Le Quotidien du 2 août 2021 : Droit pénal général

[Jurisprudence] Défaut d’attestation de déplacement : quand l’intransigeance évince l’erreur légitime sur le droit

Réf. : Cass. crim., 18 mai 2021, n° 21-80.042, F-D (N° Lexbase : A80574S9)

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N8492BY8

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par Nicolas Catelan - Directeur scientifique de la Revue Lexbase pénal et Adélaïde Léon

le 30 Juillet 2021

► Ne caractérise pas suffisamment l’existence d’une erreur sur le droit inévitable le tribunal qui relaxe une prévenue interpellée pour défaut de détention d’attestation de déplacement au cours de l’état d’urgence au motif que, âgée de 75 ans et affaiblie, l’intéressée a été verbalisée peu après le début du confinement et a pu croire de bonne foi que l’attestation de déplacement dont disposait son mari, qui conduisait le véhicule où elle se trouvait, était valable pour le couple.

La bienveillance attachée à certaines décisions publiées de la Cour de cassation ne devrait pas faire oublier la sévérité propre à certains arrêts ne bénéficiant pas de la même exposition médiatique. Le site de la Cour permet certes de constater que la légalité des peines fait obstacle au prononcé d’une interdiction de gérer n’importe quelle société car les textes ne visent que les sociétés commerciales [1]. Le même site ne permet pas en revanche de découvrir qu’une vieille dame affaiblie de 75 ans se trompant sur la nécessité de deux attestations de sortie lorsqu’elle se déplace en voiture avec son mari, et ce au tout début du premier confinement, ne peut bénéficier de l’erreur sur le droit telle que prévue à l’article 122-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2316AMQ).

Rappel des faits. Le 24 mars 2020, soit sept jours après le début du premier confinement en France, une femme a fait l’objet d’un procès-verbal constatant la contravention de déplacement hors du domicile sans document justificatif conforme dans une circonscription territoriale où l’état d’urgence sanitaire était déclaré.

Après avoir formé une requête en exonération, elle a été poursuivie devant le tribunal de police qui l’a relaxée du chef d’infraction au Code de la santé publique sur le fondement de l’article 122-3 du Code pénal. Selon le tribunal, la prévenue, âgée de 75 ans et affaiblie avait été verbalisée très peu de temps après le début du confinement. Elle avait ainsi pu croire de bonne foi que l’attestation de déplacement dont disposait son mari, qui conduisait le véhicule où elle se trouvait, était valable pour le couple. Par ailleurs, la juridiction rappelait que les attestations ne rappelaient pas que ce document était individuel et ne pouvait être partagé par deux personnes allant faire leurs courses ensemble dans un véhicule commun.

L’officier du ministère public près le tribunal de police a formé un pourvoi contre le jugement dudit tribunal.

Moyens du pourvoi. Il était fait grief au tribunal d’avoir relaxé la prévenue sur le fondement de l’article 122-3 du Code pénal, lequel ne serait pas applicable en matière de contravention où seul compte l’élément matériel qui consiste, en l’espèce, en l’absence de détention de l’attestation nominative de déplacement.

Décision. Dans son arrêt en date du 18 mai 2021 [2], la Chambre criminelle casse le jugement au visa des articles 122-3 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale.

La Haute juridiction rappelle que pour bénéficier de la cause d’irresponsabilité prévue par l’article 122-3 du Code pénal, la personne poursuivie doit justifier avoir cru, par une erreur de droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir le fait reproché. Le second article requiert que tout jugement ou arrêt comporte les motifs propres à justifier la décision. Or, en l’espèce, la Cour estime que les motifs retenus et avancés par le tribunal ne suffisent pas à caractériser l’existence d’une erreur sur le droit inévitable. Dans ces conditions, la Chambre criminelle considère que le tribunal n’a pas justifié sa décision. Le jugement rendu par le tribunal de police de Guéret est donc cassé, et la cause et les parties renvoyés devant le tribunal de police de Limoges [3].

La décision laisse évidemment un goût amer. On observera toutefois que, nonobstant la cassation, la Chambre criminelle n’a pas donné satisfaction à l’officier du ministère public logiquement [4] marri par cette relaxe. L’erreur sur le droit est évidemment à même de justifier une contravention. Encore faut-il, évidemment, que les conditions de son application soient remplies. Les différents arrêts rendus par la Cour de cassation depuis l’entrée en vigueur du Code pénal attestent que la Cour de cassation n’entend pas donner à l’article 122-3 une lecture compréhensive. Loin s’en faut. Pour être invincible, l’erreur doit avoir être induite par une autorité administrative. De sorte que ne serait admise en justice que l’erreur provoquée par l’administration ou encore confirmée par l’institution publique. Dans sa jurisprudence constante, la Chambre criminelle rejette l’erreur de droit dès lors qu’elle considère que le prévenu pouvait s’informer auprès d’un service compétent pour demeurer dans la légalité [5].

Qu’est-ce à dire ? Que toute erreur est en réalité appréciée in abstracto, à l’aune d’un humain raisonnable et rationnel qui vérifierait toute interrogation juridique auprès de la seule administration apte à se prononcer. En dehors de cette configuration, à tout le moins abstraite sinon virtuelle [6], point de salut du côté de l’erreur.

En décembre 2020, la Ligue des droits de l’Homme (la LDH) publiait d’ailleurs sur son site internet un article intitulé « Déplacement dérogatoire : verbalisation et contestation » [en ligne] dans lequel elle abordait notamment les motifs susceptibles d’être invoqués pour contester une contravention. Aux côtés de l’irrégularité des avis de contravention, on y trouvait la violation du principe de légalité, la force majeure ou l’erreur de droit. La LDH définissait l’erreur de droit invincible comme étant « celle commise par une personne qui est dans l’impossibilité absolue de l’éviter malgré la recherche d’informations ». Dans le cas d’espèce on peut imaginer qu’il eût fallu davantage documenter les difficultés éprouvées par la prévenue pour accéder à une source d’information claire et intelligible sur les modalités d’utilisation de l’attestation.

De minimis non curat praetor. On sait gré à la Cour de cassation d’avoir rappelé la rigueur avec laquelle la loi d’airain doit en toutes circonstances être appliquée. Le décret n° 2020-264, du 17 mars 2020 (N° Lexbase : L5116LWE), en son article 1er, avait fait du comportement ici reproché une contravention de la quatrième classe. La sortie sans attestation était donc punie, conformément à l’article 131-13 du Code pénal (N° Lexbase : L0781G8G), de 750 euros d’amende. L’amende forfaitaire, prévue par l’article 2 du décret, était en réalité d’un montant de 135 euros en vertu de l’article R. 49, 5° CPP (N° Lexbase : L5977LWB). La poursuite, le pourvoi et la cassation ne sauraient dès lors être justifiés par l’enjeu économique. C’est bel et bien du côté des principes que tout se joue ici.

Dura lex sed lex. Il y avait tout lieu de rappeler le dogme sur lequel est assis le droit pénal, et que la maxime nemo censetur ignorare legem ramasse avec un don certain pour la litote : nul ne peut se prévaloir de sa propre ignorance, fût-ce à 75 ans, affaibli, au début d’un confinement et d’une pandémie aux allures de fin du monde, et en compagnie de son mari lui-même porteur de ladite attestation.

Pour achever de se convaincre que la rigueur juridique est incontestablement la plus puissante des armes pour solidifier l’État de droit et la cohérence de son ordonnancement, rappelons que le fait de sortir sans attestation n’emportait aucun risque pour la société si l’individu contrôlé était sain. Et qu’à l’inverse, sortir avec le précieux sésame, mais malade, ne faisait encourir aucune sanction quand bien même cela exposait autrui à une éventuelle contamination.

Qu’on se rassure : les principes en ressortent ragaillardis, fût-ce au détriment de l’honneur et de la cohérence. Qui, si ce n’est un esprit pernicieux, s’en plaindrait ?

Pour aller plus loin : J.-B.  Thierry, ÉTUDE :  Les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité pénale, l’erreur de droit, in Droit pénal général (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E1559GAY).

 

[1] Cass. crim., 2 juin 2021, n° 20-84.970 (N° Lexbase : A23984UD).

[2] V. Jérôme Leborne, L'erreur de droit invincible et insensible, AJ pénal, juillet août 2021, n° 366.

[3] Auquel on rappellera qu’il est possible de prononcer une condamnation avec dispense de peine. Avec cette précision qu’en cas de nouveau pourvoi, la Cour de cassation vérifiera certes que les conditions sont réunies (v. Cass. crim., 7 mai 2019, n° 18-85.729, F-P+B+I (N° Lexbase : A0746ZBA). Toutefois l'octroi d'une dispense de peine reste à la libre appréciation des juges (v. cf. V. Peltier, ÉTUDE : Les exigences et règles générales du prononcé de la peine, La dispense de peine, in Droit pénal général (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E1666GAX). Il n’y aurait pas lieu de prononcer l'exclusion de la mention de la condamnation au bulletin n° 2 (v. C. proc. pén., art. 775-1 (N° Lexbase : L6428ISU) puisque, ni les condamnations de police (3°), ni les déclarations de culpabilité assorties d'une dispense de peine (12°) n’y figurent en application de l’article 775 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7497LPD).

[4] Il s’agit tout de même d’une relaxe.

[5] Cass. crim., 20 janvier 2018, n° 14-80.532, F-P+B+I  (N° Lexbase : A4949M98) ; Cass. crim., 15 octobre 2002, n° 01-88.555 (N° Lexbase : A8206CT4).

[6] Relevons toutefois les deux seules validations opérées par la Cour de cassation : Cass. crim., 24 novembre 1998, n° 97-85.378 (N° Lexbase : A3135AG9) ; Cass. crim., 11 mai 2006, n° 05-87.099 (N° Lexbase : A8692DPM).

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