Le Quotidien du 16 août 2021 : Fiscalité du patrimoine

[Focus] Donations aux proches parents : la malheureuse « exception fiscale française »

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par Virginie Pradel, Fiscaliste

le 20 Juillet 2021


Mots-clés : donations • droits de donation • successions • patrimoine

La crise du Covid-19 et les récentes déclarations de Bruno Le Maire sont l’occasion de revenir sur l’un des points faibles de notre système d’imposition : l’impôt sur les donations, communément dénommés droits de donation.


 

Précisons d’emblée qu’en France, comme dans un certain nombre de pays, l’impôt sur les donations est consubstantiellement lié à l’impôt sur les successions.

I - Rappels historiques

Pour mémoire, l’impôt sur les successions et les donations est un des plus anciens de notre système fiscal. Il existait déjà en droit romain. Supprimé, il a ensuite été rétabli au Moyen Âge sous la forme de droits féodaux. À ces derniers se sont superposés ultérieurement des impôts royaux.

La loi des 5 et 19 décembre 1790 a simplifié l’imposition des successions et des donations en les assujettissant à un droit d’enregistrement. Cette loi a été remplacée par celle du 22 frimaire an VII dont les dispositions demeurent partiellement applicables. À cette époque, il existait des régimes fiscaux différents pour les successions et pour les donations. La loi du 25 février 1901 a renforcé la distinction entre l’imposition des donations et celle des successions. Par la suite, la loi du 14 mars 1942 a unifié le régime fiscal l’imposition des successions et donations.

Le législateur n’a plus remis en cause par la suite les grands principes issus de cette évolution.

Précisons toutefois que la loi « DDOEF » du 12 avril 1996 (loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier N° Lexbase : L0259AIG) a réformé la fiscalité des donations et donations-partages afin de faciliter les transmissions entre vifs. Un régime d’exonération partielle des transmissions d’entreprises (entreprises individuelles ou droits sociaux faisant l’objet d’un engagement collectif de conservation, dit « pacte Dutreil ») a ensuite été instauré en 2000.

Les réformes tendant en règle générale à alléger le poids de l’impôt sur les successions et donations se sont ensuite multipliées : institution d’une réduction de droits de donation liée à l’âge du donateur pour inciter à transmettre de façon anticipée son patrimoine, réduction du délai de rappel fiscal des donations antérieures, exonération de certains dons familiaux en espèces. La loi « Tepa » du 21 août 2007 (loi n° 2007-1223, du 21 août 2007, en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat N° Lexbase : L2417HY8) a notamment instauré l’exonération des successions entre époux et partenaires d’un Pacs, triplé de l’abattement en ligne directe, institué le principe de revalorisation annuelle des tranches de barème et abattement.

La loi n° 2012-958, du 16 août 2012 (loi n° 2012-958, du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L9357ITQ) est toutefois revenue partiellement sur la loi Tepa en réduisant l’abattement en ligne directe, en allongeant le délai de rappel des donations antérieures et en supprimant la revalorisation annuelle automatique des différents abattements, tarifs et seuils.

II - Un enjeu stratégique

Bien moins présent dans les débats que l’ISF (désormais supprimé), l’impôt sur les successions et les donations est devenu depuis plusieurs années un enjeu stratégique pour les pays désirant attirer les contribuables aisés du monde entier. Si bien qu’une majorité d’entre eux ont opté, soit pour leur suppression, à l’instar de la Suède, soit pour leur diminution, à l’instar des États-Unis et de l’Italie.

Rien de tel toutefois en France ! Au nom de « l’exception fiscale française », nous avons choisi d’augmenter cet impôt plutôt que le diminuer[1]. Avec le résultat que l’on connaît : de nombreux Français connus ou méconnus s’en vont, depuis plusieurs années, vivre et transmettre leur patrimoine à leurs proches sous des cieux moins taxés… Ces derniers sont légion.

III - L’imposition des donations faites aux proches parents hors de France

Plusieurs pays ont en effet choisi de ne jamais instaurer ou de supprimer cet impôt. Parmi ces derniers, des pays européens tels que la Suède, l’Autriche, l’Estonie, la Lituanie, Malte, le Liechtenstein, la Roumanie, le Royaume-Uni ou encore la Norvège. Ou encore d’autres pays plus lointains tels que l’Argentine, l’Australie, la Chine, Hong Kong, le Cambodge, le Congo, l’Égypte, Gibraltar, l’Indonésie, Israël, la Jordanie, le Kazakhstan, Madagascar, la Malaisie, la Mauritanie, l’île Maurice, la Mongolie, la Nouvelle-Zélande, le Nigéria, Oman, le Pakistan, le Panama, le Paraguay, le Quatar, le Rwanda, la Russie, Sainte-Lucie, l’Arabie Saoudite, Singapour, le Sri Lanka, la Tanzanie, l’Ouganda, le Turkménistan, les Émirats arabes unis, l’Uuguay, le Zimbabwe…

D’autres pays européens ont, quant à eux, choisi de ne pas taxer ou de taxer faiblement les donations aux proches parents (époux et/ou enfants).

Parmi les pays n’imposant pas ce type de donation en Europe, on peut notamment citer la Croatie, la Bulgarie, la Hongrie, la Slovénie, la Lettonie, le Danemark ou encore la Suisse…

Quant aux pays européens qui taxent les donations aux proches parents (époux et/ou enfants), force est de constater que l’imposition appliquée est bien plus attractive que celle de la France. La plupart recourent en effet à des flat tax, à savoir des taux d’imposition proportionnels réduits, lesquels peuvent se combiner avec des abattements conséquents. Prenons quelques exemples.

Au Luxembourg, les donations au profit des ascendants et descendants directs (enfants, petits-enfants, parents, grands-parents…) sont taxés à des taux proportionnels allant de 1,8 % à 2,4 %. Les donations entre époux sont taxées au taux proportionnel de 4,8 % (taux de 2,4 % pour les donations faites à l’occasion du mariage).

En Italie, les donations entre époux et aux descendants directs sont taxées au taux proportionnel de 4 %, après application d’un abattement de 1 million d'euros pour les donations entre époux et aux descendants directs.

En Belgique, les donations de biens mobiliers entre époux, aux enfants, petits enfants, parents, grands-parents sont taxées au taux proportionnel de 3 %.

En Allemagne, les donations entre époux et  aux enfants sont taxées selon un barème progressif dont les taux vont de 7 % à 30 %. L’époux ou l’épouse bénéficie d’un abattement d’un montant de 500 000 euros ; les enfants et beau-enfants d’un abattement d’un montant de 400 000 euros ; les petits-enfants d’un abattement d’un montant de 200 000 euros.

Aux Pays-Bas, les donations entre époux et aux enfants sont imposées aux taux proportionnels de 10 % ou de 20 %, en fonction du montant de la donation. Les donations aux petits-enfants sont, quant à elles, taxées aux taux de 18 % ou de 36 %, également en fonction du montant de la donation . Les donations entre parents et enfants bénéficient d’un abattement de 6 604 euros. Le don reçu dans la vie d’un enfant entre l’âge de 18 et 40 ans bénéficie de plus d’un abattement de 26 881 euros. Ce montant est augmenté à 55 996 euros si le don est fait pour des raisons scolaires et à 105 302 euros pour l’achat, l’entretien et l’amélioration d’un bien immobilier.

Au Danemark, les donations aux descendants sont taxées au taux proportionnel de 15 %, après application d’un abattement d’environ 9 200 euros.

En Irlande, les donations entre époux sont exonérées. Les autres donations sont imposées au taux de 33 %. Les donations aux enfants bénéficient d’un abattement de 335 000 euros, tandis que celles aux parents et grands-parents ainsi qu’aux petits-enfants bénéficient d’un abattement de 32 500 euros.

En Suisse, il n’y a pas d’impôt sur les donations au niveau fédéral. Les cantons peuvent toutefois taxer les donations. La plupart des cantons ne taxent pas les donations entre époux et aux enfants. Les autres cantons appliquent des taux réduits.

Comme on peut le constater, ce ne sont pas les pays qui taxent ou redistribuent le moins qui ont aboli ou réduit drastiquement l’impôt sur les donations faites aux proches parents. Pour rappel, le niveau de pression fiscale et des dépenses publiques de la Suède et de l’Autriche sont relativement proches de ceux de la France. Cela met en évidence que certains pays ont su faire passer leur prospérité économique et des considérations morales avant une idéologie fiscale destructrice justifiée par la quête effrénée d’égalitarisme… En Suède, État-providence par excellence, ce sont les sociaux-démocrates qui ont supprimé l’impôt sur les donations ; ce qui a eu un impact bénéfique selon diverses études.

Cette tendance visant à taxer faiblement les donations faites aux proches parents s’explique par des raisons aussi bien économiques que sociales. D’un point de vue économique, les pays confrontés à une concurrence fiscale toujours plus exacerbée ont bien conscience qu’ils doivent impérativement réduire l’imposition des donations au sein de la proche famille, sous peine, soit de voir leurs contribuables s’exiler, soit de provoquer une ultraconcentration du patrimoine entre les mains des parents et grands-parents, au détriment des enfants et petits-enfants.

D’un point de vue social ensuite, l’impôt sur les donations présente l’écueil de sacrifier la conception intergénérationnelle et familiale de la propriété, au profit d’une conception purement monogénérationnelle et individualiste. La volonté d’abaisser ou de supprimer l’impôt sur les donations faites aux proches parents résulte également de la volonté de permettre une assistance nécessaire au sein de la famille.

 

[1] Lire en ce sens, V. Pradel, Vers un allègement des droits de donation ?, Lexbase Fiscal, avril 2021, n° 860 (N° Lexbase : N6964BYL).

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