Réf. : Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-21.207, F-P+B+I (N° Lexbase : A3523Z4A)
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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux
le 11 Décembre 2019
Le régime juridique des sociétés d’exercice libéral résulte d’une combinaison, pas toujours très aisée à maîtriser, entre les dispositions particulières issues de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 (N° Lexbase : L3046AIN) et le droit commun général applicable à toutes les sociétés ou le droit spécial relatif à la forme de société empruntée [1].
L’arrêt prononcé par la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 27 novembre 2019, vient en offrir une nouvelle illustration sur un point qui apparaît comme étant inédit.
Des circonstances de l’espèce, on peut retenir que des chirurgiens exerçaient leur activité au sein d’une société en participation et, à la suite de différends les ayant opposés, plusieurs d’entre eux ont procédé à l’égard de leur coassocié à la notification de leur décision de dissoudre cette société. Du contentieux qui s’en est suivi, il ressort que leur démarche échoue devant la cour d’appel [2] et le rejet de leur pourvoi offre à la Cour de cassation l’occasion de prendre une position qui devra être bien prise en compte par les professionnels libéraux, et leurs conseils, dans le choix d’un cadre sociétaire pour l’exercice de leur activité professionnelle. Prenant appui sur le libellé de l’article 22 de la loi précitée du 31 décembre 1990, la Haute juridiction retient que l’article 1872-2 du Code civil (N° Lexbase : L2073ABE), qui ouvre la faculté d’une dissolution de la société en participation par notification de la décision d’un associé à ses coassociés de mettre un terme à ce contrat, ne s’applique pas à cette catégorie de société.
La démarche qui conduit à une telle conclusion résulte du jeu, en cascade, de l’adage «specialia generalibus derogant», aboutissant à priver un associé de la faculté de provoquer la dissolution de la société par simple notification de sa décision (I). Pour autant, une possibilité pour un associé de provoquer la dissolution demeure ouverte, mais elle doit résulter d’une stipulation statutaire (II) ou être soumise à l’appréciation judiciaire (III).
I - L’exclusion de principe de l’article 1872-2 du Code civil
L’une des principales caractéristiques du régime juridique des sociétés en participation résulte de la faculté, offerte par l’article1872-2 du Code civil, pour un associé, de provoquer la dissolution de la société. Il ressort de ce texte que, lorsque la société en participation est à durée indéterminée, sa dissolution peut résulter à tout moment d’une notification adressée par l’un d’eux à tous les associés. Cette prérogative ne comporte qu’une restriction, tenant à ce que la notification soit effectuée «de bonne foi et non faite à contre-temps».
Quelques décisions sont venues, épisodiquement, illustrer les possibilités qui sont ainsi offertes à un associé de se délier d’un engagement collectif qui ne lui convient plus, pour des raisons qui peuvent être personnelles, à la condition qu’il respecte l’exigence de bonne foi imposée par le texte [3]. L’avantage que représente ce mode simplifié de dissolution d’une société, au regard des sociétés dotées de la personnalité morale qui n’en disposent pas, apparaît d’autant plus significatif que la Cour de cassation a précisé qu’il pouvait être mis en œuvre alors même qu’une clause statutaire l’écarterait [4].
En l’espèce, c’est bien cette prérogative qu’entendaient mettre en œuvre les associés ayant notifié leur décision de procéder à la dissolution de la société. Pour autant, il convient de prendre en compte le cadre normatif particulier, résultant de la loi du 31 décembre 1990 dont le titre II est dédié à l’exercice sous forme de sociétés en participation des professions libérales soumises à un statut législatif ou dont le titre est protégé. La profession de chirurgien entrant dans le champ d’application de ce texte, il faut alors se référer aux dispositions spéciales qui figurent dans cette loi pour vérifier si elles couvrent l’hypothèse de la dissolution par notification d’un associé. Or, l’article 22 de ladite loi précise qu’une telle société est régie «par les dispositions ci-après et celles non contraires des articles 1871 à 1872-1 du Code civil».
Dès lors que les articles 22 et 23 n’évoquent aucunement la dissolution de la société, il faut donc se tourner vers les dispositions du Code civil dédiées à la société en participation mais avec une attention particulière sur la numérotation desdits articles puisque le renvoi effectué par l’article 22 susvisé n’inclut pas l’article 1872-2 qui fonde le droit, pour tout associé, de provoquer la dissolution de la société par la notification faite à ses coassociés.
A notre connaissance, cette restriction de renvoi vers les dispositions du Code civil n’avait pas donné lieu à une jurisprudence publiée et cette singularité n’avait pas été particulièrement relevée. L’apport de l’arrêt commenté apparait, dès lors, significatif et devra figurer en bonne place dans les codes et ouvrages spécialisés en la matière. Il sera opportun, lors du choix de la forme sociétaire retenue pour organiser l’exercice de l’activité des professionnels libéraux concernés, de bien attirer l’attention sur la mise à l’écart par la législation spéciale d’une règle qui est classiquement attachée à la société en participation, au point d’en faire l’un des arguments de choix. En matière de profession libérale soumise à statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, le législateur de 1990 a entendu renforcer la pérennité de la structure sociétaire en ne la laissant pas à la merci du changement d’avis de l’un des professionnels associés qui, par la simple notification de sa décision à ses coassociés, pourrait provoquer la dissolution.
Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur cette vision législative, l’arrêt rapporté démontre qu’il convient, pour les personnes concernées, d’en être clairement informé avant de s’engager dans une telle forme de société. Toutefois, si le fondement textuel, que fournit l’article 1872-2 du Code civil, ne peut être invoqué, la dissolution de la société en participation à l’initiative d’un associé peut trouver un support dans les statuts de la société concernée.
II - L’application de recours à une stipulation statutaire
Poursuivant l’effet, en cascade, des renvois de textes permettant d’établir le régime juridique d’une société en participation de profession libérale, relevant du titre II de la loi du 31 décembre 1990, l’arrêt sous examen retient qu’il convenait de se référer à l’article 1871-1 du Code civil (N° Lexbase : L2070ABB) -inclus dans le renvoi figurant à l’article 22 de la loi de 1990- aux termes duquel «à moins qu’une organisation différente n’ait été prévue, les rapports entre associés sont régis, en tant que de raison, par les dispositions applicables aux sociétés civiles, si la société a un caractère civil». En l’espèce, la société regroupant les chirurgiens ayant bien un caractère civil, il était donc loisible aux associés de mettre en place, par les clauses des statuts de leur société (ou de tout document qui formaliserait leur accord, tel un règlement intérieur à la société), une organisation spécifique qui leur conviendrait qui ne soit pas nécessairement identique de celle qui résulterait de l’application des dispositions que le Code civil leur consacre, aux articles 1845 (N° Lexbase : L2038AB4) à 1870.
Il apparaît tout à fait admissible que, par leur accord formulé sur ce point dans une stipulation statutaire, les associés aient convenu que chacun des associés pourrait provoquer la dissolution de la société en participation par la notification de sa décision à ses coassociés. L’absence de renvoi par l’article 22 de la loi de 1990 à l’article 1872-2 du Code civil ne saurait être compris comme empêchant les associés de s’accorder sur cette modalité de dissolution. Il peut être considéré que le législateur n’entend pas reconnaître un tel droit à tout associé mais sans que cela puisse être perçu comme interdisant aux intéressés de se reconnaître, conventionnellement, une telle prérogative. En toute hypothèse, l’arrêt commenté illustre la position sur ce point de la Haute juridiction, distinguant le droit que le législateur n’accorde pas et ce que les associés se reconnaissent conventionnellement. L’arrêt est donc une incitation à envisager, lors de la rédaction des statuts, l’opportunité de faire figurer une faculté de dissolution, à l’imitation de celle figurant à l’article 1872-2 du Code civil.
La Cour de cassation, dans l’arrêt sous examen, mentionne expressément, au renfort du rejet du pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel que celle-ci avait relevé «qu’aucune disposition du règlement intérieur de la société n’était relative à sa dissolution». Les associés ne pouvaient donc pas s’appuyer sur une stipulation statutaire, pas plus que sur l’article 1872-2 du Code civil, pour provoquer la dissolution de la société.
Pour autant, la dissolution de la société en participation pourrait résulter de l’initiative d’un associé mais il lui faudrait alors recourir à l’autorisation judiciaire.
III - L’application de secours à l’appréciation judiciaire
Dernière étape de la démarche reposant à prendre en compte l’articulation des divers textes susceptibles de s’appliquer à une dissolution de société en participation de profession libérale qui résulterait de l’initiative d’un des associés, demeure alors la faculté d’invoquer l’article 1844-7 du Code civil (N° Lexbase : L7356IZH).
Ce texte répond parfaitement ici à sa vocation de droit commun des sociétés en permettant, par le libellé de son 5e, à un associé de demander au tribunal compétent (ici, le tribunal de grande instance) de prononcer la dissolution de la société en participation «pour justes motifs».
La vocation de ce texte à régir la situation en cause dans l’arrêt examiné se trouve justifiée, ici encore, par le jeu du renvoi de texte. Puisque, comme exposé ci-dessus, les statuts de la société en participation ne comportaient aucune stipulation particulière sur le point de droit en cause, il convenait de revenir vers le droit des sociétés civiles et, en l’occurrence, l’article 1846-1 (N° Lexbase : L2041AB9) qui renvoie, à son tour, vers l’article 1844-7 pour ce qui concerne les cas de dissolution de la société.
En conséquence, les raisons qui conduisaient l’associé à souhaiter la dissolution de la société pourront être invoquées au soutien de la demande qu’il présentera au tribunal, au titre des justes motifs, requis par ce texte pour que la dissolution judiciaire puisse être prononcée. La remarque doit être ici faite qu’il a déjà été admis, en jurisprudence, qu’une société en participation puisse être dissoute pour justes motifs, à la demande d’un associé, par suite de l’inexécution par les autres associés de leurs obligations [5]. Toutefois, le courant jurisprudentiel dominant semble bien marqué par une volonté de limiter le prononcé de la dissolution à la demande d’un associé, par l’intervention judiciaire, à des hypothèses dans lesquelles la paralysie du fonctionnement de la société est avérée [6]. Il est donc à craindre que ce qui pourrait apparaître comme justifiant, aux yeux d’un associé, la dissolution de la société sur le fondement de l’article 1872-2 du Code civil (ou d’une stipulation statutaire lui ouvrant un droit équivalent), ne soit pas retenu comme tel par le juge saisi, en application de l’article 1844-7.
En définitive, cette observation finale conduit à renforcer la pertinence d’une prise en compte, le plus en amont possible dans le processus de constitution d’une société en participation réunissant des professionnels libéraux, de l’opportunité de prévoir, par une clause statutaire, la faculté pour chacun des associés de provoquer la dissolution de la société par la notification de cette décision à ses coassociés.
[1] Pour un aspect lié à la détermination du régime de la responsabilité des associés et de la société, voir Cass. com., 3 avril 2019, n° 17-14.584, F-D (N° Lexbase : A3172Y8Y), Bull. Joly Sociétés, septembre 2019, p. 49, nos obs..
[2] CA Montpellier, 12 juin 2018, n° 16/02454 (N° Lexbase : A8451XQ3).
[3] V. not. Cass. com., 18 juin 1991, inédit (N° Lexbase : A0317AZR), Defrénois, 1991, p. 1340, note P. Le Cannu.
[4] V. Cass. com., 15 février 1994, n° 92-13.325, publié (N° Lexbase : A6883ABK), Rev. Sociétés, 1995, p. 521, note R. Libchaber ; Dr. sociétés, 1994, n° 185, note Th. Bonneau.
[5] V. not. CA Paris, 30 octobre 1992, Bull. Joly Sociétés, 1993, p. 115, note J.-J. Daigre.
[6] V. sur ce point, M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboisy, Droit des sociétés, LexisNexis, 32ème éd., n° 713 et s..
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