La lettre juridique n°810 du 23 janvier 2020 : Terrorisme

[Brèves] Validité du recel d’apologie d’actes de terrorisme à l’aune de la liberté d’expression

Réf. : Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 19-80.136, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5582Z9M)

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N1825BYA

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par June Perot

le 26 Mars 2020

► Le fait de détenir, à la suite d’un téléchargement effectué en toute connaissance de cause, des fichiers caractérisant l’apologie d’actes de terrorisme entre dans les prévisions des articles 321-1 (N° Lexbase : L1940AMS) et 421-2-5 (N° Lexbase : L8378I43) du Code pénal ; cependant, une condamnation de ce chef n’est compatible avec l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4743AQQ) que si est caractérisée, en la personne du receleur, son adhésion à l’idéologie exprimée dans de tels fichiers.

C’est ainsi que s’est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt relatif à la détention de documents et enregistrements audiovisuels faisant l’apologie d’actes de terrorisme (Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 19-80.136, FS-P+B+I N° Lexbase : A5582Z9M).

Résumé des faits. Dans le cadre d’une visite effectuée sur autorisation du juge des libertés et de la détention, du véhicule utilisé par un homme et du domicile de ses parents où il résidait, ont été découverts dans son ordinateur portable et ses deux téléphones portables, de nombreux documents et des enregistrements audiovisuels faisant l’apologie d’actes de terrorisme. Il a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour recel de biens provenant du délit d’apologie d’actes de terrorisme sur le fondement des articles 321-1 (recel) et 421-2-5 (apologie d’actes de terrorisme) du Code pénal et a été condamné à cinq ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l’épreuve, ainsi qu’à une interdiction de séjour en Moselle de cinq ans et à la confiscation des scellés. Le prévenu a relevé appel de la décision.

En cause d’appel. Pour confirmer la déclaration de culpabilité du prévenu et le condamner à deux ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l’épreuve, outre la confiscation des scellés, l’arrêt énonce qu’en effectuant des téléchargements volontaires de fichiers faisant l’apologie du terrorisme, l’intéressé s’est procuré et a détenu en toute connaissance de cause des choses provenant d’une action qualifiée crime ou délit par la loi.

Les juges ajoutent que le comportement de l’intéressé démontre une certaine adhésion aux propos apologétiques et que la multiplicité, la diversité et le caractère volontaire de la sélection des documents téléchargés excluent qu’il ait pu agir de bonne foi par simple curiosité, quête spirituelle ou parce qu’il se retrouvait dans une situation de détresse psychologique, matérielle et familiale ainsi qu’il le prétend.

Un pourvoi a été formé.

A hauteur de cassation. Le moyen du pourvoi faisait valoir que le seul fait de détenir un support dans lequel est exprimée une opinion présentant l’acte de terroriste sous un jour favorable ne pouvait être qualifié de recel. De plus, selon le pourvoi, la cour d’appel ne pouvait condamner le prévenu du chef de recel d’apologie d’actes de terrorisme pour avoir détenu des fichiers informatiques dans lesquels des tiers faisaient l’apologie d’actes de terrorisme, au seul motif qu’il avait connaissance de leur nature frauduleuse et illicite.

Recel d’apologie d’actes de terrorisme versus liberté d’expression. Reprenant la solution susvisée, la Chambre criminelle considère que la condamnation pour détention de fichiers téléchargés caractérisant l’apologie d’actes de terrorismes n’est compatible avec l’article 10 de la CESDH que pour autant qu’il est démontré l’adhésion du receleur à l’idéologie exprimée dans les fichiers. Le recel de l’apologie du terrorisme exige donc la démonstration d’un dol spécial (adhésion à l’idéologie) afin que cette répression ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.

Portée. La question constitutionnelle de l’intention en matière de terrorisme s’est  sensiblement posée avec la loi du 3 juin 2016 (N° Lexbase : L4202K87) qui a érigé en infraction la consultation habituelle de sites internet de nature terroriste. A cette occasion, l’article 421-2-5-2 (N° Lexbase : L4801K8C ; cf. l’Ouvrage « Droit pénal spécial » (dir. J.-B. Perrier), Les éléments constitutifs des actes de terrorisme N° Lexbase : E5500EXY) a été inséré dans le Code pénal, le législateur ayant eu pour ambition de sanctionner à la source la consultation de tels sites. Saisie de la question de sa conformité à la norme fondamentale, le Conseil avait toutefois censuré cette infraction, estimant que « les dispositions contestées n’imposent pas que l’auteur de la consultation habituelle des services de communication au public en ligne concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes ni même la preuve que cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ces services » (Cons. const., décision n° 2016-611 QPC, du 10 février 2017 N° Lexbase : A7723TBN, §. 14).

Désireux de rectifier le tir, le législateur avait alors, à l’occasion de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017, relative à la sécurité publique (N° Lexbase : L0527LDU), offert une nouvelle rédaction à l’article en question en tenant compte des réserves émises par le Conseil. La consultation devait alors s’accompagner « d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service ». Cette nouvelle version n’a toutefois pas emporté l’adhésion du Conseil constitutionnel qui a de nouveau censuré l’article 421-2-5-2 du Code pénal (Cons. const., décision n° 2017-682 QPC, du 15 décembre 2017 (N° Lexbase : A7105W7B ; v. O. Cahn, Délit de consultation de sites terroristes : ni fleurs, ni couronnes..., Lexbase Pénal, janvier 2018 N° Lexbase : N2232BXX).

La décision rendue le 7 janvier 2020 soulève alors une difficulté puisque le Conseil avait estimé le 12 décembre 2017 que l’exigence d’une adhésion à l’idéologie exprimée ne suffisait pas à assurer la constitutionnalité du délit de consultation de site terroriste car la consultation et l’adhésion n’étaient pas « susceptibles d’établir à elles seules l’existence d’une volonté de commettre des actes terroristes » (§. 14).

Or, le dol augmenté du recel décelé par la Chambre criminelle ne paraît pas aller pas aussi loin que ce que le Conseil avait exigé quant au délit de consultation : l’adhésion suffit pour le recel d’apologie, quand elle ne permet pas d’assurer la validité du délit de consultation. Une infraction de conséquence telle que le recel prend alors le relais d’un délit inconstitutionnel en s’attachant au simple effet éventuel d’une consultation de site terroriste : le téléchargement d’un contenu litigieux. Téléchargement qui d’ailleurs à lui seul (421-2-6, 2, c N° Lexbase : L7543LP3) ne pourrait consommer le délit d’entreprise individuelle terroriste. Il faudrait en effet ajouter au téléchargement le fait de détenir, de se procurer, de tenter de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui. Une QPC aura sans doute le mérite de lever, à terme, les doutes quant à la constitutionnalité de cette construction prétorienne. La plasticité de la qualification balai mobilisée par le parquet (le recel) présente un intérêt pratique évident mais elle laisse d’interroger quant à la libre communication des pensées et des opinions telle qu’éclairée par le Conseil constitutionnel.

Pour aller plus loin :

Lire, Y. Mayaud, L’intention terroriste, Lexbase Pénal, juillet 2019 (N° Lexbase : N9667BXC)

Lire, J. Alix, Flux et reflux de l’intention en matière terroriste, RSC, 2019 n° 2, pp. 505 s.

 

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