Le Quotidien du 6 août 2020 : Avocats/Déontologie

[Brèves] Le délégué du Bâtonnier mis hors de cause pour ses propos tenus au cours d’une perquisition au domicile d’une avocate

Réf. : Ordre des avocats de Paris, Conseil de discipline, 22 juillet 2020, n° 300/322356

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par Marie Le Guerroué

le 02 Septembre 2020

► L'avocat Vincent Nioré a été mis hors de cause par le conseil de discipline de l’Ordre des avocats de Paris pour ses propos tenus au cours d’une perquisition au domicile d’une avocate alors qu’il agissait en tant que délégué du Bâtonnier au sens de l’article 56-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0488LTA) (Ordre des avocats de Paris, Conseil de discipline, 22 juillet 2020, n° 300/322356).

Faits. L’avocat Vincent Nioré avait été cité à la requête de la procureure générale près la cour d'appel de Paris à comparaître devant le conseil de discipline pour l’audience du jeudi 19 mars 2020, pour répondre de manquements aux obligations et principes essentiels de la profession en raison de son comportement et des propos tenus au cours d’une perquisition au domicile d’un avocat où il agissait en qualité de délégué du Bâtonnier.

Etaient visés :

  • l'article 3, relatif au serment des avocats, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), l'article 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA) et l'article 1.3 du règlement intérieur national qui imposent à l'avocat d'exercer ses fonctions notamment avec dignité
  • l'article 183 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, l'article 3 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 et l'article 1.3 du règlement intérieur national qui imposent à l'avocat d'exercer ses fonctions dans le respect des principes notamment d'honneur et de délicatesse
  • l'article 3 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 et l'article 1.3 du règlement intérieur national qui imposent à l'avocat d'exercer ses fonctions dans le respect des principes notament de modération et de courtoisie.

Faute disciplinaire ou délit d’outrage ? Le conseil rappelle que l’immunité de la parole judiciaire est un principe qui procède de la liberté d'expression, laquelle est solennellement garantie par l’article 10 de la CESDH (N° Lexbase : L4743AQQ). Il note aussi que le fondement des poursuites est celui de la faute disciplinaire de l’avocat et non le délit spécial d’outrage prévu par la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW). Il ajoute qu’eu égard à la nature particulière de la procédure des audiences JLD, et à l'impératif de protection du secret professionnel qui dans une société démocratique dépasse la personne du délégué, il doit être admis qu'une immunité de parole s'impose aussi en matière disciplinaire, au profit du délégué, dès lors que les propos tenus ne sont pas totalement étrangers à la mission confiée ou à la critique même virulente des conditions de réalisation de la perquisition. Il souligne que l’appréciation in concreto d’une telle situation relève en l’espèce, d’une part du contexte de la perquisition objet du litige au domicile d’une jeune avocate ; d’autre part d’un précédent particulièrement traumatisant vécu par ce dernier ; et enfin du fait que la JLD devant laquelle il a plaidé les propos incriminés, ne les a trouvés, ni « irrespectueux », ni « insultants », ni « ad personam », ni « outrepassant la défense », mais « en opportunité tout à fait dans [leur] rôle ». Par ailleurs, le conseil souligne que le Bâtonnier, loin de poursuivre lesdits propos, en a soutenu publiquement leur auteur à l'audience, ce qui est un élément d’autant plus important que, délaissant la loi de 1881, le parquet général a choisi le fondement de la déontologie dont le Bâtonnier est justement le garant. Le conseil de discipline détaille ensuite les propos incriminés.

Sur les premiers propos incriminés : « en avoir assez de nettoyer l’urine », « en avoir marre des salissures des juges d'instruction », « c’est dégueulasse ce que vous faites à une avocate, cinq ans de barre » tenus à l’encontre des juges d’instruction. Le conseil de l’Ordre note que les instructeurs déduisent que les propos rapportés ne visent pas personnellement la juge d’instruction, contrairement à ce qu’elle affirme, et que l'interprétation subjective de cette dernière selon laquelle ces propos renverraient à un article de presse antérieurement publié par l’avocat, ne peuvent être regardés comme constitutifs des faits poursuivis.

Sur les deuxièmes propos incriminés : « vous êtes les émissaires de la procureure générale » tenus à l'encontre. Pour le conseil, ces propos qui reposaient sur un constat objectif de l’origine de la saisine et sur celui spécialement tendu de l'audience compte tenu des avocats visés et de l’ampleur des pièces saisies ne peuvent s’analyser comme une accusation contre l’indépendance des juges d'instruction mais comme l'expression d’une défense pugnace du secret professionnel. Pour le conseil, les propos incriminés, ni disproportionnés en la forme, ni étrangers à la cause au fond, ne sont donc pas fautifs.

Sur les troisièmes propos incriminés : « je l’annonce, nous allons lever tout le barreau pénal contre vous et la procureure générale. La procureure générale a décidé d'attaquer l’ensemble des avocats pénalistes mais elle va nous trouver sur son chemin, l’ensemble du barreau va se lever » tenus à l’encontre des juges d’instruction. Le Conseil relève le climat de tension manifeste de l’audience et, en déduit, que celui-ci explique la violence verbale des propos tenus (rappel de la jurisprudence : TGI Paris, 20 octobre 2010, n° 10/10543 N° Lexbase : A0458GMW).

Sur les quatrièmes propos incriminés à l’encontre d’un juge d’instruction : « […], nous connaissons vos méthodes, nous connaissons les méthodes du Pôle financier, vous humiliez les avocats ». Le Conseil note que la phrase a été prononcée alors que la jeune avocate perquisitionnée s’était mise à pleurer en pleine audience du fait des propos tenus par le juge d’instruction. La JLD en charge de la police de l’audience a considéré que l’expression « caractérisait la méthode d’instruction [du juge d’instruction] qui est très pugnace, très tenace. C'était direct, c’était virulent mais ce n’était pas irrespectueux ». Les propos ne sont pas considérés disproportionnés en la forme, ni étrangers à la cause au fond et ne sont donc pas fautifs pour le conseil de discipline.

Sur les cinquièmes propos incriminés à propos d’un couple de magistrat. Le conseil de discipline estime que ces propos incriminés, ni disproportionnés en la forme, ni étrangers à la cause au fond, et qui ont donné lieu à l'expression d’excuses de la part de l'avocat auprès des magistrats concernés, ne sont pas fautifs.

Hors de cause. Sur les conclusions de l'autorité de poursuite formulées oralement, la formation de jugement déclare que Vincent Nioré sera mis hors de cause.

Le parquet a depuis fait appel (v., ETUDE : Une liberté d'expression contrainte par la déontologie N° Lexbase : E40083RU et ETUDE : Le régime disciplinaire de la profession d'avocat N° Lexbase : E35823R4 in l'Ouvrage "La profession d'avocat").

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