

[3] Les décisions relatives à l’affaire ayant donnant lieu à la décision n° 2018-753 QPC ne précisent pas les modalités de la pension alimentaire en cause mais il nous semble qu’il s’agit également d’une pension en numéraire. 

[4] CE 9° et 10° ch.-r., 24 février 2021, n° 447219, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A22504I8), RJF, 5/21, n° 515.

[5] La condition tenant à ce qu’elle soit versée en exécution d’une décision de justice nous semble caduque compte tenu de votre décision « Brouard ».

[6] Souligné par nos soins.

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