La lettre juridique n°479 du 29 mars 2012 : Avocats/Accès à la profession

[Focus] Avocat : la nouvelle planche de salut des élus recalés

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 28 Mars 2012

Aux dires de certains, les "passerelles" entre professions réglementées ou non, permettant de devenir avocat et d'être inscrit au tableau d'un Ordre, sont trop nombreuses et sources de conflits d'intérêts, quand la "voie normale" impose non seulement un examen d'entrée et de sortie au centre régional de formation professionnel des avocats (CRFPA), mais surtout la sanction préalable de l'acquisition des règles déontologiques, ciment de la profession. On s'étonnera, dès lors, de ce projet de décret émanant de la Chancellerie et visant à permettre aux ministres, aux parlementaires et à leurs collaborateurs d'intégrer, tout de go, la profession d'avocat, sans passer par la "case CAPA" (certificat d'aptitude à la profession d'avocat). Consulté uniquement sur l'intégration des collaborateurs des parlementaires dans leurs rangs, le Conseil national des barreaux et le barreau de Paris se sont montrés réticents, lors de l'assemblée générale des 23 et 24 mars 2012, quant aux mesures bénéficiant aux ministres et aux parlementaires, sans garantie déontologique et sans concertation préalable.
On sait qu'aux termes de l'article 98 du décret du 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197 N° Lexbase : L8168AID), sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat :

1° les notaires, les huissiers de justice, les greffiers des tribunaux de commerce, les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires au redressement et à la liquidation des entreprises, les anciens syndics et administrateurs judiciaires, les conseils en propriété industrielle et les anciens conseils en brevet d'invention ayant exercé leurs fonctions pendant cinq ans au moins (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E7998ETE) ;

2° les maîtres de conférences, les maîtres assistants et les chargés de cours, s'ils sont titulaires du diplôme de docteur en droit, en sciences économiques ou en gestion, justifiant de cinq ans d'enseignement juridique en cette qualité dans les unités de formation et de recherche (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E7999ETG) ;

3° les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E8000ETH).

4° les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E8007ETQ) ;

5° les juristes attachés pendant huit ans au moins à l'activité juridique d'une organisation syndicale ;

6° les juristes salariés d'un avocat, d'une association ou d'une société d'avocats, d'un office d'avoué ou d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle en cette qualité postérieurement à l'obtention du titre ou diplôme mentionné au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ) ;

7° les personnes agréées par le président de la chambre d'appel de Mamoudzou dans la collectivité départementale de Mayotte justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle ;

8° les personnes ayant travaillé en qualité de collaborateur d'avoué postérieurement au 31 décembre 2008 et justifiant, au plus tard au 1er janvier 2012, de la réussite à l'examen d'aptitude à la profession d'avoué .

Ces dispenses partielles de formation ne constituent pas un droit attaché à l'ancienneté, mais un mode d'accès à une profession à caractère dérogatoire, comme le précise un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 8 novembre 2007 (Cass. civ. 1, 8 novembre 2007, n° 05-18.761, FS-P+B N° Lexbase : A4151DZR). Aussi, toutes les conditions par ailleurs requises doivent être remplies pour pouvoir bénéficier de la "passerelle".

Lors de son assemblée générale des 23 et 24 septembre 2011, le Conseil national des barreaux avait définitivement adopté, après retour de la concertation de la profession, le rapport sur la réforme des conditions d'inscription particulières en fonction des activités précédemment exercées. Il avait approuvé, en premier lieu, l'extension de la voie d'accès à la profession d'avocat aux collaborateurs de députés et assistants de sénateurs sous réserve de justifier des conditions de droit commun, à savoir :

- avoir obtenu une maîtrise en droit ou un diplôme reconnu comme équivalent ;
- bénéficier d'un statut de cadre ;
- justifier d'une activité juridique effective et à titre principal.

L'expérience professionnelle de huit années acquise en cette qualité pourra être cumulée avec les autres activités de juristes d'entreprises, de fonctionnaires de catégorie A, de juristes de syndicats et de juristes de cabinets d'avocats, de l'article 98 pour l'accès à la profession. Il a été proposé, en deuxième lieu, de soumettre toutes les personnes souhaitant bénéficier des dispositions des articles 97 et 98 du décret de 1991 à un examen préalable de contrôle des connaissances en déontologie. Une formation obligatoire de vingt heures serait organisée par les écoles d'avocats aux fins de préparation à cet examen. La réussite à cet examen conditionnerait la prestation de serment et l'inscription au tableau de l'Ordre d'un barreau. Les conseils de l'Ordre conserveraient leur compétence pour statuer sur la recevabilité des dossiers d'inscription. Le contenu de l'examen serait défini par un arrêté du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, pris après avis du Conseil national des barreaux. Aucune dispense ne pourrait être accordée et nul ne pourrait se présenter plus de trois fois à l'examen de contrôle des connaissances. Il a été aussi proposé d'ajouter au texte une obligation pour les conseils de l'Ordre de notifier les décisions de rejet des demandes d'admission sur le fondement des articles 97 et 98 du décret de 1991 au président du Conseil national des barreaux, et pour ce dernier de tenir à jour une liste nationale des décisions de rejet à destination des Bâtonniers. Il s'agissait d'un ensemble et la réforme devait donc intégrer la totalité des dispositions proposées. C'est cette proposition de réforme qui a été transmise au ministère de la Justice et des Libertés pour mise en application.

Mais, la position de la Chancellerie fut tout autre. Le porte-parole du ministère de la Justice, Bruno Badré, a indiqué à l'AFP, d'abord, qu'il semblait "cohérent d'ouvrir cette possibilité aux membres du Gouvernement et aux parlementaires, qui sont les employeurs de ces collaborateurs" (sic) -on rappellera que les employeurs des juristes d'entreprise, comme les responsables syndicaux ou les cadres dirigeants de la fonction publique, etc., ne sont pas éligibles au régime dérogatoire, sauf à répondre eux-mêmes aux conditions requises-.

Ensuite, bénéficieraient de cette dispense dérogatoire "les personnes justifiant de huit ans au moins d'exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l'élaboration de la loi". Le champ d'application personnel serait, dès lors, des plus larges et serait source de contentieux d'interprétation interminables auprès des tribunaux.

Enfin, le projet de décret prévoirait une formation déontologique après l'admission au tableau des membres du Gouvernement et des parlementaires. L'obligation de formation a posteriori serait en inadéquation avec l'harmonisation et l'unification de la profession d'avocat ; la déontologie constituant, malgré les différences d'activité et les différentes structures au sein desquelles officient les avocats, le socle de la profession d'avocat. C'est d'ailleurs la raison fondamentale expliquant, dans le cadre d'un autre débat, les réticences à voir naître cet "hybride" que serait "l'avocat en entreprise", dont la déontologie ne serait pas la même que celui officiant à titre libéral.

Aussi, l'assemblée générale du Conseil national des barreaux des 23 et 24 mars 2012 ne s'y est pas trompée, le nouveau décret créant un article 97-1 du décret du 27 novembre 1991, à la suite des personnes dispensées de la condition de diplôme, de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat et du stage, de l'article 97 du décret. Et, si la majorité des membres du Conseil souhaitait limiter cette nouvelle "passerelle" aux anciens parlementaires, ministres et membres du Conseil constitutionnel -dans leur esprit, devraient être exclus les maires ou les directeurs de cabinet-, le Conseil national a, également, insisté sur la nécessité d'un examen obligatoire de déontologie. Au final, l'assemblée générale a rejeté le projet de décret proposé par la Chancellerie, dont la formulation est jugée "cotonneuse" par Christian Charrière-Bournazel, président du Conseil national.

Dans le même sens, le conseil de l'Ordre de Paris, premier barreau intéressé par cette nouvelle "passerelle" a déploré, dans une motion du 20 mars 2012, l'imprécision du projet de texte concernant la définition des personnes susceptibles de bénéficier d'un tel accès dérogatoire. Il a considéré dans l'intérêt premier du public et du bon fonctionnement de la justice, qu'en l'absence de toute exigence de diplôme en droit et de formation préalable en déontologie, l'exercice par toute personne, même pendant huit années, de "responsabilités publiques la faisant directement participer à l'élaboration de la loi", ne garantit pas l'effectivité d'une pratique professionnelle juridique et la connaissance de la déontologie et des règles professionnelles indispensables à l'exercice de la profession d'avocat. Il a refusé en l'état la création d'une nouvelle voie d'accès dérogatoire prévue par l'article 5 du projet de décret conduisant à l'adjonction d'un article 97-1 aux dispositions du décret du 24 novembre 1991 et a demandé à voir retirer cet article du projet. Et, Christiane Féral-Schuhl, Bâtonnier du barreau de Paris, jugeant le débat précipité, de rappeler qu'il convient, désormais, d'ouvrir un débat plus large sur l'accès à la profession, soulignant les difficultés d'application de l'article 100 du décret de 1991, relatif à l'inscription au barreau de personnes ayant acquis la qualité d'avocat dans un pays hors Union européenne.

Mais, le ministère de tutelle en eut cure : il a porté son projet de décret devant le Conseil d'Etat pour avis, faisant fi de la plupart des recommandations du Conseil national des barreaux. Seules concessions envisagées : le dispositif ne concernerait plus les maires et les directeurs de cabinet. Une formation déontologique préalable de 20 heures devrait être obligatoire... mais, non sanctionnée par un examen. C'est qu'à l'approche des élections, l'urgence politique semble de mise et pour le ministère de la Justice, soumettre les parlementaires ou les ministres à un examen est "difficilement envisageable" (sic).

Enfin, on notera que le projet de décret serait en contrariété avec la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique orchestrée au plus haut niveau de l'Etat -malgré la "mise au placard" d'un projet de loi en la matière, déposé le 27 juillet 2011, sur le bureau de l'Assemblée nationale-. Comme le soulignait un rapport d'information du Sénat, du 12 mai 2011, l'interdiction de plaider contre l'Etat pour un avocat détenant un mandat parlementaire remonte à l'entre-deux guerres, lorsque de très nombreux parlementaires exerçaient la profession d'avocat et que certains d'entre eux furent mis en cause dans des scandales. Les activités d'avocat et de conseil sont, également, visées par des incompatibilités, qui permettent d'éviter tout conflit d'intérêts entre l'intérêt général et les intérêts des clients de ces activités.

Ainsi, aux termes de l'article L.O. 146-1 du Code électoral (N° Lexbase : L7634AIL ; cf. l’Ouvrage "Droit électoral" N° Lexbase : E2319A8E), il est interdit de commencer à exercer une activité de conseil que l'on n'exerçait pas avant le début de son mandat, sauf s'il s'agit d'une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé. Visant en principe les experts-comptables aussi bien que les notaires, par exemple, l'exception concerne quasi-exclusivement, en pratique, la profession d'avocat, du fait des modalités d'accès à la profession pour les parlementaires : sont effectivement dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat "les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public". Cette facilité d'accès, qui n'existe pas dans les autres professions relevant de l'exception, a suscité récemment d'importantes controverses, plusieurs députés en fonctions ayant fait le choix de devenir avocat en prêtant serment devant le barreau de Paris et d'exercer parallèlement à leur mandat cette nouvelle profession. Ils ont ainsi pu être accusés de "monnayer leur carnet d'adresses" au profit des clients privés des cabinets qui les accueillaient. La question est, désormais, de savoir si les risques de conflits d'intérêts disparaissent du seul fait que le ministre ne soit pas reconduit dans ses fonctions ou que le parlementaire ne soit pas réélu.

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