Réf. : Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile (N° Lexbase : L8421LT3)
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par Etienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes
le 22 Janvier 2020
Le déroulement de l’instance devant le tribunal judiciaire subit d’importantes transformations résultant du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile (N° Lexbase : L8421LT3). La traditionnelle dualité entre procédure écrite et orale est remplacée par un triptyque : procédure écrite, orale ou sans audience. La création de ce troisième type procédural constitue, en réalité, une reconnaissance de la pratique dite du «dépôt» du dossier. Cette nouvelle procédure présente une double originalité. D’une part, elle doit être consentie par les parties. Il s’agit donc d’un modèle optionnel. D’autre part, elle peut être mise en œuvre tant en procédure écrite qu’orale. Il s’agit donc d’une troisième voie qui vient se greffer sur les deux premières de sorte qu’elle n’apparaît pas dans le plan du Code de procédure civile, qui semble ainsi l’ignorer, dans le même temps qu’il la consacre.
C’est ce nouveau triptyque que nous présentons dans cette étude, de même que l’ensemble des transformations internes à chacune de ces procédures.
1. La procédure écrite
La procédure écrite change d’état d’esprit. Traditionnellement, cette procédure est synonyme de mise en état. La culture de la mise en état est issue d’une longue transformation qui s’est produite au cours du 20ème siècle. La procédure purement accusatoire du Code de procédure napoléonien ayant montré ses limites, un juge chargé de suivre la procédure a d’abord été créé, remplacé par le juge de la mise en état. Ce juge devait avoir pour rôle de donner du rythme à la procédure, et de soumettre les parties à des diligences. En ce début de 21ème siècle, l’état d’esprit est très différent. La mise en état juridictionnelle semble considérée comme un instrument de ralentissement procédural qu’il convient d’éviter ou de contourner.
Tel est l’état d’esprit des articles 776 (N° Lexbase : L9107LTH) et suivants du Code de procédure civile issus du décret du 11 décembre 2019 (N° Lexbase : L8421LT3). Ces articles énumèrent les options qui s’offrent au président de la chambre à qui l’affaire a été distribuée. Ce sont cinq options qui sont ainsi proposées, dont quatre sont concurrentes de la mise en état juridictionnelle. Ces options sont d’ailleurs listées dans un ordre qui décrit l’état d’esprit des rédacteurs du décret.
La première possibilité pour le président de la chambre, consiste à demander aux parties si elles souhaitent conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état. Cette convention ouvre alors une période de mise en état conventionnelle, entre les parties assistées de leurs avocats. Ces dernières conduisent la procédure, sans avoir recours au juge de la mise en état.
La deuxième possibilité consiste à renvoyer l’affaire à l’audience des plaidoiries. Elle concerne principalement deux hypothèses : celle dans laquelle l’affaire est prête à être jugée et celle dans laquelle ne défendeur n’a pas comparu [1]. Le président de la chambre déclare alors l’instruction close et fixe la date d’audience qui peut avoir lieu le jour même.
La troisième possibilité est dérivée de la seconde. Si l’affaire est en état d’être jugée et que les parties ont consenti à la procédure sans audience, le président de la chambre déclare l’instruction close et fixe une date pour le dépôt des dossiers au greffe de la chambre. Les parties sont avisées par le greffier et sont informées du nom des juges et de la date à laquelle le jugement sera rendu.
La quatrième possibilité concerne les affaires qui ne sont pas en état d’être jugées, mais qui sont sur le point de l’être. Cela peut concerner plusieurs hypothèses. Soit les parties doivent procéder à un ultime échange de conclusions ou de pièces, soit les conclusions ne sont pas conformes à l’article 768 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9310LTY) et elles doivent être régularisées, soit encore, les parties demandent un délai pour conclure une convention de procédure participative. Dans toutes ces situations, la mise en état juridictionnelle n’est pas utile. Le président de la chambre peut alors décider que les avocats se présenteront à nouveau devant lui, à une date d'audience qu'il fixe, pour conférer une dernière fois de l'affaire et il peut fixer à cette fin un calendrier de procédure.
Enfin, cinquième et dernière possibilité, dans tous les cas où l’affaire n’est pas en état d’être jugée, le président renvoie au juge de la mise en état. Il fixe une date d’audience de mise en état et le greffe en avise les parties constituées.
L’ordre dans lequel ces différentes options sont énumérées a toute son importance, car il traduit la volonté du pouvoir réglementaire de privilégier, soit une mise en état conventionnelle, soit une mise en état rapide (ou simplifiée). Le renvoi devant le juge de la mise en état constitue l’ultime solution. Tout porte à croire qu’un fossé existe entre cette volonté politique et la réalité. L’instruction devant le juge de mise en état présente de nombreux avantages : du temps pour travailler le dossier et échanger les écritures, un moyen de purger la procédure de ses vices (exceptions, fin de non-recevoir), un moyen de recevoir une provision ou d’obtenir une mesure d’instruction. Certes, la mise en état peut également avoir lieu par voie conventionnelle, mais depuis sa création en 2012, la procédure participative n’a rencontré aucun succès. Il est donc assez probable que la pratique de l’orientation de l’affaire ne change pas beaucoup.
Le décret du 11 décembre 2019 semble replonger l’audience d’orientation dans des temps lointains où les avocats rencontraient les magistrats durant la mise en état. L’article 776 du Code de procédure civile indique ainsi que le président de la chambre confère de l’état de la cause avec les avocats présents. Cette disposition introduit donc l’idée d’une audience physique. Cette idée est corroborée par le fait que le président doit demander aux avocats présents s’ils envisagent de conclure une convention de procédure participative. Est-ce à dire que cette procédure ne peut être proposée qu’aux avocats présents ? Est-ce à dire également que la présence à cette audience est facultative ? Que se passe-t-il alors lorsque les avocats sont constitués, mais qu’ils ne sont pas présents à l’audience ? Enfin, comment combiner cette présence, avec la possibilité d’opter pour une procédure sans audience ? La réponse à ces questions n’est pas évidente. Ainsi, l’article 776 du Code de procédure civile recèle des mystères que seule la pratique professionnelle pourra résoudre, puisque le code ne donne aucune précision sur la tenue de cette audience.
La communication électronique suit deux régimes différents devant le tribunal judiciaire.
L’article 850 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9345LTB) aménage la communication électronique obligatoire en matière de procédure écrite ordinaire et de procédure à jour fixe. Cette communication concerne tous les actes de procédure à l'exception de la requête mentionnée à l'article 840 du même code (N° Lexbase : L9335LTW) [2]. On retrouve donc ici le principe de la communication électronique obligatoire devant le tribunal de grande instance.
En dehors de ces deux procédures, la question se pose de la possibilité d’utiliser la communication électronique. Cette communication dite «facultative» est soumise à l’existence d’un arrêté spécifique qui doit désigner tant la juridiction que les actes concernés par la voie électronique. Avant qu’elle ne devienne obligatoire, la communication électronique était facultative devant le tribunal de grande instance en vertu d’un arrêté du 7 avril 2009 (N° Lexbase : L0193IEU). Cet arrêté demeure et les mots «tribunal de grande instance» ont été remplacés par «tribunal judiciaire» de sorte que l’arrêté est aujourd’hui relatif à la communication par voie électronique devant les tribunaux judiciaires. Cette mutation de l’arrêté du 7 avril 2009 devrait permettre de communiquer tous les actes qu’il vise par voie électronique, quelle que soit la procédure [3].
La principale innovation de la mise en état juridictionnelle concerne la compétence exclusive dévolue au JME pour statuer sur les fins de non-recevoir (C. proc. civ., art. 789 N° Lexbase : L9322LTG). Cette compétence nouvelle vient accroître l’intérêt d’une mise en état devant ce juge, qui a ainsi pour effet de purger la procédure de ses vices éventuels. Cette compétence était controversée, puisque les fins de non-recevoir soulèvent parfois des questions de fond. Par exemple, la prescription d’une action en responsabilité civile peut prendre son attache dans l’existence d’un dommage corporel. La fin de non-recevoir est donc liée ici à l’existence et à la datation de ce dommage, qui constituent des questions de fond.
C’est pour cette raison que lorsqu’une question de fond surgit à l’occasion d’une fin de non-recevoir, le JME est également compétent pour statuer sur cette question, à moins que l’affaire ne relève pas du juge unique. Dans ce dernier cas, une partie peut s’opposer à ce que le JME statue sur la fin de non-recevoir et ce pouvoir est alors dévolu à la formation de jugement [4]. Toutefois, le renvoi, qui est une mesure d’administration judiciaire, ne clôture pas l’instruction, de sorte qu’une fois la décision rendue par la juridiction collégiale, l’affaire revient automatiquement à la mise en état, à moins qu’il n’y soit mis fin par l’effet de la fin de non-recevoir. Qu’il s’agisse du JME ou de la formation de jugement, la décision doit comporter des dispositions distinctes pour la fin de non-recevoir et pour la question de fond.
Pour le surplus, la procédure relative à la fin de non-recevoir suit le même régime que les exceptions de procédures. D’abord, elle ne peut plus être soulevée à l’issue de la mise en état, à moins que sa cause survienne ou soit révélée postérieurement à la clôture. Ensuite, la décision du JME a autorité de la chose jugée. Enfin, cette décision est susceptible d’appel dans les quinze jours de sa signification.
2. La procédure orale et le recours obligatoire aux modes de résolution amiable
La procédure orale ne subit par d’importantes modifications, mais une redéfinition de son domaine. L’article 817 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9121LTY) dispose ainsi que la procédure est orale lorsque les parties sont dispensées de constituer avocat. Le domaine de cette procédure est donc celui de la dispense de représentation obligatoire [5].
Dans l’ensemble, les règles de la procédure orale ne changent pas et notamment celles qui aménagent la procédure «orale-écrite» (C. proc. civ. art.831 N° Lexbase : L9137LTL) dont l’intérêt risque d’être réduit par la possibilité d’avoir recours à une procédure sans audience. En revanche, le domaine et le régime du recours obligatoire à une mode de résolution amiable sont sensiblement redéfinis.
L’article 750-1 Code de procédure civile (N° Lexbase : L9295LTG) définit le domaine de la tentative préalable de règlement amiable. Il concerne les litiges portant sur une demande qui tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5 000 euros ou d’une demande relative à l'une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 (N° Lexbase : L0421LSE) et R. 211-3-8 (N° Lexbase : L0425LSK) du Code de l'organisation judiciaire. Ces actions sont celles désignées sous l’appellation générique de «conflit de voisinage». Il s’agit par exemple de l’action en bornage ou de celles relatives à certaines servitudes.
La dispense de résolution amiable est elle-même redéfinie. Les parties peuvent saisir directement le juge si elles sollicitent l’homologation d’un accord, si un recours préalable est imposé, si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation et enfin, s’il existe un motif légitime de ne pas procéder au règlement amiable. Ce motif légitime est précisé par le décret. Il peut s’agir d’une urgence manifeste, de l’indisponibilité des conciliateurs de justice, mais également des circonstances de la cause. Par exemple, lorsque la décision demandée doit être prise selon une procédure non contradictoire, comme c’est le cas de l’ordonnance sur requête. Les motifs légitimes de se soustraire au règlement amiable sont ainsi diversifiés.
Lorsque la tentative de résolution amiable s’impose, le demandeur peut s’adresser directement à un conciliateur [6] ou saisir le juge afin qu’il en désigne un. Cette dernière demande est formée par requête (C. proc. civ., art. 820 N° Lexbase : L9123LT3).
3. La procédure sans audience
La procédure sans audience est une innovation de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC). Cette loi a introduit dans le Code de l’organisation judiciaire un article L. 212-5-1 (N° Lexbase : L0598LTC) selon lequel :
«Devant le tribunal judiciaire, la procédure peut, à l'initiative des parties lorsqu'elles en sont expressément d'accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite».
La procédure sans audience vient se greffer sur la procédure écrite ou orale. En procédure écrite, elle dispense les parties de l’audience de plaidoirie. En procédure orale, elle les dispense de se présenter à une quelconque audience. Cette procédure ne constitue pas une révolution puisque, avant le décret du 11 décembre 2019, les plaidoiries pouvaient déjà être évitées par la pratique du dépôt du dossier de plaidoirie. Cette pratique est officialisée et généralisée.
La procédure sans audience présente des traits communs lorsqu’elle se greffe à la procédure écrite ou orale. D’une part, elle est consentie par les parties et par le juge. Chacun des acteurs est susceptible de s’y opposer et la procédure suit alors une voie classique. D’autre part, elle peut avoir lieu à tout moment de la procédure. Les parties peuvent y consentir avant la première audience, lors de l’audience d’orientation, durant la mise en état ou, en procédure orale, à chaque audience et même en dehors des audiences. Il est également possible de revenir sur son consentement, puisque l’article L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire dispose que «le tribunal peut décider de tenir une audience s'il estime qu'il n'est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l'une des parties en fait la demande».
Ce cadre commun très souple est complété par deux régimes distincts, en procédures écrite et orale.
Les parties peuvent, dès le début de la procédure, donner leur accord pour que la procédure se déroule sans audience, soit dans l’acte de demande (assignation [7] ou requête [8]), soit dans les conclusions.
La décision appartient, ensuite, au magistrat. Il peut s’agir du président de la chambre qui, au moment de l’audience d’orientation, déclarer l’instruction close et fixe la date pour le dépôt des dossiers au greffe de la chambre [9]. Cette procédure rapide nécessite au préalable que les parties aient échangé leurs écritures et qu’une mise en état ne soit pas nécessaire. Dans le cas contraire, le président de la chambre envoie l’affaire à la mise en état et le juge de la mise en état déclare l'instruction close dès que l'état de celle-ci le permet. Cela permet aux parties de bénéficier à la fois de la mise en état et d’une procédure purement écrite. Lorsque l’affaire est en état, les parties sont invitées à déposer leur dossier au greffe de la chambre. Elles sont alors informées de la date du jugement et de la composition de la juridiction.
La procédure sans audience présente une véritable originalité en procédure orale, puisqu’elle supprime totalement l’oralité de cette procédure. Certes, il existe déjà, depuis 2010, une procédure «orale écrite»-qui permet aux parties de donner une valeur juridique à leurs écritures et même de déposer leur dossier [10]- mais dans cette procédure, les parties doivent obtenir l’autorisation du juge et donc se présenter a minima à une première audience.
Dans le nouveau régime, l’article 828 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9131LTD) prévoit qu’à tout moment de la procédure, les parties peuvent donner expressément leur accord pour que la procédure se déroule sans audience. Cela signifie que l’accord peut être donné avant la première audience. Le code ne fait pas allusion à une éventuelle autorisation du juge. On peut considérer que celle-ci est implicitement requise. En effet, l’article 831 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9137LTL) précise qu’il revient au juge d’organiser les échanges entre les parties, ce qui signifie que c’est à lui de prendre la décision d’écarter toute audience. La procédure sans audience peut également avoir lieu en cours d’instance. Les parties doivent alors remplir une déclaration qui mentionne leur accord à cette procédure [11].
Lorsqu’il décide d’orienter l’affaire vers une procédure sans audience, le juge fixe des délais pour que les parties échangent leurs prétentions et leurs moyens par écrit. La communication entre elles est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par notification entre avocats et il en est justifié auprès du tribunal. Au terme de ce calendrier, le juge informe les parties de la date à laquelle le jugement sera rendu.
Cette procédure sans audience devrait rencontrer un certain succès. En effet, elle est adaptée, tant aux petits litiges dans lesquels il est coûteux pour les parties de se déplacer et de plaider, que dans les contentieux techniques, où les écritures peuvent être plus efficaces que la plaidoirie. En toutes hypothèses, cette nouvelle voie traduit dans les textes la transformation profonde de la pratique de la défense dans les juridictions civiles.
[1] Il peut également ordonner la réassignation du défendeur.
[2] Il s’agit de la requête aux fins d’assignation à jour fixe.
[3] Cf. sur ce point, C. Bléry, Nouveaux modes d’introduction de la procédure et communication par voie électronique, Dalloz avocats n° 1, janvier 2020, p. 57 (à paraître).
[4] Le JME peut aussi renvoyer l’affaire à la formation de jugement de sa propre initiative.
[5] L’article précise «sous réserve des dispositions particulières propres aux matières concernées», ce qui ouvre la voie à des exceptions.
[6] Mais également suivre toute autre procédure de règlement amiable, telle que le recours à un médiateur ou à une procédure participative.
[7] C. proc. civ., art. 752 (N° Lexbase : L9296LTH) et 753 (N° Lexbase : L9297LTI).
[8] C. proc. civ., art. 757 (N° Lexbase : L9300LTM).
[9] C. proc. civ., art. 778 al. 5 (N° Lexbase : L9316LT9).
[10] C. proc. civ., art. 831.
[11] C. proc. civ., art. 829 (N° Lexbase : L9133LTG).
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