Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 10 juin 2021, n° 444849, n° 445063, n° 445355, n° 445365, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A70934UA)
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par Adélaïde Léon
le 14 Juin 2021
► Invité à se prononcer sur diverses dispositions du schéma national du maintien de l’ordre, le Conseil d’État annule la possibilité de recourir à la technique d’encerclement des manifestants, l’interdiction pour les journalistes et observateurs de se maintenir en cas d’ordre de dispersion, l’obligation pour les journalistes de disposer d’une accréditation pour avoir accès au canal d’échange avec les forces de l’ordre, ou encore les dispositions relatives aux conditions de port d’équipements de protection par les journalistes.
Rappel de la procédure. Le Schéma national du maintien de l’ordre a été rendu public le 17 septembre 2020. Ce document, adressé par le ministre de l’Intérieur aux préfets ainsi qu’au secrétaire général du ministère, au directeur général de la police nationale et au directeur général de la gendarmerie nationale, a pour objet, comme le rappelle le Conseil d’État : « de définir le cadre d’exercice du maintien de l’ordre, applicable à toutes les manifestations se déroulant sur le territoire national, fixant une doctrine commune pour l’ensemble des forces de l’ordre ».
Le Conseil d’État a été saisi par plusieurs syndicats et associations aux fins d’annulation des points 2.2.1 (équipement des journalistes), 2.2.2 (canal d’information des journalistes), 2.2.4 (absence de dérogation au profit de journalistes lors des dispersements) et 3.1.4 (technique d’encerclement) du schéma national du maintien de l’ordre.
Décision. Le Conseil d’État censure tout ou partie des points visés par les requêtes.
Le point 2.2.1 autorise les journalistes à porter des équipements de protection sous certaines conditions et plus précisément « dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation.
Le Conseil d’État juge que les dispositions en cause ne se limitent pas à rappeler les termes de l’article 431-9-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9755LPY) lequel est relatif à la dissimulation de toute ou partie du visage au sein ou aux abords d’une manifestation sur la voie publique dans certaines circonstances. La Haute juridiction souligne que les dispositions en cause fixent, dans des termes ambigus et imprécis, des conditions au port d’équipements de protection par les journalistes lors de manifestation.
Or, le ministre de l’Intérieur ne dispose pas en sa qualité de chef de service d’une compétence lui permettant d’édicter de telles règles à l’égard des participants ou assistants à une manifestation, qu’ils soient ou non journalistes.
Le Conseil d’État prononce l’annulation pour excès de pouvoir des mots « dès lors que leur identification est confirmée et leur comportement exempt de toute infraction ou provocation ».
Le point 2.2.2 prévoit l’instauration d’un canal d’échange ouvert aux seuls journalistes titulaires d’une carte de presse et accrédités auprès des autorités afin d’obtenir des forces de l’ordre, en temps réel, des informations supplémentaires relatives au déroulement d’une manifestation, plus précises ou complètes que celles rendues publiques.
Le Conseil d’État juge dans un premier temps que ces dispositions n’affectent pas en elles-mêmes les règles concernant la liberté d’expression et de communication. Par ailleurs, la Haute juridiction estime que, au regard de l’objet de la mesure, les journalistes professionnels sont placés dans une situation différente de celle des autres personnes se prévalant de la qualité de journaliste. Compte tenu des contraintes opérationnelles auxquelles sont soumises les forces de l’ordre lors des manifestations et en l’absence d’autre justificatif permettant d’attester objectivement de l’exercice de la profession de journaliste, le ministre de l’Intérieur pouvait légalement prévoir un dispositif d’information spécifique réservé aux journalistes porteurs de la carte de presse.
En revanche, en ne précisant pas les conditions et modalités de l’accréditation des autorités nécessaires pour accéder au canal, les dispositions rendent possible un choix discrétionnaire des journalistes accrédités parmi tous ceux titulaires de la carte de presse qui en feront la demande.
Le Conseil d’État juge donc que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et de communication et annule les termes « accrédités auprès des autorités ».
Le point 2.2.4 dispose que le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation (C. pén., art. 431-4 N° Lexbase : L6147IGR et 431-5 N° Lexbase : L6116IGM) ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations.
Or, selon le Conseil d’État, les dispositions du Code pénal ne sauraient par elles-mêmes faire échec à la présence de journalistes ou d’observateurs indépendants sur le lieu d’un attroupement afin de rendre compte des événements qui s’y produisent. Dès lors, ces protagonistes doivent être laissés libres d’exercer leur mission lors de la dispersion d’un attroupement à la condition qu’ils se placent de façon à ne pas être confondus avec les manifestants et ne fassent pas obstacle à l’action des forces de l’ordre.
Le Conseil d’État conclut à l’annulation de ce point pour excès de pouvoir.
Le point 3.1.4 autorise l’encerclement de groupes de manifestants aux fins de contrôles, interpellation ou de prévention d’une poursuite des troubles tout en laissant systématiquement un point de sortie contrôlé aux personnes.
Le Conseil d’État rappelle qu’en sa qualité de chef de service, le ministre de l’Intérieur peut prendre les mesures nécessaires pour définir les techniques de maintien de l’ordre en veillant à ce que leur usage soit adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances. La Haute juridiction concède que la mise en œuvre de la technique d’encerclement peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances pour répondre à des troubles caractérisés à l’ordre public. Toutefois, le Conseil souligne que cette technique est susceptible d’affecter significativement la liberté de manifester, d’en dissuader l’exercice et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir.
Faute de prévoir les contextes et conditions dans lesquels la technique d’encerclement peut être mise en œuvre, le point 3.1.4 est annulé par le Conseil d’État en raison de son illégalité.
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