Réf. : Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil du 25 juillet 2011, portant création d'une ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires
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par Guillaume Payan, Maître de conférences à l'Université du Maine
le 15 Février 2012
C'est donc l'option B qui a finalement été privilégiée par la Commission européenne, à savoir celle d'une procédure européenne uniforme, applicable dans les litiges transfrontières, venant se superposer aux législations nationales sans les modifier (7). Il est à noter que cette option correspond aux attentes du Parlement européen manifestées dans une résolution adoptée le 10 mai 2011, par laquelle ce dernier avait anticipé l'adoption de la proposition de Règlement de la Commission et dans laquelle il entendait poser les jalons de la future procédure européenne de saisie conservatoire des avoirs bancaires (8).
Telle qu'elle est imaginée (9) par la Commission européenne, dans la proposition de règlement ici envisagée, la procédure européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires apparaît comme une procédure (potentiellement) efficace tout en étant respectueuse des droits fondamentaux -procéduraux et substantiels- des débiteurs (10). Afin d'en procéder à l'analyse, il convient d'envisager successivement le stade de la délivrance (I) puis celui de la mise en oeuvre de l'ordonnance européenne de saisie conservatoire (ci-après "l'OESC") (II).
I - La délivrance de l'ordonnance européenne de saisie conservatoire
La Commission européenne précise, non seulement le champ d'application de la procédure projetée (A), mais également les modalités d'obtention de l'OESC, plaçant ainsi tous les créanciers européens sur un pied d'égalité (B).
A - Le champ d'application de la procédure
La procédure projetée, dont l'objet est d'empêcher "le retrait ou le transfert de fonds détenus par le débiteur sur un compte bancaire au sein de l'Union" (art. 1), bénéficie d'un large champ d'application.
- Champ d'application matériel (art. 2). La procédure projetée s'applique aux créances pécuniaires en matière civile et commerciale. Sont exclues, les matières fiscales, douanières ou administratives ainsi que les domaines des faillites, de la sécurité sociale et de l'arbitrage. En revanche, contrairement au Règlement "Bruxelles I", cette procédure devrait s'appliquer aux domaines des régimes matrimoniaux, des successions et des effets patrimoniaux des partenariats enregistrés.
- Champ d'application géographique (art. 3). La procédure devrait (seulement) s'appliquer dans les matières "ayant une incidence transfrontière". La Commission européenne retient une définition négative de cette notion en précisant qu'une "matière" est ainsi considérée "à moins que la juridiction saisie de la demande d'OESC, tous les comptes bancaires visés par l'ordonnance de saisie conservatoire et les parties ne soient situés ou domiciliés dans le même Etat membre". Elle se livre donc à une interprétation extensive de la lettre de l'article 81 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2733IPW) (11), quelque peu différente de l'interprétation -plus restrictive- retenue par le législateur de l'Union européenne (en l'occurrence, le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen). En effet, cette définition permet l'application de la procédure européenne pour le cas dans lequel l'un des comptes saisis se situe dans le même Etat membre que la juridiction délivrant l'ordonnance.
Par ailleurs, sauf décisions contraires de leur part, cette procédure ne devrait pas s'appliquer au Danemark ainsi qu'au Royaume-Uni et à l'Irlande (considérants 25 et 26).
B - Les modalités d'obtention de l'ordonnance
Concernant les modalités d'obtention de l'OESC, la Commission européenne opère une distinction selon que cette ordonnance soit délivrée avant (art. 6 à 13) ou après (art. 14 et 15) l'obtention d'un "titre exécutoire" établissant le droit de créance du demandeur, étant entendu qu'il doit s'agir d'un titre qui est, non seulement exécutoire dans l'Etat d'origine, mais également déclaré exécutoire dans l'Etat d'exécution (art. 5). Tout en prévoyant des dispositions spécifiques à chacune de ces situations, la proposition de Règlement contient également des dispositions qui leur sont communes.
- Dispositions spécifiques à la délivrance d'une OESC antérieurement à l'obtention d'un titre exécutoire. La procédure est nécessairement judiciaire. Sont, en principe, compétentes pour prononcer l'OESC, les juridictions internationalement compétentes pour connaitre du fond. De plus, les juridictions de l'Etat où le compte bancaire est situé ont également compétence pour prononcer une OESC "qui doit être exécutée dans cet Etat" (art. 6). La demande se fait au moyen d'un formulaire type multilingue -dont le contenu est précisé à l'article 8 de la proposition- et la délivrance de l'ordonnance est subordonnée à deux conditions classiques : la vraisemblance de la créance et l'existence de menaces dans le recouvrement (art. 7). En outre, une garantie peut être exigée, au demandeur, par la juridiction. Il est important de souligner que la procédure n'est pas contradictoire (art. 10), l'objectif est de préserver "l'effet de surprise" et, partant, l'efficacité de la procédure. Notons, enfin, que lorsque l'OESC est délivrée avant que le demandeur n'ait engagé une procédure sur le fond, ce dernier dispose d'un délai maximal de 30 jours pour introduire cette procédure (art. 13). A défaut, le défendeur pourra obtenir la remise en cause de l'ordonnance (art. 34 et 35).
- Dispositions spécifiques à la délivrance d'une OESC postérieurement à l'obtention d'un titre exécutoire. En fonction de la nature du titre -décision de justice, transaction judiciaire ou acte authentique- la demande visant à la délivrance de l'ordonnance peut notamment être faite auprès de la juridiction qui a prononcé la décision sur le fond ou approuvé la transaction judiciaire ou bien encore auprès de l'autorité compétente de l'Etat dans lequel l'acte authentique a été établi (art. 14). Là encore, la procédure n'est pas contradictoire et la demande se fait au moyen d'un formulaire dont le contenu est, cette fois, précisé dans l'article 15 de la proposition.
- Dispositions communes applicables à la délivrance d'une OESC antérieurement ou postérieurement à l'obtention d'un titre exécutoire. Au sein des dispositions "communes" -c'est-à-dire, celles trouvant indifféremment application que la délivrance de l'ordonnance ait lieu avant ou après l'obtention d'un titre exécutoire-, on retrouve des règles disparates qui ont principalement trait aux informations relatives au compte bancaire visé. A cet égard, il est prévu que le demandeur ait la possibilité de demander (12) à "l'autorité compétente de l'Etat membre d'exécution" qu'elle obtienne les informations nécessaires à l'identification du ou des comptes du défendeur, à savoir : l'adresse dudit défendeur, celle de la ou des banque(s) gérant le ou les compte(s) visé(s) et le ou les numéro(s) de compte de ce même défendeur (art. 17). Par ailleurs, on peut également souligner que le demandeur doit, lorsqu'il sollicite une OESC, préciser s'il a au préalable saisi une autre juridiction d'une demande semblable ou d'une demande visant à la délivrance d'une mesure conservatoire nationale équivalente destinée à garantir la même créance et dirigée contre le même défendeur (art. 19). La juridiction dernièrement saisie de la demande d'OESC pouvant -dans l'affirmative- estimer qu'il n'est pas nécessaire de délivrer une ordonnance supplémentaire. Notons, enfin, que la représentation par avocat -ou par "un autre professionnel du droit" (art. 41)- n'est pas obligatoire dans le cadre de cette procédure et que les frais de justice sont en principe supportés par la partie perdante (art. 42).
II - La mise en oeuvre de l'ordonnance européenne de saisie conservatoire
Le dispositif imaginé par la Commission européenne repose sur la suppression de l'exequatur. Ainsi, une OESC qui a été obtenue, dans un Etat membre, en application de cette procédure européenne, devrait être "reconnue et exécutoire", dans les autres Etats membres, "sans qu'une déclaration constatant sa force exécutoire soit nécessaire et sans qu'il soit possible de s'opposer à sa reconnaissance" (art. 23). En somme, la Commission retient le principe de la libre circulation des OESC.
Une fois posé ce principe, la Commission européenne apporte des précisions sur l'exécution (A) et les contestations éventuelles (B) de l'OESC.
A - L'exécution de l'ordonnance
Sont tour à tour envisagées, les modalités de signification ou de notification de l'OESC ainsi que les opérations de saisie.
- Notification de l'OESC. S'agissant, en premier lieu, de la signification ou de la notification de l'ordonnance à la banque (art. 24), il est prévu, d'une part, que s'applique le droit de l'Etat membre d'exécution lorsque l'ordonnance a été obtenue dans cet Etat et, d'autre part, que cette signification ou notification soit réalisée en application du Règlement (CE) n° 1393/2007 (13) lorsque l'ordonnance a été délivrée dans un Etat différent de l'Etat membre d'exécution. Dans ce dernier cas, il est toutefois précisé que "la personne ou l'autorité responsable de la signification ou de la notification dans l'Etat membre d'origine transmet l'OESC directement à l'autorité compétente de l'Etat membre d'exécution", laquelle à son tour signifie ou notifie l'ordonnance à la banque. S'agissant, en second lieu, de la signification ou de la notification de l'ordonnance au défendeur (14) (art. 25), des règles semblables sont prévues, en ce sens où le droit de l'Etat d'origine devrait s'appliquer lorsque le défendeur est domicilié dans cet Etat. A défaut, la signification ou la notification devrait être effectuée conformément au Règlement (CE) n° 1393/2007.
- Opérations de saisie. Il est proposé que l'établissement bancaire, à qui a été signifiée ou notifiée une OESC, la mette en oeuvre "immédiatement dès sa réception en veillant à ce que le montant qui y est spécifié ne fasse pas l'objet d'un transfert, d'un acte de disposition ou d'un retrait du ou des comptes désignés dans l'ordonnance ou identifiés par la banque comme étant détenus par le défendeur" (art. 26). Cette indisponibilité est limitée au montant spécifié dans l'OESC, les fonds qui excèdent ce montant devant rester à la disposition dudit défendeur (15). Il est également prévu que l'établissement bancaire informe l'autorité compétente et le demandeur, dans les trois jours qui suivent la réception de l'ordonnance (art. 27), afin de leur préciser si et dans quelle mesure les fonds qui se trouvaient sur le compte visé ont fait l'objet d'une saisie conservatoire. Cette information se fait au moyen d'un formulaire type (reproduit en annexe de la proposition) et peut être transmise de façon dématérialisée. L'éventuelle responsabilité de la banque peut être engagée en application du droit national de l'Etat membre d'exécution.
Par ailleurs, un renvoi est opéré au droit national de l'Etat membre d'exécution, concernant les saisies conservatoires de comptes joints et de comptes de mandataire (art. 29), les montants exemptés d'exécution (art. 32) ou encore l'ordre de priorité des créanciers en concurrence (art. 33). Plus généralement, un renvoi est opéré aux droits nationaux en ce qui concerne toutes les questions d'ordre procédural non expressément réglées dans la proposition de règlement (art. 45).
Notons qu'il devrait être mis fin à l'exécution de l'ordonnance, lorsque le défendeur dépose, auprès de l'autorité compétente de l'Etat membre d'exécution, une garantie dont le montant a été fixé au préalable dans l'OESC (art. 38).
B - La contestation de l'ordonnance
En plus de permettre au demandeur d'interjeter appel de la décision lui refusant la délivrance d'une OESC (art. 22), la proposition de règlement détaille les voies de recours offertes au défendeur -et aux tiers (art. 39)- dans l'hypothèse contraire où cette ordonnance est délivrée. Selon qu'ils portent sur l'ordonnance (16) ou sur son exécution, ces recours devraient être respectivement formés dans l'Etat membre d'origine (art. 34) ou dans l'Etat membre d'exécution (art. 35). Notons que lorsque le défendeur est un consommateur, un salarié ou un assuré, il devrait bénéficier d'un régime dérogatoire. Dans ces cas, en effet, les recours pourraient également être formés auprès de la juridiction compétente de l'Etat membre dans lequel le défendeur est domicilié (art. 36).
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