Le Quotidien du 14 juin 2021 : Actualité judiciaire

[A la une] Au procès Bygmalion, Nicolas Sarkozy absent du prétoire mais présent dans tous les esprits

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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 23 Juin 2021

Ce n’est pas un tabou. Pas même une ombre. C’est juste un absent. Un blanc dans les discussions. Depuis le 20 mai, rares sont ceux qui osent citer le nom de Nicolas Sarkozy dans l’enceinte de la 11eme chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris chargée d’examiner l’affaire Bygmalion. Comme si, à l’instar des romans de Stephen King, cela pouvait d’un seul coup faire apparaître un démon ou un mauvais génie. Pourtant, tous les débats amènent inévitablement à penser à lui. Jean-François Copé, aussi, l’a remarqué. « Qu’est-ce que mon nom a été cité depuis le début du procès ! Alors que d’autres noms ne sont jamais prononcés... », a-t-il lâché à la barre.

Mercredi 9 juin, en fin d’après-midi, l’ancien patron de l’UMP et toujours maire (LR) de Meaux (Seine-et-Marne) s’est, lui, avancé d’un pas décidé vers la barre. Il était un peu plus de 16h. Costume gris sur le dos, petite pochette remplie de documents sous le bras, il est venu témoigner de toute cette affaire. Et, soumis au feu roulant des questions de toutes les parties, il a donc dû jouer le rôle de son propre avocat. Ce qui l’a amené, au bout de quasiment trois heures, à proposer sa petite réflexion personnelle au tribunal. « La seule chose que vous devez vous demander, c’est à qui tout cela a profité... » Visant implicitement celui dont on tait le nom depuis le début.

C’en était presque trop facile et certains n’ont pu s’empêcher d’esquisser un léger sourire en entendant cela… Jean-François Copé sait bien d’où il revient. Quand l’affaire a éclaté en 2014, il était secrétaire général de l’UMP. Et a donc fait d’abord figure de suspect idéal. Un article du Point l’a présenté comme l’instigateur de tout le système de fausses factures afin de se constituer un trésor de guerre pour une prochaine élection présidentielle. Il a porté plainte en diffamation. Et il a gagné. Les enquêteurs ont cherché le trésor et ils n’ont rien trouvé. Logiquement, il a bénéficié d’un non-lieu.

Si certains auraient voulu le voir sur le banc des prévenus, c’est donc en simple témoin qu’il s’est présenté à la barre. Un simple témoin ne risquant absolument plus rien dans cette affaire. Mais un témoin qui connaît bien sûr le dossier par cœur. Voue une rancune tenace à l’ancien Président de droite. Et se souvient sans doute de la formule exacte de Serge Tournaire à l’endroit de son meilleur ennemi. Dans son ordonnance, le juge d’instruction estimait ainsi que Nicolas Sarkozy n’avait pas « ordonné » la fraude, ni même qu’il y avait « participé » ou en avait été « informé » mais qu’il en avait « incontestablement bénéficié »…

Quand Sarkozy essaye de mettre le plus de distance entre le tribunal et lui

Nicolas Sarkozy est donc renvoyé pour « financement illégal de campagne électorale » dans cette affaire. Et c’est ce qui fait toute la différence avec Jean-François Copé. Certes, l’ancien chef de l’État est celui des 14 prévenus qui encourt la peine la plus faible : un an de prison et 3 750 euros d’amende. Mais il est celui dont la condamnation, après celle infligée dans le dossier des écoutes de Paul Bismuth, ferait évidemment le plus parler.

Pour éviter cela, l’ancien chef de l’État a veillé pendant trois semaines à mettre le plus de distance entre lui et le tribunal, entre lui et les autres protagonistes du dossier. Comme s’il cherchait à démontrer qu’il était au-dessus de tout soupçon, que lui n’avait pas mis les mains dans le cambouis du système de fausses factures lui ayant permis de dépenser 42,8 millions d’euros lors de la campagne présidentielle de 2012 alors que la loi le limitait à 22,5 millions d’euros.

Car désormais la magouille ne fait plus l’ombre d’un doute. Sans doute déjà convaincue par les auditions des dirigeants de Bygmalion puis ceux de l’UMP, Caroline Viguier, la présidente de la 11e chambre du tribunal, a fini de se faire une religion à ce propos la semaine dernière. Notamment lorsque Philippe Briand s’est approché de la barre. Chiraquien de la première heure, celui qui est toujours maire de Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire) avait accepté, en 2012, de présider l’Association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy dans le seul but de montrer que la famille était réunie autour de son candidat.

Mardi 8 juin, il est venu apporter un éclairage intéressant. Expliquant qu’il n’était là que pour signer les factures et les ordres de dépenses préalablement validées par les équipes, il a confirmé que les experts-comptables avaient, très tôt, émis des doutes sur le respect du plafond des dépenses. Ils voyaient bien que le candidat multipliait les meetings et les coûts sans véritablement se rendre compte qu’il allait forcément exploser les comptes. Et dans le prétoire, tout le monde a bien sûr imaginé un train lancé à toute allure qui vient d’un coup à dérailler…

La campagne ? Une « dinguerie » qui est « partie en sucette »

Et tout le monde s’est également souvenu du témoignage de Jérôme Lavrilleux, une semaine plus tôt. Lieutenant de Jean-François Copé tout autant que directeur de campagne adjoint, il avait raconté comment cette campagne présidentielle s’était transformée en une « dinguerie » qui très vite était « partie en sucette ». Pour bien faire comprendre l’idée, il avait expliqué qu’au moment même où les comptes basculaient déjà dans le rouge, on lui avait demandé de multiplier les meetings de campagne. Tout simplement parce qu’à chaque réunion publique, le candidat « gagnait 0,5 point dans le sondage de Paris-Match » grignotant peu à peu son retard sur François Hollande.

Mais tout le monde connaît l’issue. Le président sortant n’est pas parvenu à rattraper son adversaire. Il a toujours dit qu’il lui avait manqué deux, peut-être trois, semaines pour y parvenir. Caroline Viguier aussi connaît l’histoire. Mais elle s’intéresse, de son côté, à ce qu’il s’est passé avant l’élection du candidat socialiste. Aux mois précédents. En resserrant peu à peu la focale sur les véritables responsables de la campagne, elle tente toujours d’y voir clair.

Mais, pour l’instant, rien ne permet d’indiquer clairement que le système illégal a été délibérément mis en place dans le but de permettre à Nicolas Sarkozy de dépenser sans se soucier de la loi. Ou qu’il n’est que la conséquence d’un « dérapage » inévitable des coûts durant la campagne qu’on aurait voulu dissimuler, a posteriori.

Les treize autres prévenus n’ayant pas pu répondre à cette question, tous les espoirs de Caroline Viguier reposent désormais sur les épaules remuantes de Nicolas Sarkozy. Durant l’instruction, il a toujours prétendu qu’il n’avait été informé de rien et surtout qu’il n’avait pas de temps à consacrer à cela. Reste à savoir s’il maintiendra sa version à la barre. Il y est attendu mardi 15 juin, à 13h30. Deux jours plus tard, ce sera au tour du ministère public de prendre ses réquisitions dans cette affaire.

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