La lettre juridique n°479 du 29 mars 2012 : Droit de la famille

[Jurisprudence] Adoption de l'enfant de la concubine homosexuelle : la déception strasbourgeoise

Réf. : CEDH, 15 mars 2012, Req. 25951/07 (N° Lexbase : A6794IED)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 12 Janvier 2013

Alors que l'on attendait beaucoup de la Cour européenne des droits de l'Homme, l'arrêt "Gas et Dubois" rendu le 15 mars 2012 vient fermement de mettre fin à tout espoir de voir, au moins dans l'immédiat, la juridiction strasbourgeoise faire avancer le débat relatif à l'adoption simple par une concubine de l'enfant de sa compagne. Saisie d'une requête par un couple de concubines qui s'étaient vu refuser que l'une adopte l'enfant de l'autre, au motif que cette adoption emporterait, selon l'article 365 du Code civil (N° Lexbase : L3826IR7), le transfert de l'exercice de l'autorité parentale à l'adoptante (1), la Cour européenne était confrontée à la question de savoir si cet article 365, qui ne fait exception à ce transfert que dans le cadre de l'adoption de l'enfant du conjoint, constitue une discrimination. Dans un premier temps, la Cour européenne avait admis, dans une décision du 31 août 2010 (2), la recevabilité de la requête et admis que les relations entre l'enfant et les deux concubines s'analysent en une "vie familiale" au sens de l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR). Dans un second temps, en se fondant cette fois sur la notion de "vie privée et familiale", la Cour rejette doublement le constat d'une discrimination, d'abord après avoir examiné la situation des requérantes par rapport à celle des couples mariés (I), ensuite après avoir procédé à l'examen de la situation des requérantes par rapport à celle des couples hétérosexuels non mariés (II), sans dire un mot de l'intérêt de l'enfant pourtant au coeur du débat (III).

I - La situation des requérantes par rapport à celle des couples mariés

Mariage homosexuel. Si, en l'espèce, les requérantes ne souhaitaient pas se marier, la question de leur accès au mariage était indirectement posée par la différence des effets de l'adoption simple par le second parent selon que ce dernier est ou non marié avec le parent biologique de l'enfant. La Cour européenne constate que "l'article 365 du Code civil aménage un partage de l'autorité parentale lorsque l'adoptant se trouve être le conjoint du parent biologique de l'adopté, ce dont ne peuvent bénéficier les requérantes, compte tenu de l'interdiction de se marier qui leur est faite en droit français". A propos de cette dernière interdiction, la Cour européenne rappelle qu'elle a, dans l'arrêt "Schalk et Kopf c/ Autriche" du 24 juin 2010 (3), affirmé que les dispositions de la CESDH, et particulièrement les articles 8, 12 (N° Lexbase : L4745AQS) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU), ne permettaient pas d'imposer aux Etats l'obligation d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe.

Inégalité des couples. La Cour européenne a également affirmé antérieurement que lorsque les Etats choisissent de proposer un statut autonome aux couples de même sexe, ils bénéficient d'une certaine marge d'appréciation pour décider de la nature exacte du statut conféré et ne sont donc pas tenus d'accorder à ces couples les mêmes droits que ceux des couples mariés (4). Dans l'arrêt "Schalk et Kopf" (5), la Cour relève que "l'existence de différences notables en matière de droits parentaux entre le concubinage officiel et le mariage reflète pour une large part la tendance au sein d'autres pays membres". Elle en déduit que cette question "doit en conséquence continuer à être regardée comme un de ces droits évolutifs ne faisant pas l'objet d'un consensus et où les Etats doivent donc jouir d'une marge d'appréciation quant au moment où seront introduites des évolutions législatives".

Différence de traitement. C'est bien pourtant la différence de traitement, dans le cadre de l'adoption de l'enfant d'un des membres du couple, entre les couples mariés et les couples non mariés que les requérantes contestent, considérant qu'il s'agit d'une discrimination. Si la différence de traitement n'est évidemment pas contestable, encore fallait-il pour que la discrimination soit caractérisée constater que les concubines étaient dans une situation analogue à un couple marié. La Cour rappelle, en effet, que selon une jurisprudence constante, "pour qu'un problème se pose au regard de l'article 14, il doit y avoir une différence de traitement de personnes placées dans des situations comparables". Or, la Cour européenne considère que le mariage confère un statut particulier à ceux qui s'y engagent et qu'il emporte des conséquences sociales, personnelles et juridiques particulières, et en déduit que "l'on ne saurait considérer qu'en matière d'adoption par le second parent, les requérantes se trouvent dans une situation juridique comparable à celle des couples mariés". Dès lors qu'est constatée une différence de situation entre un couple de concubines homosexuelles et un couple marié, la différence de traitement subie par les premières ne peut être qualifiée de discrimination. Ce faisant, la Cour européenne reprend le raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 octobre 2011 (6) dans laquelle il aboutit à la conclusion que l'article 365 du Code civil ne méconnaît pas le droit constitutionnel de mener une vie familiale normale. Ainsi, les requérantes ne peuvent ni se plaindre de ne pouvoir être traitées comme un couple marié, ni revendiquer l'accès au mariage pour bénéficier du régime de l'adoption simple de l'enfant du conjoint.

Effet limité de l'article 365 du Code civil. Dans le dernier paragraphe de son arrêt, la Cour européenne de manière un peu confuse, semble minimiser les effets distincts de l'article 365 du Code civil selon que le couple concerné est ou non marié, en les comparant à la rupture du lien de filiation qu'emportait l'adoption en cause dans l'arrêt "Emonet c/ Suisse" du 13 décembre 2007 (7). Elle avait en effet, dans cette décision, considéré que la différence de régime entre l'adoption de l'enfant du conjoint et l'adoption de l'enfant du concubin, la première n'entraînant pas la rupture du lien de filiation avec le parent d'origine alors que l'autre la provoque, n'était pas justifiée. Dans l'arrêt "Gas et Dubois", la Cour semble considérer que cette appréciation n'est pas valable lorsque la différence entre l'adoption de l'enfant du conjoint et celle de l'enfant du concubin réside non pas dans la rupture du lien de filiation mais seulement dans la dévolution de l'exercice de l'autorité parentale.

II - La situation des requérantes par rapport aux couples hétérosexuels non mariés

Situation identique. Dans un second temps, la Cour européenne compare la situation du couple des requérantes avec celle d'un couple hétérosexuel non marié, que ce dernier ait conclu un PACS comme les requérantes, ou vive en concubinage simple. Il apparaît que ces couples sont placés, au regard de l'adoption simple de l'enfant d'un des membres du couple par l'autre, dans la même situation que les requérantes, puisque l'article 365 n'exclut le transfert de l'autorité parentale que dans l'hypothèse d'un couple marié. Cette exception n'est pas étendue au couple hétérosexuel non marié, même si la Cour de cassation a admis l'effet en France d'un partage de l'autorité parentale entre deux concubines résultant d'un jugement d'adoption étranger (8). La Cour européenne en déduit logiquement une absence de différence de traitement fondée sur l'orientation sexuelle. Ce n'est pas, en effet, l'identité ou la différence de sexe dans le couple qui fonde la différence de droits, mais le fait que le couple soit ou non marié.

Discrimination indirecte. Les requérantes n'ont pas manqué de soulever la différence essentielle entre leur couple et un couple de concubins ou de partenaires hétérosexuels, qui réside dans la possibilité pour ce dernier de se marier. Mais, on revient alors à la question de l'accès au mariage des couples de même sexe que la Cour a pris soin de régler dès le début de l'arrêt. Tant que la Cour refuse de considérer que les couples de même sexe doivent avoir accès au mariage et qu'elle admet que ce type d'union peut avoir des effets spécifiques, les couples homosexuels ne verront pas leurs droits alignés sur les droits des couples mariés sauf pour les Etats à choisir de procéder eux-mêmes à cet alignement.

Insémination artificielle. La Cour européenne se prononce également dans le même arrêt sur le fait de savoir si l'impossibilité pour les requérantes d'accéder à l'insémination artificielle avec donneur anonyme est constitutive d'une discrimination (9). En effet, le droit français n'autorise l'accès à l'IAD qu'aux couples hétérosexuels. Toutefois, la Cour rejette encore une fois l'argument de la discrimination en affirmant que la condition essentielle de l'accès à l'insémination artificielle avec tiers donneur réside dans une infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement constaté (10), ce qui évidemment n'est pas le cas pour un couple de concubines homosexuelles. Elle en conclut donc logiquement que "la législation française concernant l'IAD ne peut être considérée comme étant à l'origine d'une différence de traitement dont les requérantes seraient victimes".

III - L'absence de référence à l'intérêt de l'enfant

Absence surprenante. Alors que les requérantes, comme les différentes associations de défense des droits des personnes homosexuelles qui sont intervenues dans la procédure devant la Cour européenne, invoquaient l'intérêt de l'enfant en cause qui, selon elles, résidait dans l'instauration d'un lien juridique de filiation avec son second parent, la Cour européenne ne se réfère à aucun moment, dans sa décision, à la notion d'intérêt de l'enfant. Cette absence de référence à l'intérêt de l'enfant ne manque pas de surprendre dans la mesure où ce critère est devenu central dans la jurisprudence de la Cour relative aux relations parents-enfants (11).

Intérêt de l'enfant à être adopté par son second parent. L'un des juges de la Cour européenne, le juge Villiger, n'a d'ailleurs pas manqué de soulever ce point dans une opinion dissidente dans laquelle il regrette que "l'arrêt se concentre sur les adultes et non sur l'enfant, qui pourtant fait partie intégrante du grief des requérants" et considère qu'" il faudrait rechercher si la différence de traitement litigieuse est justifiée du point de vue de l'intérêt supérieur de l'enfant". Le juge Villiger apporte clairement une réponse négative à cette question et affirme que de son point de vue, "l'autorité parentale partagée correspond à l'intérêt supérieur de l'enfant". Le juge Costa, dans son opinion concordante déclare, quant à lui, qu'il a été "quelque peu ébranlé par l'opinion dissidente de son collègue". Il précise, toutefois, qu'il n'est pas certain que l'intérêt supérieur de l'enfant soit d'être adopté par la compagne de sa mère si cette adoption retire l'exercice de l'autorité parentale à cette dernière. Finalement le juge français conclut à l'opportunité de supprimer l'article 365 du Code civil tout en considérant que ce n'est pas à la Cour européenne de "censurer aussi radicalement le législateur (ce que d'ailleurs le Conseil constitutionnel n'a pas fait)".

Absence de consensus. Dans leurs opinions concordantes, le juge Costa et deux autres juges de la Cour mettent finalement en exergue ce qui semble constituer le véritable motif des réticences de la Cour européenne à condamner la situation faite au couple homosexuel dans le cadre de l'adoption simple, à savoir l'absence de consensus sur la question. Seuls dix Etats européens sur quarante-sept admettent, en effet, l'adoption par le second parent, ce qui ne donne pas à la Cour européenne la légitimité pour l'imposer. Comme elle l'a fait pour le mariage entre des personnes de même sexe, la Cour européenne des droits de l'Homme adopte une position neutre en se contentant de vérifier que les différences de traitements persistantes entre les droits des différents couples ne constituent pas des discriminations.

Il n'en reste pas moins que le principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant dans toute décision qui le concerne (CIDE, art. 3 § 1 N° Lexbase : L6807BHL) mérite effectivement que la question de son lien avec son parent fasse l'objet d'une nouvelle réflexion et l'on peut reprendre à notre compte, surtout en période électorale, la conclusion du juge Costa : "puisse donc le législateur français ne pas se contenter de la non-violation à laquelle nous avons conclu et décider, si je puis dire, de revoir la question".


(1) En vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation : Cass. civ. 1, 20 février 2007, 2 arrêts, n° 04-15.676 (N° Lexbase : A2536DUH), et n° 06-15.647 (N° Lexbase : A2676DUN) ; D., 2007, p. 1047, note D. Vigneau ; JCP éd. G, 2007, II, 10068, note C. Neirinck ; AJ, p. 721, obs. C. Delaporte-Carre ; pan., p. 1467, obs. F. Granet-Lambrechts ; Dr. fam., 2007, comm. n° 80, note P. Murat ; Defrénois, 2007, p. 792, obs. J. Massip, N. Baillon-Wirtz, Le couple homosexuel et l'homoparentalité à l'épreuve de la jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 254 du 29 mars 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N3857BA4) ; Cass. civ. 1, 19 décembre 2007, n° 06-21.369, FS-P+B (N° Lexbase : A1286D3Z), Dr. fam., 2008, comm. n° 28, obs. P. Murat ; AJFamille, 2008, 75, obs. F. Chénédé ; Cass. civ. 1, 9 mars 2011, n° 10-10.385, F-P+B+I (N° Lexbase : A3239G74), Gaz. Pal., 2011, n° 147-148, p. 54.
(2) CEDH, 31 août 2010, Req. 25951/07 (N° Lexbase : A6794IED).
(3) CEDH, 24 juin 2010, Req. 30141/04 (N° Lexbase : A2744E3Z), JCP éd. G, 2010, n° 41, 1013 obs. H. Fulchiron ; RTDCiv., 2010, p. 738, obs. J.-P. Marguénaud.
(4) CEDH, 24 juin 2010, préc., JCP éd. G, 2010, n° 41, 1013 obs. H. Fulchiron ; RTDCiv., 2010, p. 738, obs. J.-P. Marguénaud.
(5) préc..
(6) Cons. const., décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9923GAR), JCP éd. G, 2010, p. 114, obs. A. Gouttenoire et Ch. Radé.
(7) CEDH, 13 décembre 2007, Req. 39051/03 (N° Lexbase : A0601D3N), Dr. fam., 2008, Etude n° 14, obs. A. Gouttenoire.
(8) Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 08-21.740 FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1235E4I), nos obs. Le rattachement d'un enfant à la compagne de sa mère : la Cour de cassation inverse la tendance..., Lexbase Hebdo n° 404 du 22 juillet 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6436BP3).
(9) Même si elle note que les requérantes n'ont pas contesté cette législation devant les juridictions nationales, ce qui rend l'argument irrecevable pour cause de non-épuisement des voies de recours internes.
(10) Ou pour éviter la transmission d'une grave maladie.

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