Lexbase Fiscal n°867 du 3 juin 2021 : Fiscalité financière

[A la une] Les actifs numériques : un marché nouveau et en pleine expansion

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par Sarah Maubert Mendez / Alex Ajroud Chetiou / Benjamin Guion et Eizer Souidi, Avocats

le 02 Juin 2021

Les actifs numériques, aujourd’hui bien connus grâce aux actualités médiatiques récentes, font partie d’un marché en pleine expansion. Ces derniers mois ont permis d’assister à une croissance exponentielle du bien connu Bitcoin, qui est ainsi passé, entre 2014 et 2021, d’environ 200 dollars l’unité à plus de 60 000 dollars.

Mais le Bitcoin n’est pas le seul actif numérique fondé sur une blockchain à avoir explosé aux yeux du monde entier : d’autres cryptomonnaies, et d’autres actifs tels que des Non Fungible Tokens (« NFT »), ont vu le jour et les échanges atteignent aujourd’hui des volumes pharamineux.

C’est la raison pour laquelle les médias et la doctrine se sont eux aussi penchés, au cours des derniers mois, sur les divers évènements intervenus dans le secteur des actifs numériques, et de plus en plus de grandes entreprises s’intéressent également de près à la question.

C'est par exemple le cas de l’entreprise Tesla, présidée par Elon Musk, qui déclarait en février 2021 qu’elle allait accepter dans les mois à venir les paiements en Bitcoins, et faisait l’acquisition de 1,5 milliard d’euros de la cryptomonnaie. En mai 2021, celui-ci faisait volteface, et, s’indignant du caractère polluant du minage de cryptomonnaies, annonçait finalement que l’entreprise n’accepterait aucun paiement. Cette annonce eut un effet redoutable sur le cours du Bitcoin, qui perdit près de 40 % en une semaine après l’annonce.

Mais cela va encore plus loin, et des entreprises privées se mettent désormais à créer des cryptomonnaies pour servir des projets bien définis. C’est par exemple le cas du club de football de la Juventus de Turin qui a émis ses propres « tokens » (ou « jetons ») en 2019, pour permettre aux fans qui en feraient l’acquisition d’influer sur certaines politiques du club.

Les cryptomonnaies peuvent également être échangées en dehors des plateformes internet et s’exécuter sous des formes inattendues. C’est ainsi qu’une première vente aux enchères de cryptomonnaies est intervenue le 17 mars 2021, au cours de laquelle 611 Bitcoins saisis par l’État français ont été mis à la vente.

Cela n’est pas sans poser des questions éthico-juridiques, avec un enrichissement de l’État au profit de la personne saisie, les Bitcoins ayant été cédés au cours actuel, voire nettement plus pour certains lots.

Également, les NFT sont en plein essor au cours de cette année 2021, avec de nouvelles plateformes qui voient le jour régulièrement et des volumes d’échanges élevés. Cet essor pose des questions en matière de licences des marques en lien avec l’image, la vidéo ou le son échangé, et sur la propriété réelle de l’objet. En réalité, posséder un NFT consisterait à ne posséder que l’enregistrement de l’actif sur la blockchain, et non l’actif lui-même. Il n’y a donc pas transfert de propriété intellectuelle de l’image ou du son en lui-même. La fiscalité afférente à ces actifs sera abordée dans l’article « Tokens et NFT : Variations sur le thème des cryptoactifs ».

Des combinaisons d’actifs numériques sont également mises en place. On peut par exemple observer des entreprises émettre une cryptomonnaie qui servira de base d’échanges à des NFT qui seraient émis par la même entreprise. Cette dernière serait à la fois créatrice de monnaie d’échange et des actifs cédés. C’est le cas de l’entreprise Ecomi, qui propose des figurines à collectionner sur une plateforme numérique, que l’investisseur ne peut acquérir les figurines que par le biais de la cryptomonnaie OMI, émise par la société Ecomi.

D’autres plateformes, sous forme de jeu de simulation sportive, émettent des images de joueurs de football, qui peuvent s’échanger contre une cryptomonnaie.

À côté de ces éléments intrinsèquement liés au marché économique du secteur, il n’en demeure pas moins que les actifs numériques restent des éléments de patrimoine. Ceux-ci pourront donc s’intégrer dans une stratégie patrimoniale globale, qu’il s’agisse d’opérations d’optimisation ou de transmission. Des opérations de démembrement peuvent donc s’opérer, ainsi que des opérations de donations. Fiscalement, ces opérations ne sont pas neutres, et une réponse adaptée doit y être apportée. Ces opérations feront l’objet d’une étude dans l’article « Patrimonial et Démembrement : Application aux cryptoactifs ».

Également, en l’absence de droit commun de l’Union européenne en la matière, il est possible de constater un phénomène de tax shopping qui s’opère, et s’agissant d’un marché dématérialisé les contribuables réalisant d’importants profits en ce domaine pourraient ne pas hésiter à se domicilier dans le pays offrant la fiscalité la plus avantageuse dans le secteur. Les différentes législations européennes seront abordées dans l’article « Un tour d’Europe en 80 cryptos ».

Les différents évènements pouvant survenir, principalement médiatiques, mettent également l’accent sur les dérives qui peuvent se produire sur le marché des actifs numériques en l’absence d’une autorité de réglementation. En effet, une personne bénéficiant d’une certaine influence médiatique, tel qu’Elon Musk par exemple, a le pouvoir de faire évoluer le cours d’une cryptomonnaie à la hausse ou à la baisse. Nous avons pu le constater au cours des derniers mois, où ce dernier a d’abord, par la publication d’un tweet fait grimper le cours du Dogecoin, avant d'entraîner une forte baisse du Bitcoin par de nouveaux tweets critiquant cette crypto-monnaie (après l’avoir encensée quelques mois plus tôt).

Là où ces dérives peuvent être graves, c’est que le cours du Bitcoin, par exemple, s’évalue à plusieurs dizaines de milliers d’euros, et qu’une forte variation de la cryptomonnaie a d’importantes conséquences sur le portefeuille du contribuable, et surtout sur le bon fonctionnement des marchés. Cela peut nous faire penser, à certains égards, au délit d’initié, où la personne influente peut prévoir avec une quasi-certitude l’effet qu’aura sa prise de parole sur le cours d’une crypto-monnaie, et donc préparer son opération en amont de sa communication et en tirer d’importants profits. Elon Musk n'apparaît que comme un exemple avéré d’une telle situation, où il a été possible de constater l’évolution immédiate d’un cours d’actifs numériques à la suite d’une prise de parole. Mais cette situation peut se répéter avec de nombreuses autres personnes publiques, et la mise en place d’un frein voire d’une régulation sont aujourd'hui nécessaires afin d’éviter de véritables catastrophes financières.

Il paraît donc indispensable, dans un avenir proche, d’instituer une véritable autorité de régulation des marchés de cryptomonnaies, par exemple sur le modèle de ce qui existe au niveau boursier, afin d’éviter des abus pouvant facilement survenir dans un environnement volatile et porté par l’influence des réseaux sociaux.

Ces éléments poussent également les juristes fiscalistes à se montrer extrêmement vigilants sur le traitement fiscal à apporter à l’ensemble de ces opérations. En effet, il ne faut pas oublier que tout gain, toute création de richesse, est par nature imposable. Et, en l’absence de législation commune au niveau européen sur le traitement fiscal des gains de cessions d’actifs numériques, la législation interne de chaque pays trouve à s’appliquer. Le traitement fiscal français de la question sera traité dans l’article « Le casse-tête de la détention des cryptoactifs ».

Il convient donc de séparer précisément les différents échanges intervenant dans le marché des actifs numériques et de bien définir les faits générateurs d’imposition. Les volumes d’échanges, et donc de gains peuvent atteindre d’importantes sommes du fait de la forte croissance dont peuvent bénéficier certains actifs numériques. Le Bitcoin, par exemple, a connu une croissance de plus de 300 % au cours de la dernière année. Un manquement fiscal peut ainsi avoir des conséquences non négligeables sur un contribuable, et les déclarations doivent être effectuées avec minutie. Celles-ci seront abordées à l’article « Obligations déclaratives des cryptoactifs : un double chantier ».

Chaque situation est donc à étudier avec minutie afin d’y apporter le traitement fiscal adapté. C’est la raison pour laquelle est proposée cette série d’articles, qui vise à donner des clés de compréhension et d’appréhension de cette niche fiscale, dont l’importance ne cesse de croître.

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