Le Quotidien du 9 février 2021 : Environnement

[Jurisprudence] De l’obligation pour les communes d’effectuer des travaux de raccordement au réseau d’eau potable

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 26 janvier 2021, n° 431494, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A57544DH)

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[Jurisprudence] De l’obligation pour les communes d’effectuer des travaux de raccordement au réseau d’eau potable. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/64938930-0
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par Stéphanie Gandet, Avocate associée, spécialiste en droit de l’environnement, Green Law Avocats

le 10 Février 2021

 


Mots clés : réseau d’eau potable • raccordement • obligation

L’affaire tranchée par le Conseil d’État se prononce de façon nuancée sur l’obligation pour les communes de procéder aux travaux de raccordement au réseau d’eau potable, en rappelant que les communes doivent délimiter, dans le respect du principe d'égalité devant le service public, les zones de desserte dans lesquelles elles sont tenues, tant qu'elles n'en ont pas modifié les délimitations, sous certaines conditions, de faire droit aux demandes de réalisation de travaux de raccordement.


 

Les faits étaient les suivants : ayant acheté une nouvelle maison au sein d’une commune rurale, les requérants ont découvert que le pavillon n’était pas raccordé à l’eau potable. Ils ont alors effectué plusieurs demandes auprès du maire. Celles-ci ont abouti à un refus définitif. Les requérants ont saisi la juridiction administrative [1] d’une demande d’annulation de la décision de refus et d’une demande d’injonction pour obliger le maire à réaliser des travaux de raccordement.

Après que le tribunal administratif a fait droit à leurs demandes, la commune a interjeté appel devant la cour administrative d’appel qui a censuré l’analyse du tribunal. Les requérants se sont alors pourvus en cassation devant le Conseil d’État.

Examinant la légalité du refus du maire de réaliser des travaux de raccordement à l’eau potable, le Conseil d’État, dans sa décision du 26 janvier 2021, est venu préciser les conditions de l’obligation de raccordement en présence d’un schéma de distribution d’eau potable (II). Jusqu’ici, ce dernier ne bénéficiait pas encore d’une portée juridique certaine. Par cette décision, le Palais-Royal a alors permis sa valorisation (I).

I. La valorisation de la portée juridique du schéma de distribution d’eau potable

Instituée par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006, sur l’eau et les milieux aquatiques (N° Lexbase : L9269HTH) (loi « LEMA »), les schémas de distribution d’eau potable ont pris place au sein du Code général des collectivités territoriales et plus précisément au sein de l’article L. 2224-7-1 (N° Lexbase : L1440LWA). Depuis, les communes sont tenues d’arrêter un tel schéma afin de déterminer les zones desservies par le réseau de distribution d’eau potable.

Toutefois et contrairement à ce qui est prévu en matière de schéma d’assainissement collectif, la loi « LEMA » est muette s’agissant des conséquences de l’adoption d’un schéma de distribution d’eau potable. En effet, s’agissant de l’assainissement, l’article L. 2224-10 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9222IMI) dispose qu’à l’intérieur du périmètre de la zone d’assainissement collectif déterminée par le schéma d’assainissement collectif, la commune ou l’établissement public de coopération doit assurer la collecte des eaux usées. L’article L. 2224-7-1 ne prévoit quant à lui aucune conséquence à la suite de l’adoption d’un schéma de distribution d’eau potable.

Palliant le silence de la loi, le Conseil d’État a alors précisé la portée juridique assignée à ce schéma de distribution d’eau potable. À cet effet, les juges de Palais-Royal ainsi que le rapporteur public lui-même [2] se sont basés à la fois sur une lecture a contrario des travaux parlementaires de la loi sur l’eau de 2006 et sur l’appréciation de cette loi par les acteurs eux-mêmes.

S’agissant d’une part des travaux parlementaires, le rapporteur public rappelle que l’exposé des motifs de la loi de 2006 indique que « l’introduction de la notion de schéma de distribution d’eau permet de tenir compte de l’existence éventuelle de zones non desservies par la commune, afin de ne pas créer d’obligation de desserte par celle-ci, pour l’ensemble du territoire communal » [3]. Par une lecture a contrario du rapporteur public, ce motif équivaudrait à l’intention d’assortir l’adoption d’un schéma d’une obligation incombant aux communes à l’intérieur de la zone déterminée par celui-ci.

S’agissant d’autre part de l’appréciation de la loi de 2006 par les acteurs eux-mêmes, le rapporteur public dans ses conclusions évoque deux interprétations de la disposition législative par l’AMF [4] et l’AdCF [5]. Ces deux acteurs essentiels considèrent que l’adoption d’un schéma de distribution d’eau potable a pour effet d’imposer à la charge de la collectivité une obligation de desserte au sein de la zone identifiée.

Ainsi, il est désormais certain via cette décision du Conseil d’État qu’un schéma de distribution d’eau potable n’est pas seulement un document de planification dépourvu de valeur contraignante, mais au contraire un document à réelle portée juridique.

II. Un guide d’application de l’obligation de raccordement à l’eau potable ?

Consacré au sein de l’article L. 210-1 du Code de l’environnement (N° Lexbase : L4387HWE), le droit à l’eau potable ne confère cependant pas un droit absolu et général au raccordement au réseau de distribution d’eau potable à l’égard des habitants d’une commune aboutissant à lui imposer une obligation en ce sens. Néanmoins, si la commune décide d’arrêter un schéma de distribution d’eau potable, une obligation de raccordement lui est assignée.

Une différence est alors à opérer en fonction de la zone délimitée.

La décision du Conseil d’État apporte à ce stade de l’analyse des nuances importantes.

En effet, à l’intérieur de la zone définie dans le schéma de distribution d’eau potable, il existe une obligation de raccordement à l’eau potable si le demandeur a sa propriété se situant à l’intérieur de celle-ci. Par extension, cette obligation aboutit à une obligation à la charge de la commune de réalisation de travaux de raccordement mais ceux-ci doivent s’effectuer dans un délai raisonnable tenant compte « notamment, du coût et de la difficulté technique des travaux d’extension du réseau de distribution d’eau potable et des modalités envisageables de financement des travaux ».

Attention, le point de départ de ce délai raisonnable ne court pas à compter de la demande de raccordement mais à compter de l’adoption du schéma comme le précise le rapporteur public dans ses conclusions.

La seule limite à cette obligation concerne l’irrégularité de la construction.

En dehors de la zone délimitée par le schéma de distribution d’eau potable ou en l’absence d’un tel schéma, il n’existerait a priori pas d’obligation de raccordement à l’eau potable et par extension pas d’obligation de réalisation des travaux pour permettre à un tel raccordement. Cependant, la commune est tenue d’apprécier une demande d’exécution de ce type de travaux « dans le respect du principe d’égalité devant le service public, en fonction, notamment de leur coût, de l’intérêt public et des conditions d’accès à d’autres sources d’alimentation en eau potable ». Le cas échéant, le juge pourra annuler le refus en exerçant un contrôle restreint. Dans ces conditions, il est donc fait obligation à la commune d’examiner la demande des propriétaires pour être raccordé au réseau d’eau potable.

Dès lors, l’obligation de raccordement à l’eau potable est déterminée par l’existence ou non d’un schéma de distribution d’eau potable. C’est d’ailleurs la première vérification que le juge doit opérer : existe-t-il ou pas un tel schéma en l’espèce ? C’est pour ne pas avoir opéré ce contrôle que l’arrêt de la cour administrative d’appel est censuré en cassation car si le juge ne procède pas de cette manière, il commet une erreur de droit.

En l’absence d’un tel schéma, le juge doit ensuite vérifier si le propriétaire pouvait bénéficier d’un tel raccordement et si la commune devait réaliser des travaux pour le permettre en fonction des critères posés par la décision du Conseil d’État. Telle est la méthode à opérer selon le mode d’emploi découlant de cet arrêt important.

À retenir :

- les communes ont l’obligation d’établir des schémas de distribution d’eau potable, qui peut déterminer ensuite si des travaux de raccordement au réseau sont à la charge de la collectivité ;

- en l’absence d’un tel schéma ou en dehors de la zone délimitée par le schéma, le propriétaire peut parfois bénéficier d’un tel raccordement et la commune réaliser des travaux en fonction des critères posés par le Conseil d’État, dont leur coût, l’intérêt public et des conditions d’accès à d’autres sources d’alimentation en eau potable.

 

[1] Relevons au demeurant que bien que le service public d’eau et d’assainissement soit considéré comme un service public industriel et commercial d’après l’article L. 2224-11 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3864HWZ) et que dès lors un litige opposant un SPIC et un usager soit de la compétence du juge judiciaire, il reste que ceux à propos du refus de réaliser des travaux pour permettre le raccordement à l’eau potable sont considérés comme des litiges de travaux publics relevant de la compétence du juge administrative (CE, 26 novembre 1986, n° 65814, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5192AMA ; CE, 8 juin 2015, n° 362783, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8989NK7).

[2] Conclusions de L. Cytermann sous l’arrêt rapporté.

[3] Exposé des motifs de la loi n° 2006-1772 cité par L. Cytermann dans ses conclusions.

[4] AMF, Le service public d’eau potable, juillet 2014, 14-7-16  / DP.

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