Réf. : Cons. const., décision n° 2012-655 DC, du 24 octobre 2012 (N° Lexbase : A8270IUT)
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 15 Novembre 2012
Hugues Moutouh : Ce texte de loi déclinait les principaux objectifs du Gouvernement pour favoriser une politique de logement social, avec un objectif de construction annuelle de 500 000 logements, dont 150 000 logements sociaux. Cette politique reposait sur trois grands ressorts. Le premier était d'accroître l'offre foncière, en favorisant la mise à disposition du foncier de l'Etat et de ses établissements publics. Le texte envisageait, ainsi, de permettre une cession gratuite de ce foncier au profit d'opérations de logement social ; le deuxième ressort consistait à augmenter le seuil minimal de logements sociaux, en le faisant passer à 25 % pour certaines communes d'Île-de-France, par exemple, avec l'idée de multiplier la production de logements abordables sur l'ensemble du territoire. Il se proposait, enfin, de mettre en cohérence l'élaboration des contrats de développement territoriaux avec l'approbation du schéma directeur de la région Île-de-France, pour faciliter la réalisation des objectifs de production de logement en région parisienne.
Lexbase : Le Conseil constitutionnel justifie sa décision par la nécessité de valoriser l'apport des parlementaires dans le processus d'élaboration des lois. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Hugues Moutouh : Les juges constitutionnels ont censuré le texte pour violation de l'article 42 de la Constitution. Cet article est l'un de ceux qui ont été profondément modifiés par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK). Il s'agit de faire des commissions le vrai pivot du travail parlementaire. Désormais, sauf exceptions bien limitées (notamment pour les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la Sécurité sociale), le texte discuté en séance est celui de la commission compétente et non plus celui du Gouvernement. L'idée sous-jacente est que, désormais, l'essentiel de la discussion se fasse en commission et non plus en séance, ceci afin de garantir une meilleure qualité aux textes de loi. Grâce à cette nouvelle disposition, c'est l'ensemble du travail législatif et, plus généralement, la place du Parlement qui se trouvent revalorisés, le Gouvernement perdant une partie du contrôle dont il disposait jusqu'alors sur les textes soumis aux assemblées.
Or, en l'espèce, les débats et les amendements en séance ont porté directement sur le texte du projet de loi déposé par le Gouvernement et non sur celui adopté par la commission des Affaires économiques du Sénat. Si aucun texte n'était sorti des travaux de cette commission, pour défaut d'examen, par exemple, ou par absence d'accord, la décision du Conseil constitutionnel eut été différente. Mais, ici, le premier alinéa de l'article 42 de la Constitution s'applique sans contestation possible : "la discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l'article 43 [de la Constitution (N° Lexbase : L0869AHN)] ou, à défaut, sur le texte dont l'assemblée a été saisie".
Lexbase : Les censures de loi pour motif de procédure sont-elles fréquentes ?
Hugues Moutouh : Les censures pour des questions de manquement aux règles de la procédure parlementaire ne sont pas vraiment exceptionnelles. Ce qui a pu surprendre quelques commentateurs, c'est surtout l'ampleur de la censure, puisqu'elle visait l'intégralité du texte présenté au Conseil constitutionnel. Ce n'est pas extrêmement courant, sans être une première non plus. Depuis 1958, on compte dix-sept censures totales, mais huit seulement, avec celle-ci, pour des motifs de procédure. Le dernier exemple est assez récent, à propos de la loi n° 2011-871 du 26 juillet 2011, fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région (N° Lexbase : L8225IQP). En violation du deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution (N° Lexbase : L0865AHI), le Gouvernement n'avait pas soumis son texte en premier lieu au Sénat, alors que le projet de loi avait bien pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales, ce qui avait valu au texte la censure des Sages (Cons. const., décision n° 2011-632 DC du 23 juin 2011 N° Lexbase : A2992HUD). On peut aussi citer les décisions concernant les lois organiques relative au financement de la campagne en vue de l'élection du Président de la République et de celle des députés (Cons. const., décision n° 89-263 DC du 11 janvier 1990 N° Lexbase : A8214AC9) ou à l'inéligibilité du Médiateur des enfants (Cons. const., décision n° 99-420 DC du 16 décembre 1999 N° Lexbase : A8777AC3).
Lexbase : Au final, cette décision vous semble-t-elle justifiée ?
Hugues Moutouh : Cette décision était attendue et n'a surpris personne. La lecture des débats est éclairante à cet égard. Bien sûr, les parlementaires de la majorité n'ont pas pu s'opposer frontalement à la décision du Gouvernement, mais on sent de leur part un certain malaise devant cette violation élémentaire des règles de procédure par l'exécutif. Le problème n'est pas politique, mais se situe dans le rapport de force entre les différents pouvoirs. La limite du principe de la séparation des pouvoirs tient dans le fait majoritaire. On peut revaloriser le Parlement, lui donner de nouvelles prérogatives par rapport à l'exécutif, le fait est que tout cela demeurera une pure fiction si les parlementaires eux-mêmes n'ont pas la volonté de défendre leurs prérogatives et de s'imposer.
La discipline imposée par le Gouvernement à sa majorité parlementaire constitue le principal obstacle à toute revalorisation de la place et du rôle du parlement en France. Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a un rôle très important à jouer : faire respecter la lettre et l'esprit du pouvoir constituant. Il le fait de deux façons principales : d'une part, en protégeant les droits et libertés individuelles, d'autre part, en assurant le bon équilibre de nos institutions pour éviter que l'un des pouvoirs, par exemple, n'outrepasse trop le champ de ses prérogatives constitutionnelles. Ce n'est pas la première fois que les juges de la rue de Montpensier rappellent le Parlement à ses obligations. Il suffit de penser à la riche jurisprudence sur "l'incompétence négative", principe selon lequel les parlementaires doivent épuiser leurs compétences et ne pas s'en remettre au Gouvernement (Cons. const., décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9571EZI, décision n° 2012-254 QPC du 18 juin 2012 N° Lexbase : A8704INP, décision n° 2012-278 QPC, du 5 octobre 2012 N° Lexbase : A9016IT4). Chacun doit tenir sa place pour que nos institutions fonctionnent normalement. C'est une protection pour nos concitoyens. Rien de bon ne procède du dérèglement et de l'excès de pouvoir.
Au-delà, ce que le Conseil constitutionnel semble condamner, c'est aussi une habitude bien française : la boulimie législative. Les Gouvernements se succèdent et le problème demeure toujours le même. Il faut légiférer en permanence et de plus en plus vite. Ce qui se trouve censuré aujourd'hui, c'est cette spirale inflationniste, ce recours systématique à l'urgence. Il existe une procédure accélérée qu'utilise le Gouvernement, mais elle ne suffit pas. Il faut encore ajouter l'urgence à l'urgence, au mépris des règles. Au final, tout cela se fait au détriment des Français, parce qu'on ne légifère pas bien dans la précipitation. Les textes produits dans l'urgence ratent souvent leur cible et manquent d'efficacité. Une loi, comme un antibiotique, peut avoir des effets secondaires indésirés. Voilà pourquoi les premiers ne peuvent être mis sur le marché qu'après le temps d'observation nécessaire et une longue procédure administrative d'autorisation. Légiférer n'est pas un acte anodin, c'est un acte grave. A un moment ou toutes les décisions politiques sont soumises à l'agenda médiatique, on a un peu tendance à l'oublier. Le Conseil constitutionnel vient de nous le rappeler et il faut s'en réjouir.
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