La lettre juridique n°495 du 26 juillet 2012 : Droit de la famille

[Jurisprudence] La responsabilité du parent qui ne respecte pas les droits de l'autre

Réf. : CA Nîmes, 20 juin 2012, n° 10/02716 (N° Lexbase : A2640IPH)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP

le 26 Juillet 2012

L'arrêt rendu le 20 juin 2012 par la cour d'appel de Nîmes mérite une attention particulière en ce qu'il constitue une des rares décisions qui sanctionne le non-respect par un parent des droits de l'autre, garantissant ainsi l'effectivité de la coparentalité, principe cardinal du droit de l'autorité parentale depuis la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 (N° Lexbase : L4320A4R). En l'espèce, le père avait organisé pendant l'exercice de son droit de visite et d'hébergement "la communion dans le culte israélite (bar-mitsva)" de l'enfant âgé de douze ans lors d'un voyage en Israël sans que la mère n'en ait été informée. Cette dernière estimant que ce faisant, le père n'avait pas respecté ses droits parentaux, réclamait dans le cadre de la procédure de divorce, des dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). La cour d'appel fait droit à cette demande, considérant que le père aurait dû obtenir l'accord de la mère pour faire procéder à la communion de l'enfant (I) et admettant l'existence d'un préjudice moral pour la mère découlant d'une "violation de l'autorité parentale conjointe" (II). I - Le non-respect de l'exigence du consentement de l'autre parent

Il ressort du raisonnement de la cour d'appel de Nîmes que l'acte relatif à la personne de l'enfant en cause nécessitait le consentement des deux parents et que la mère n'avait pas donné son accord pour cet acte particulier.

Acte non usuel. En se fondant sur l'article 371-1 du Code civil (N° Lexbase : L2894ABS), la cour d'appel de Nîmes affirme que "parmi les décisions importantes concernant la vie des enfants, figure au troisième rang la religion", qualifiant ainsi l'acte religieux d'acte important, en opposition à l'acte de la vie courante ou acte usuel. En effet, l'article 372-2 du Code civil (N° Lexbase : L2902AB4) établit dans le cadre de l'exercice en commun de l'autorité parentale, une présomption d'accord entre les parents pour les actes usuels relatifs à la personne de l'enfant. Il en résulte, a contrario que l'accord des deux parents, est nécessaire pour que soit réalisé un acte non usuel ; en cas de désaccord, l'un d'eux peut saisir le juge aux affaires familiales pour trancher le conflit. L'acte usuel ne fait l'objet d'aucune définition légale. Il s'agit d'une de ces notions cadre auxquelles le législateur a souvent recours en droit de la famille et qui constitue davantage une catégorie générale, dont le juge est chargé de définir le contenu, plutôt qu'une notion aux contours précis (1). Le rapport "Léonetti" intitulé "Intérêt de l'enfant, autorité parentale et droits des tiers" remis le 7 novembre 2009 au Premier ministre, et qui devait donner son point de vue sur l'avant-projet de loi relatif à l'autorité proposé la même année par Nadine Morano a affirmé que "c'est à la jurisprudence d'apprécier, dans chaque cas d'espèce, s'il s'agit d'un acte usuel ou bien d'un acte grave, inhabituel, pour lequel une décision collégiale s'impose. [...] On considère généralement qu'un acte est important ou non usuel, s'il rompt avec le passé ou s'il engage l'avenir de l'enfant. Ainsi, tout choix inhabituel ou important dans la vie de l'enfant requiert l'accord systématique des deux parents". La cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans le contexte de l'assistance éducative (2), a également, dans un arrêt en date du 28 octobre 2011, proposé une définition particulièrement intéressante des actes usuels qui seraient "des actes de la vie quotidienne, sans gravité, qui n'engagent pas l'avenir de l'enfant, qui ne donnent pas lieu à une appréciation de principe essentielle et ne présentent aucun risque grave apparent pour l'enfant, ou encore, même s'ils revêtent un caractère important, des actes s'inscrivant dans une pratique antérieure non contestée" (3).

Dans l'affaire jugée par la cour d'appel de Nîmes, l'acte en question n'était à l'évidence pas un acte usuel. En effet, tout d'abord, la bar-mitsva est en elle-même un acte religieux important qui implique le consentement des deux parents, mais en l'espèce elle avait une importance encore plus grande car elle emportait la conversion de l'enfant à la religion juive.

Consentement particulier. Le père semblait prétendre que la mère avait implicitement consenti à la conversion de l'enfant à la religion juive en acceptant que l'enfant reçoive une éducation religieuse. Il verse en effet aux débats une lettre dans laquelle la mère indique : "je n'ai jamais été contre que les enfants suivent l'éducation religieuse que tu voulais qu'ils aient et pour laquelle j'ai toujours été d'accord". Toutefois, la cour d'appel constate que "cet accord ne concernait que la participation à une éducation religieuse non nécessairement suivi d'un engagement suffisamment important et sérieux pour entraîner la conversion à cette religion". On pourrait même considérer que l'acceptation par un parent du fait que l'enfant suive une éducation religieuse ne dispense pas l'autre parent de solliciter son accord pour que l'enfant reçoive les différents sacrements prévus par cette religion. L'acte en lui-même, baptême ou communion, revêt en effet une importance qui implique la participation des deux parents (4). C'est ainsi de manière légitime que la mère regrette d'avoir été exclue "de ce moment important de la vie d'homme de Sacha".

Absence de motif sérieux. La cour d'appel de Nîmes relève que les parents étaient, certes, en situation de conflit mais parvenaient à échanger par le biais de leurs messageries respectives sur l'organisation des vacances et en particulier sur les modalités de trajet et en déduit qu'aucun motif sérieux n'empêchait, dès lors, le père d'informer le père du choix de cette conversion religieuse. La cour considère ainsi que l'attitude du père est une manifestation d'un certain mépris des positions de l'autre parent dans le cadre de l'exercice conjoint de l'autorité parentale.

II - La réparation du préjudice résultant du non-respect des droits parentaux

Préjudice moral. La cour d'appel de Nîmes considère que la mère a subi un préjudice moral du fait du non-respect de ses droits parentaux et lui accorde 5 000 euros de dommages et intérêts. Cette analyse est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui a admis, dans un arrêt du 27 février 2007 (5), le "préjudice moral direct et certain éprouvé par [la mère] et tiré de la méconnaissance de ses prérogatives d'autorité parentale" ; en l'occurrence, le père avait autorisé la publication de photographie d'enfant mineur alors que la mère s'y était opposée. Elle rejette, ainsi, le pourvoi dans lequel l'éditeur de la publication avait tenté de démontrer que les fonctions attachées à l'autorité parentale ne comportent aucun attribut en faveur de la personne de leur titulaire et qu'il en résultait que celui-ci ne peut se prévaloir d'un préjudice personnel du fait d'un acte qui aurait requis son consentement au nom du mineur, seul ce dernier, agissant par ses représentants, pouvant demander, et à son seul profit, réparation du préjudice subi lui-même du fait de cet acte. Ainsi, le médecin qui pratique une circoncision sans l'accord de l'autre parent engage sa responsabilité à l'égard de ce dernier (6). La responsabilité du médecin psychiatre a été également retenue en raison de la délivrance de soins à un enfant mineur alors que le père a fait connaître son opposition au suivi psychologique de l'enfant par le médecin psychiatre par lettre recommandée avec accusé de réception (7).

Responsabilité d'un parent à l'égard de l'autre. La spécificité de la décision nîmoise réside cependant dans le fait qu'elle admet la responsabilité d'un parent à l'égard de l'autre. La plupart des décisions rendues sur cette question admettent, en effet, la responsabilité du tiers, médecin, éditeur, qui a accompli l'acte relatif à la personne de l'enfant. En l'espèce, il est vrai que la bar-mitsva ayant eu lieu en Israël, il était difficile de mettre en cause un tiers. Toutefois, une telle condamnation d'un parent au bénéfice de l'autre revêt une importance particulière en ce qu'elle vient sanctionner l'obligation spécifique de chacun des parents de respecter les droits parentaux de l'autre. Cette obligation est indirectement mentionnée à l'article 373-2, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2905AB9) selon lequel "chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent" ; par ailleurs, dans le même sens, l'article 373-2-11, 3° (N° Lexbase : L7191IMB), vise parmi les critères que le juge aux affaires familiales doit prendre en compte pour fixer les modalités d'exercice de l'autorité parentale, "l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre". La condamnation du père qui n'a pas respecté le droit de la mère en matière religieuse constitue sans aucun doute une manifestation bienvenue de la volonté des juges d'assurer l'effectivité de la coparentalité.

Intérêt de l'enfant. Cette solution mérite d'autant plus d'être saluée qu'elle va à l'évidence dans le sens de l'intérêt de l'enfant et du respect du droit de celui-ci de maintenir des liens -de qualité- avec ses deux parents. Dans ses conclusions, reprises par la cour d'appel, la mère de l'enfant regrette légitimement que le père ait placé celui-ci dans un conflit de loyauté entre ses parents : "tu ne sais pas dans quel état d'esprit se trouve Sacha par rapport à cet événement, le pauvre petit le vit très mal, car il ne veut pas me faire du mal et il n'ose pas t'affronter"...


(1) A. Gouttenoire, Rep. Dalloz civil, V°Autorité parentale, 2012.
(2) La notion d'acte usuel est également mobilisée lorsque l'enfant est confié à un tiers par le juge aux affaires familiales (C. civ., art. 373-4 N° Lexbase : L2907ABB) ou par le juge des enfants (C. civ., art. 375-7 N° Lexbase : L7179IMT).
(3) CA Aix-en-Provence, 28 octobre 2011, n° 11/00127 (N° Lexbase : A9428IQA).
(4) Il en va évidemment de même de la circoncision (le tribunal de Cologne (Allemagne) a récemment interdit, dans une décision du 26 juin 2012, en estimant que "le corps d'un enfant était modifié durablement et de manière irréparable par la circoncision" et que "cette modification est contraire à l'intérêt de l'enfant qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse. Le droit d'un enfant à son intégrité physique prime sur le droit des parents".
(5) Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 06-14.273, F-P+B (N° Lexbase : A4205DUB), RTDCiv., 2007, 327, obs. J. Hauser ; Dr. fam., 2007, 124, obs. P. Murat.
(6) CA Paris, 1ère ch., sect. B, 29 septembre 2000, n° 1999/08304 (N° Lexbase : A2758ATC), D., 2001, 1585, note Duvert.
(7) CA Nîmes, 15 septembre 2009, n° 07/04215 (N° Lexbase : A9462IQI).

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