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N2340BTT
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
D'abord, et à tout prendre, si les nouvelles Garde des Sceaux et ministre déléguée à la Justice font preuve d'angélisme, c'est-à-dire qu'elles ignoreraient les contingences ou les réalités humaines matérielles, morales, sociologiques par manque de réalisme ou d'esprit pratique, présentant ou voyant les choses ou les gens sous un jour optimiste, la société Française n'a-t-elle pas, aujourd'hui, besoin de cet idéalisme, au moins pendant "cent jours" ? Et, par opposition, leurs détracteurs se réclament donc du cynisme. Or, il reste à savoir si les disciples d'Antisthène et de Diogène de Sinope sont, aujourd'hui, à la page ; si le matérialisme et l'anticonformisme qui ont fait, dit-on, les belles heures de la Grèce (antique), correspondent aux canons et aux nécessités de notre temps... A force de transgression et d'ironie, le cynique, s'accrochant à l'unique éthique naturelle, la vertu, en a, parfois, oublié que les règles sociales, et par là même les corps constitués, sont essentiels, et c'est sans doute pour cette raison qu'il sera victime d'ostracisme, du moins pendant cinq ans... "Hier était le monstre et demain sera l'ange ; le point du jour blanchit nos fronts" nous conte Victor Hugo dans La légende des siècles...
Ensuite, il reste à savoir si les récentes actions et déclarations des "Séraphins" de l'Hôtel de Bourvallais relèvent tant de l'angélisme que cela. Que le premier déplacement du ministre de la Justice soit pour la promotion de la réinsertion au sein du système pénitentiaire, quand on sait la surpopulation carcérale, le taux de suicide croissant des prisonniers, le mal-être des fonctionnaires de la Justice pénitentiaire et le développement nécessaire des peines alternatives à la prison et de l'aménagement des peines ; il n'y a rien d'angélique à marquer une rupture certaine entre les priorités juridiques de l'ancien Gouvernement et les priorités judiciaires du nouveau. Et, l'évasion d'un détenu à l'occasion de la rencontre sportive raillée, si elle marque les failles du système de surveillance, doit montrer, surtout, que les lumières du monde extérieur attirent toujours l'envie, plus que l'obscurité des cellules. Et, compte tenu de la dureté des temps, l'on peut, d'une certaine manière, s'en réjouir...
Quant à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs : "un grand réconfort", pour Catherine Sultan, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), "les peines et les mesures que peuvent prononcer les tribunaux correctionnels pour mineurs et les tribunaux pour enfants [étant] exactement les mêmes". On ajoutera que, selon le dernier sondage parisien, les avocats sont majoritairement contre l'aggravation de la responsabilité pénale des mineurs (56 %)... C'est l'"angélisme" de la majorité des professionnels de la Justice à l'égard de nos "chérubins" qui est donc à craindre.
Enfin, lorsque l'Archange-Premier ministre annonce la délivrance d'un "reçu" lors d'un contrôle d'identité, fait-il preuve d'"angélisme" ou de pragmatisme juridique ? Les commissariats ricanent, mais la Cour de cassation veille au grain : la Chambre criminelle ne vient-elle pas de rendre un avis, le 5 juin dernier, aux termes duquel le séjour irrégulier d'un étranger ne peut suffire à son placement en garde à vue dans le cadre d'une procédure d'expulsion ? Certes, c'est à la première chambre civile de se prononcer définitivement sur la question, mais pourra-t-elle faire la sourde oreille aux préconisations de sa consoeur, comme à celles de la Cour de justice de l'Union européenne qui, le 28 avril 2011, estimait que la Directive "retour" s'opposait à la réglementation d'un Etat membre qui prévoit l'infliction d'une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d'un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire, sans motif justifié. Ce sont les droits de l'Homme et les libertés fondamentales qui, à ce train là, font preuve d'"angélisme" : mais, d'ailleurs, qui s'en plaindrait ?
"Ni angélisme ni course aux chiffres" en matière de sécurité, "ni stigmatisation de communautés" : depuis le perron de la place Beauvau, le premier flic de France a été catégorique. Mais, attention : l'ombre de Voltaire plane toujours. "Qui veut détruire les passions, au lieu de les régler, veut faire l'ange" nous enseigne l'auteur des Lettres philosophiques. Il appartient donc au nouveau pouvoir, sous contrôle judiciaire avec mise à l'épreuve, de ne pas tomber dans la désinvolture et le laxisme, sous peine que les auxiliaires de justices, jugés hâtivement si "droit de l'hommistes", ne puissent, eux-même, le de la vindicte sociale.
Et, faisons confiance au pascalisme : "l'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête"... Au final, chacun s'y retrouvera.
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