Réf. : Cass. com., 14 avril 2021, n° 18-15.623, F-D (N° Lexbase : A79754P3)
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 09 Juin 2021
Mots-clés : donation indirecte • droits de mutation à titre gratuit • vente immobilière
La requérante conteste, devant le juge de cassation, l’opération de requalification réalisée par l’administration fiscale ; cette dernière, après avoir requalifié une acquisition en donation indirecte en raison de son financement, avait effectué une proposition de rectification portant rappel des droits de mutation à titre gratuit. Le pourvoi de la requérante est accueilli par la Cour de cassation ; il ne saurait y avoir requalification de la vente immobilière en donation en présence d’une reconnaissance de dette et d’un remboursement effectif, même partiel. Pour qu’advienne requalification d’un acte en donation, encore faut-il que les trois éléments suivants soient réunis : intention libérale du donateur, dépouillement irrévocable de ce dernier, acceptation par le donataire. À défaut, l’administration fiscale n’est pas fondée à réaliser ladite opération de requalification.
La requérante fait l’acquisition en 2009 d’un appartement (800 000 euros) et d’un box-garage (15 000 euros) grâce à des fonds prêtés par son compagnon qui, de son côté, souscrit un emprunt bancaire avec son épouse. La requérante réalise une reconnaissance de dette. En 2010, elle rembourse à son compagnon – devenu son époux – 429 725 euros après perception du fruit de la vente d’un appartement. La même année, elle fait donation à son mari de la moitié indivise dont le montant est évalué à 407 500 euros. En 2011, l’administration fiscale – requalifiant l’acquisition de 2009 en donation indirecte - lui adresse une proposition de rectification portant rappel des droits de mutations à titre gratuit. Aux yeux de la requérante, l’opération effectuée ne conduit en rien à ce qu’elle ait bénéficié d’une quelconque libéralité ; elle assigne donc l’administration fiscale en dégrèvement de l’imposition supplémentaire mise à sa charge. L’arrêt attaqué emporterait violation des articles 893 et 894 du code civil. La cour d’appel d’Aix-en-Provence se serait contentée de prendre en compte le remboursement partiel effectif et spontanée de la dette qu’elle avait (à l’égard de son compagnon-futur époux) uniquement pour réduire le solde de la donation et non pour apprécier – en amont – l’existence même de cette donation. Il est ainsi reproché au juge d’appel de valider la requalification de la vente immobilière en donation indirecte nonobstant la reconnaissance de dette signée devant notaire.
La Cour de cassation fait lecture, de prime abord, de l’article 894 du Code civil (N° Lexbase : L0035HPY), rappelant que la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte. La Cour de cassation constate ensuite que l’arrêt attaqué (soutenant la thèse de la requalification de l’acte d’acquisition en donation indirecte) mentionne les éléments suivants :
Pour la cour d’appel d’Aix-en-Provence, la donation de 2010 au profit de l’époux de la moitié indivise de l’appartement ne peut pas être regardée comme une modalité de remboursement du prêt dans la mesure où la volonté libérale de la requérante y est expressément mentionnée. Il appert encore que le montant déclaré dans la donation de 2010 ne soit pas corrélé au solde du prêt. Enfin, la donation consentie au mari ne permettait pas de désintéresser l’ex-épouse (cette dernière étant co-emprunteur du prêt de 900 000 euros souscrit pour l’acquisition de l’appartement).
Selon la Cour de cassation, la cour d’appel ne tire pas les conséquences légales de ses propres constations et viole l’article 894 du Code civil. En effet, la somme de 851 940 euros – qui figure sur la reconnaissance de dette et correspond bien au financement de l’acquisition des biens immobiliers – a été remboursée par la requérante sur ses fonds propres, à concurrence de la somme de 429 725 euros. De plus, la requérante a fait donation à son époux de la moitié indivise des biens immobiliers acquis : il s’ensuit qu’à l’issue de ces opérations chacun a payé sa part des biens en question. Faute de dépouillement irrévocable du mari de la requérante au profit de cette dernière, les conditions d’une donation n’apparaissent pas réunies.
La requérante faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir validé la procédure de rectification. Lorsque l’administration remet en cause la qualification d’un acte juridique en alléguant la mauvaise du contribuable, elle entend réprimer – même implicitement soutient la requérante – un abus de droit. Cela l’oblige alors à mettre en œuvre la procédure spécifiquement prévue par le LPF. La Cour d’appel ne pouvait pas statuer sur les modalités de mauvaise foi tout en reprenant l’argumentation de l’administration selon laquelle il n’y avait pas intention d’éluder l’impôt. En requalifiant la vente en donation indirecte, l’administration retenait l’existence d’une intention d’éluder l’impôt et avait donc entendu réprimer un abus de droit. Pour la requérante, il y a ici violation de l’article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L9266LNI). La contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs. Il y a encore, selon la requérante, violation de l’article 455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B) par la cour d’appel qui affirme que l’administration ne soutenait pas que l’acte de vente avait été passé avec l’intention d’éluder l’impôt puis statue sur le bien-fondé des pénalités de mauvaise foi. La requérante insiste sur le point suivant : dès lors que l’administration fonde son redressement sur une dissimulation d’un acte par un acte, elle doit obligatoirement suivre la procédure de répression des abus de droit. Or, la cour d’appel s’est contentée, selon la requérante, de soutenir que l’administration n’avait pas invoqué le caractère fictif de l’acte de vente. Par la négative, le juge d’appel n’a pas recherché – alors même qu’il était sollicité pour statuer en ce sens – si l’administration ne visait pas à réprimer un abus de droit rampant. À l’appui de sa thèse, la requérante rappelle que l’administration avait développé une argumentation centrée sur la « dissimulation de la véritable nature du contrat ».
La Cour de cassation rappelle la teneur de l’article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB) : application d’une majoration de 40 % pour manquement délibéré il y a en cas de volonté du contribuable d’éluder l’impôt. Cependant, est-il aussitôt ajouté, l’application de la majoration de 40 % ne permet pas, « à elle-seule », de soutenir que l’administration entendait implicitement réprimer un abus de droit impliquant le recours à la procédure de l’article L. 64 du LPF. Ce dernier n’est pas applicable quand l’administration ne fonde pas son redressement sur la dissimulation d’un acte par un autre ; cet article L. 64 du LPF n’est pas applicable quand l’administration « entend seulement donner leur effet légal aux actes et conventions tels qu’ils lui ont été soumis ». Dans le cas présent, l’administration n’invoque aucunement le caractère fictif de l’acte de vente de 2009, tout comme elle ne soutient pas que cet acte est inspiré par la volonté d’éluder l’impôt. Pour l’administration, l’acte en question constitue une donation indirecte dans la mesure où le prix n’a pas été payé par la requérante mais par son compagnon-futur époux. Une majoration de 40 % a été appliquée car la requérante ne pouvait pas ignorer l’obligation qui lui revenait de déclarer « une libéralité d’un montant aussi important ». La cour d’appel n’a pas violé le droit en vigueur : elle n’avait pas à rechercher si l’usage de la formule suivante – « dissimulation de la véritable nature du contrat » (cf. un paragraphe de conclusions de première instance de l’administration) – caractérisait ou non la répression implicite d’un abus de droit. En effet, à chaque stade de la procédure, l’administration cherchait seulement à restituer son effet légal à la convention. Il s’ensuit que la procédure de rectification contradictoire de l’article L. 55 du LPF (N° Lexbase : L5685IEB) – conduisant in fine à la requalification de l’acte d’acquisition en donation indirecte – a été correctement appliquée par l’administration. L’arrêt de la cour d’appel ne mérite pas cassation sur ce point.
La requérante ne peut donc pas reprocher à l’administration de ne pas avoir eu recours à la procédure visée à l’article L. 64 du LPF. Elle ne se trouve pas dans la configuration classique telle qu’elle peut émerger, par exemple, dans un arrêt de la Cour de cassation en date du 4 mars 2020 (Cass. com., 4 mars 2020, n° 17-31.642, F-D N° Lexbase : A53653IK). Ici, l'administration entendait démontrer la réunion des éléments constitutifs d'une donation sous l'apparence d'une vente ; était invoquée la volonté manifeste et délibérée de la société d'éluder les droits dont elle était redevable (notamment à raison de la profession de notaire du principal associé). Selon l’administration, l'écart substantiel entre les prix de cession pratiqués et les valeurs ressortant du marché local (représentatif de ventes à vils prix) était volontaire et le fait de personnes informées. Elle entendait faire application de la majoration pour manquement délibéré. La Cour de cassation, reprenant le raisonnement de la cour d’appel, constate que l'administration s'est placée sur le terrain de l'abus de droit. À défaut de la non-application de la procédure de l'article L. 64 du LPF, les procédures de redressement et de recouvrement sont entachées d'irrégularité. Tel n’est pas le raisonnement suivi – car la configuration factuelle s’avère différente – dans l’arrêt du 14 avril 2021 soumis à commentaire.
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