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N3151BTU
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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
le 26 Juillet 2012
A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité des frais de voyage et de déplacement des membres du conseil de surveillance pour les exercices 1998 à 2000, au motif qu'aucune décision préalable n'avait été prise en ce sens par le conseil de surveillance de la société. Tant en appel (CAA Douai, 3ème ch., 24 juin 2010, n° 08DA01124, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5393E4I), qu'en cassation (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 342753, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5168IP4), la position de l'administration fiscale sera confirmée au visa des dispositions de l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L1212HLH) et de l'article 118 du décret du 23 mars 1967 (décret n° 67-236 du 23 mars 1967, art. 118 N° Lexbase : L2351AHK ; aujourd'hui : C. com., art. R. 225-60 N° Lexbase : L4637H9M).
Il faut malheureusement constater qu'en France, le dirigeant d'une société éprouve généralement un intérêt inversement proportionnel au nombre de documents que son comptable, dans la pratique professionnelle, devra lui faire signer dans les six mois de la clôture de l'exercice : une formalité perçue comme désuète dans la très grande majorité des petites entreprises dont l'exercice se fait sous couvert d'une société obéissant à des règles juridiques souvent mal comprises, lorsqu'elles ne sont pas tout simplement ignorées. Il est d'ailleurs assez piquant, en pratique, de constater l'affolement soudain de ces mêmes dirigeants lorsque les statuts et les actes de sociétés n'ont pas été mis à jour depuis, parfois, de nombreuses années : indirectement, ce sont les banques qui font respecter "le secrétariat juridique" -terminologie honnie qui tend à dévaloriser ce que les juristes appellent des "actes de société"- en exigeant des documents juridiques à jour préalablement au renouvellement de leurs concours bancaires.
Tous ces actes de société sont pourtant une source d'information et de contentieux intarissable avec l'administration fiscale : pour s'en convaincre, il suffira de se reporter aux derniers avis du Comité de l'abus de droit fiscal dans lesquels l'administration et le Comité s'appuient, notamment, sur les résolutions adoptées par les associés des sociétés concernées, la disparition de l'affectio societatis de ces sociétés, leur activité "réelle" (instruction du 21 mai 2012, BOI 13 L-4-12 N° Lexbase : X2540AKB), pour en conclure à l'existence d'un abus de droit.
La jurisprudence témoigne du respect du droit des sociétés et des conséquences que doivent en tirer les contribuables et l'administration : à titre d'exemple, en matière d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), les dispositions du CGI permettent un régime d'exception au principe d'imposition du patrimoine du contribuable pour les biens professionnels. Par principe, les dirigeants de sociétés de capitaux peuvent alors prétendre à l'exonération des titres de société à la triple condition d'être rémunérés pour plus de la moitié de leurs revenus d'activité, de détenir au moins 25 % des droits de vote et d'avoir été nommés en qualité de dirigeant. C'est ce dernier point qui a opposé une contribuable à l'administration fiscale : selon la requérante, les dispositions de l'article 885 O bis du CGI (N° Lexbase : L1126ITU), relatives à la qualification de biens professionnels des parts et actions de sociétés soumises à l'IS "ne pose aucunement la condition suivant laquelle la nomination des dirigeants des SA visés à l'alinéa 1er doit respecter le formalisme de la loi sur les sociétés commerciales, alors que cette condition est posée pour les gérants des SARL". La contribuable, qui faisait une mauvaise interprétation de la loi fiscale, soutenait que la notion de dirigeant devait s'entendre comme étant détachée de toute référence à la loi commerciale : le directeur des services fiscaux soutiendra exactement le contraire et appuiera sa démonstration sur les dispositions de la loi du 24 juillet 1966, relatives au droit des sociétés, applicables aux faits de l'espèce. Par conséquent, pour l'administration fiscale -suivie par le juge de l'impôt judiciaire- point d'autonomie : le fonctionnement des organes sociaux de la société anonyme dépend du droit des sociétés et le droit fiscal en tire les conséquences (Cass. com., 26 novembre 2003, n° 01-14.079, publié N° Lexbase : A3105DAA ; instruction du 3 août 2004, BOI 7 S-5-04 N° Lexbase : X3220ACA ; CA Paris, 1ère ch., sect. B, 18 décembre 2003, n° 2002/11330 N° Lexbase : A8932DA3).
Si certains esprits chagrins regretteront l'excès de "juridisme" dont l'administration fiscale sait si bien faire preuve en opposant -non sans une certaine facilité au cas d'espèce- l'absence d'une délibération d'un conseil de surveillance respectant la lettre de l'article R. 225-60 du Code de commerce pour réintégrer l'ensemble des frais de voyage et de déplacement de leurs membres, ils pourront également observer que le service n'est jamais démuni pour aller au-delà des apparences issues d'un acte juridique lorsque les intérêts du Trésor le commandent. En conclusion, quitte à croiser le fer avec l'administration fiscale, autant respecter les prescriptions du droit des sociétés et ne pas lui offrir un motif de redressement qui se révèlera impossible à combattre sur le fond.
La décision ici commentée a trait au régime spécifique de l'impôt sur les sociétés pour les personnes morales de droit public. Aux termes des dispositions applicables au cas d'espèce, les établissements publics, les organismes de l'Etat jouissant de l'autonomie financière, les organismes des départements et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, sont passibles de l'impôt sur les sociétés (CGI, art. 206 N° Lexbase : L3761HLU), sous réserve des dispositions des 6° et 6° bis du 1 de l'article 207 (N° Lexbase : L3781HLM). Le CGI précise également que : "les établissements publics, les exploitations industrielles ou commerciales de l'Etat ou des collectivités locales [...] doivent [...] acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations" (CGI, art. 1654 N° Lexbase : L1897HM9). Il s'agit d'éviter toute forme de distorsion de concurrence avec des entreprises privées. C'est d'ailleurs la même logique qui prévaut avec les associations "loi 1901" (instruction du 18 décembre 2006, BOI 4 H-5-06 N° Lexbase : X7805ADG ; CE Section, 1er octobre 1999, n° 170289, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4697AXA ; C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P.-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz, coll. : Grands arrêts, 5ème édition, 2009, p. 526).
Au cas particulier, après avoir fait l'objet d'une procédure de taxation d'office (LPF, art. L. 66 N° Lexbase : L8556AEM) pour ne pas avoir souscrit ses déclarations d'impôt sur les sociétés pour les années 1997 à 1999 après mises en demeure obligatoirement adressées, sauf exceptions (1), par l'administration fiscale en septembre 2000, l'appel relevé par la commune de La Ciotat a été rejeté au motif que la régie dotée de l'autonomie financière exploitant le port de plaisance de La Ciotat avait dégagé d'importants résultats d'exploitation (2) et qu'il ne résultait pas de l'instruction que ces excédents avaient été affectés à la seule exploitation de ce port de plaisance (CAA Marseille, 3ème ch., 10 mai 2010, n° 07MA03673, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1091E48).
De plus, selon la cour, l'exonération prévue au 6° du 1 de l'article 207 du CGI (3) (N° Lexbase : L3781HLM) n'est applicable que si les régies locales ont pour objet l'exploitation ou l'exécution d'un service indispensable à la satisfaction des besoins collectifs des habitants de la collectivité en question, ce qui n'était pas le cas en l'espèce (CE, 16 janvier 1956, n° 13019, Dupont 1956, p. 239 ; v. par exemple : exploitation d'un laboratoire : CAA Douai, 3ème ch., 30 décembre 2003, n° 01DA00011, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8070DA7 ; exploitation d'une régie municipale de télévision : QE n° 57439 de M. Lang Pierre, JOANQ 8 février 2005 p. 1227, min. Eco., réponse publ. 24 mai 2005 p. 5339, 12ème législature N° Lexbase : L7216G8R). On notera toutefois que le Conseil d'Etat a récemment jugé qu'un établissement public gérant, en régie, un port de plaisance, peut être exonéré d'impôt sur les sociétés, si le service exploité est indispensable à la satisfaction d'intérêts collectifs, quand bien même il aurait été doté de la personnalité morale (CE 3° et 8° s-s-r., 7 mars 2012, n° 331970, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3339IEE).
Au soutien de son arrêt, la cour administrative d'appel avait recherché l'existence d'une gestion susceptible d'entrer en concurrence avec des entreprises selon le mode opératoire suivant (comp. : CAA Marseille, 3ème ch., 13 avril 2012, n° 09MA02005, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1551IKN ; CAA Douai, 3ème ch., 14 décembre 2004, n° 02DA00159, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9734DEA) :
-la gestion de la personne morale a un caractère désintéressé ;
-les services rendus ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique ;
-même dans le cas où cette personne morale intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, elle reste exclue du champ de l'impôt sur les sociétés si elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s'adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et, à tout le moins, des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l'information du public sur les services qu'elle offre.
En cassation, le Conseil d'Etat va censurer pour erreur de droit l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille pour ne pas avoir recherché, in concreto, si l'exploitation était lucrative "eu égard à l'objet du service en cause et aux conditions particulières", dans lesquelles était géré le port de plaisance et dont on peut regretter qu'elles ne soient pas mentionnées dans l'arrêt rendu par la Haute juridiction administrative. Cette jurisprudence, qui condamne la doctrine administrative selon laquelle l'exploitation en régie d'un port de plaisance par une commune devait être considérée comme une activité soumise à l'impôt sur les sociétés (QE n° 12493 de Mme Bouillé Marie-Odile, JOANQ 11 décembre 2007, p. 7756, réponse publ. 3 mars 2009, p. 2039, 13ème législature N° Lexbase : L0128ID4) va contraindre la cour administrative d'appel de Marseille, saisie sur renvoi, d'analyser avec précision les conditions d'exploitation de ce port de plaisance et d'en tirer les conséquences en conformité avec la jurisprudence du Conseil d'Etat.
La société requérante, dont l'activité est le négoce de matériaux et de carrelages, a été condamnée, en 1989, par le juge judiciaire, à démolir une construction édifiée sans permis de construire, sous peine d'une astreinte (C. urb., art. L. 480-7 N° Lexbase : L5524C84) et liquidée en 1992 par le juge correctionnel, dès lors que la décision de justice n'avait pas été exécutée pour des montants de 2 506,11 euros (16 439 francs) en 1998, 17 656,04 euros (115 816 francs) en 1999 et 16 449,25 euros (107 900 francs) en 2000.
A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a réintégré les astreintes déduites du résultat comptable et elle a remis en cause une provision pour litige correspondant aux astreintes encourues mais non encore liquidées dans les comptes de l'exercice clos en 2000. Dans ces conditions, les sommes versées constituaient-elles une amende ou une pénalité non déductible ? On sait, en effet, qu'aux termes des dispositions de l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L1212HLH), si le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, une réserve est toutefois expressément formulée par le législateur s'agissant, dans la rédaction applicable aux faits de l'espèce, des "transactions, amendes, confiscations, pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants aux dispositions légales régissant les prix, le ravitaillement, la répartition des divers produits et l'assiette des impôts, contributions et taxes". Ce principe de non-déductibilité, toujours d'actualité et qui a fait l'objet d'une intervention législative récente permettant un élargissement du champ d'application de ce texte (loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007, de finances pour 2008 N° Lexbase : L5488H3N ; instruction du 16 octobre 2008, BOI 4 C-5-08 N° Lexbase : X4357AE4), offre toutefois une exception pour les pénalités contractuelles, dans le cadre de relations commerciales, si elles ne sanctionnent pas des manquements à des obligations légales. Cependant, hormis cette exception, de nombreuses décisions ont été rendues pour lesquelles des amendes ou des pénalités ont été réintégrées au résultat imposable de l'entreprise (v. par exemple : amendes pour infraction aux lois pénales : CE 7° et 8° s-s-r., 25 avril 1990, n° 71053, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4720AQU ; contraventions douanières : CE 9° et 10° s-s-r., 13 juillet 2007, n° 289233, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2856DX3 ; en droit de la concurrence depuis l'adoption de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L0383AW4 : CE Section, 29 décembre 2004, n° 269992, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1243DG7). Admettre l'inverse aurait permis aux contribuables de faire participer le Trésor au financement de ces sanctions par le biais d'une économie d'impôt : outre que cette hypothèse n'aurait pas été neutre pour les finances publiques, elle permet également de satisfaire, dans le même temps, le moraliste qui sommeille dans chaque contribuable tant qu'il n'est pas concerné par une telle procédure...
En appel (CAA Marseille, 4ème ch., 22 juin 2010, n° 07MA03212, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1455E7Z), les juges du fond rejetteront la requête de la société en soulignant qu'une astreinte visant à garantir l'exécution d'une décision de justice n'a pas de valeur punitive. Ainsi, pour la cour, les astreintes payées ne peuvent être regardées comme ayant été effectuées au titre de l'exploitation de l'entreprise, ce qui justifie leur rejet des charges déductibles. Ce raisonnement sera repris par le juge de cassation (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 342714, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3097IPE), compte tenu de la finalité comminatoire attachée à l'astreinte : incitant la personne condamnée à exécuter la décision rendue et participant ainsi au respect de l'autorité de la chose jugée, les sommes versées ne peuvent être regardées comme une charge d'exploitation déductible du résultat imposable.
(1) "Il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure si le contribuable change fréquemment de lieu de séjour ou séjourne dans des locaux d'emprunt ou des locaux meublés, ou a transféré son domicile fiscal à l'étranger sans déposer sa déclaration de revenus, ou si un contrôle fiscal n'a pu avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers", LPF, art. L. 67 (N° Lexbase : L7602HEB) ; "il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : 1° Si le contribuable change fréquemment son lieu de résidence ou de principal établissement ; 2° Si le contribuable a transféré son activité à l'étranger sans déposer la déclaration de ses résultats ou de ses revenus non commerciaux ; 3° Si le contribuable ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce ou s'il s'est livré à une activité illicite ; 4° Si un contrôle fiscal n'a pu avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers ; 5° Pour les fiducies, si les actes prévus à l'article 635 du code général des impôts n'ont pas été enregistrés ; 6° Lorsque l'administration a dressé un procès-verbal de flagrance fiscale dans les conditions prévues à l'article L. 16-0 BA, au titre de l'année ou de l'exercice au cours duquel le procès-verbal est établi", LPF, art. L. 68 (N° Lexbase : L2895IGC).
(2) 3 709 154 francs (565 457 euros) en 1997, 3 757 970 francs (572 899 euros) en 1998 et 3 185 914 francs (485 689 euros) en 1999.
(3) "1. Sont exonérés de l'impôt sur les sociétés : [...] 6° Les régions et les ententes interrégionales, les départements et les ententes interdépartementales, les communes, (les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre) syndicats de communes et syndicats mixtes constitués exclusivement de collectivités territoriales ou de groupements de ces collectivités ainsi que leurs régies de services publics".
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