La lettre juridique n°779 du 11 avril 2019 : Justice

[Textes] Loi «Justice» : les principales dispositions en procédure civile

Réf. : Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC)

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par Charles Croze, Avocat, SCP Deygas Perrachon & Associés

le 11 Avril 2019


Mots-clefs : Commentaire de texte • Loi "Justice" • Procédure civile • Règlements alternatifs des différends • Assistance et représentation • Voies d’exécution • Divorce


 

 

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dite «Loi Belloubet» publiée au Journal officiel du 24 mars 2019, va modifier les règles applicables en matière de procédure civile, en matière de procédure pénale, en matière de procédure administrative et, également, en matière d’organisation judiciaire. L’objectif de cette contribution est de donner un aperçu des principales dispositions en matière judiciaire et tout particulièrement en procédure civile.

 

1°/ Tout d’abord, la loi apporte différentes modifications et innovations en matière de règlements alternatifs des différends. 

Elle prévoit, notamment, qu’un médiateur peut désormais être désigné par le juge pour procéder aux tentatives préalables de conciliation prescrites par la loi en matière de divorce et séparation de corps et qu’en tout état de cause de la procédure, même en référé, le juge peut enjoindre de rencontrer un médiateur, même sans l’accord des parties (article 3 modifiant les articles 22-1 à 22-3 de la  loi n° 95-125, 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative N° Lexbase : L1139ATD).

Par ailleurs, le même article 3 modifie l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 (N° Lexbase : L1605LB3) qui prévoyait l’irrecevabilité de la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe susceptible d’être relevée d’office par le juge si aucune tentative de conciliation préalable via un conciliateur de justice n’a été mise en œuvre, sauf des cas limitativement énumérés qui sont la demande d’homologation par les parties d’un accord, la justification que d’autres diligences ont été entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, l’invocation d’un motif légitime. Désormais, le texte prévoit l’irrecevabilité susceptible d’être relevée d’office par le juge de la saisine du tribunal de grande instance si la demande tend au paiement d’une somme inférieure à un montant fixé par décret en Conseil d’Etat ou est relative à un conflit de voisinage, en l’absence de tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, ou de tentative de médiation ou de tentative de procédure participative, sauf les hypothèses de demande d’homologation par les parties d’un accord, les cas où un recours préalable est imposé, la justification d’un motif légitime ou si le juge ou l’autorité administrative doit tenter une conciliation préalable. Cette disposition entrera en vigueur le 1er janvier 2020 étant précisé que le Conseil constitutionnel a précisé qu’il incombera au pouvoir réglementaire de définir ce qu’il convient d’entendre par motif légitime (Cons. const., décisions du 21 mars 2019, n° 2019-778 DC N° Lexbase : A5079Y4U).

Enfin, l’article 4 astreint les personnes proposant des services en ligne de conciliation ou de médiation, mais encore d’arbitrage au respect de la réglementation de protection des données à caractère personnel et de confidentialité, mais aussi à une obligation d’information détaillée sur les modalités selon lesquelles la résolution amiable est réalisée. Il en est de même des personnes offrant un service en ligne d’aide à la saisine des juridictions. L’ensemble de ces acteurs du mode alternatif de règlement des différends en ligne et de l’assistance à la saisine des juridictions doit s’abstenir de toute activité d’assistance ou de représentation au sens de l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ). Il leur est aussi interdit de donner des consultations juridiques ou de rédiger des actes sous seing privé sauf à respecter les obligations résultant de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971. Les mêmes personnes se doivent de respecter une «déontologie» fondée sur l’impartialité, l’indépendance, la compétence et la diligence. Ces dispositions sont d’application immédiate.

 

2°/ La loi s’attache ensuite aux modalités d’assistance et de représentation devant les juridictions. 

La loi créant les tribunaux judiciaires qui remplaceront les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance (art. 95, cf. infra), le principe deviendra la représentation obligatoire en matière civile, même au titre des matières qui relevaient du tribunal d’instance. Toutefois, désormais, l’article 2 de la loi n° 2007-1727 du 20 décembre 2007 (N° Lexbase : L7717HYH) prévoit que, par exception, dans certaines matière, en raison de leur nature ou compte tenu de la valeur du litige, les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire assister ou représenter devant le tribunal judiciaire, outre par un avocat, par leur conjoint, leur concubin ou la personne avec laquelle un pacs a été conclu, les parents ou alliés en ligne directe, les parents ou alliés en ligne collatérale jusqu’au troisième degré inclus, les personnes attachées à leur service personnel ou à leur entreprise. La loi renvoi à un décret en Conseil d’Etat pour préciser les critères de nature à dispenser d’une représentation obligatoire (art. 5). 

En outre, un nouvel article L. 1453-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5967IRG) est créé reprenant les modalités d’assistance et de représentation devant le conseil des prud’hommes : comparution en personne, assistance ou représentation par avocat ou via des salariés ou employeurs appartenant à la même branche d’activité, les défenseurs syndicaux, le conjoint, le partenaire lié par un pacs, le concubin. Pour l’employeur, celui-ci peut aussi se faire assister ou représenter par un membre de l’entreprise ou de l’établissement. Le mandataire s’il n’est avocat doit justifier d’un pouvoir spécial. Devant le bureau de conciliation et d’orientation, le pouvoir doit habiliter à concilier et à prendre part aux mesures d’orientation (art. 5).

Enfin, devant le juge de l’exécution, le nouvel article L. 121-4 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L5790H9C) autorise l’absence d’avocat lorsque la demande est relative à l’expulsion, lorsqu’elle a pour origine une créance ou tend au paiement d’une somme qui n’excède pas un montant déterminé par décret en Conseil d’Etat (art. 5).

 

3°/ Sur un tout autre plan, l’article 6 de la loi donne compétence aux notaires pour établir les actes de notoriété. L’article 8 supprime le délai de deux ans avant lequel un changement de régime matrimonial peut intervenir (C. civ., art. 1397 N° Lexbase : L1045KZQ) et remplace l’homologation du tribunal par la possibilité pour le notaire de saisir le juge des tutelles. Ces dispositions sont d’application immédiate.

 

4°/ En matière de voies d’exécution, l’article 14 de la loi modifie très légèrement la procédure de recouvrement des petites créances par huissier de justice en précisant que l’huissier peut envoyer une lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou un message transmis par voie électronique. 

L’article L. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : Z10696RG) interdit au créancier de procéder à la saisie de plusieurs immeubles de son débiteur sauf si la saisie d’un seul n’est pas suffisante pour désintéresser les créanciers inscrits. Il est enfin créé un alinéa au sein de l’article L. 322-1 (N° Lexbase : Z10691RG) prévoyant qu’en cas d’accord entre le débiteur, le créancier poursuivant, les créanciers inscrits sur l’immeuble saisi à la date de la publication du commandement de payer valant saisie, les créanciers inscrits sur l’immeuble avant la publication du titre de vente et qui sont intervenus dans la procédure ainsi que le créancier mentionné au 1° bis de l’article 2374 du Code civil (N° Lexbase : L0240LN9), les biens immobiliers peuvent également être vendus de gré à gré après l’orientation en vente forcée et jusqu’à l’ouverture des enchères.

En matière de saisie-attribution, l’article 15 modifie l’article L. 211-1-1 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : Z67777RE) et précise que lorsque le tiers saisi est un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôt, les actes lui sont transmis par voie électronique. Il en est de même en matière de saisie conservatoire (art. L. 523-1-1 N° Lexbase : Z67783RE).

L’ensemble de ces dispositions sont d’application immédiate.

 

5°/ La procédure de divorce est modifiée via les articles 233 (N° Lexbase : L2791DZE), s’agissant du divorce accepté, 238 (N° Lexbase : L2794DZI), s’agissant du divorce pour altération définitive du lien conjugal, mais aussi au titre de nombreuses autres dispositions du Code civil. A cet égard, on observera que le délai de séparation des époux dans le cadre d’une procédure de divorce pour altération définitive du lien conjugal est ramené à un an. On observera aussi (art. 22) que l’audience de conciliation est supprimée dans les hypothèses de divorces sans consentement mutuel. Ces dispositions entreront en vigueur au plus tard le 1erseptembre 2020.

Par ailleurs, différentes dispositions dont les articles 249 (N° Lexbase : L1761H4Y) et 249-3 (N° Lexbase : Z10504RG) du Code civil sont modifiées et traitent des problématiques de divorce d’un majeur en tutelle. C’est ainsi que dans l’instance en divorce, le majeur en tutelle est représenté par son tuteur et le majeur en curatelle exerce l’action lui-même avec l’assistance de son curateur. Néanmoins, le protégé peut accepter seul le principe de la rupture du mariage sans considération des faits à l’origine de celle-ci.

Enfin, dans l’hypothèse où une demande de mesure de protection juridique est déposée ou en cours, la demande en divorce ne peut être examinée qu’avec l’intervention du jugement se prononçant sur la mise en place de la mesure (C. civ., art. 249-3). Néanmoins, le juge peut prendre les mesures conservatoires sans attendre.

 

6°/ La loi réforme aussi la procédure devant le tribunal de grande instance par l’article 26 qui crée un article L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : Z64051RE) au terme duquel la procédure peut, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, se dérouler sans audience. Dans ce cas, la procédure est exclusivement écrite. Néanmoins, le même article ajoute que le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande.

Par ailleurs, un nouvel article L. 212-5-2 du Code de l’organisation judiciaire est créé prévoyant que les oppositions aux ordonnances portant injonction de payer statuant sur une demande inférieure à un montant fixé par décret en Conseil d’Etat et les demandes formées devant le tribunal de grande instance en paiement d’une somme inférieure à un montant fixé par décret en Conseil d’Etat peuvent, à la demande des parties lorsqu’elles en sont d’accord, être traitées dans le cadre d’une procédure dématérialisée, sans audience. Cette disposition entrera en vigueur au plus tard le 1erjanvier 2022.

En matière d’injonction de payer (art. 27), un tribunal de grande instance désigné par décret (COJ, art. L. 211-17 N° Lexbase : Z11029RG) sera compétent pour les demandes d’injonction de payer relevant de la compétence tribunal de grande instance et celles formées en application du règlement 1896-2006 du 12 décembre 2006 (N° Lexbase : L1426IRA). Le tribunal sera saisi par voie dématérialisée. Les oppositions seront formées devant le tribunal de grande instance spécialement désigné qui via le greffe transmet aux tribunaux de grande instance territorialement compétents. Cette disposition entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier 2021.

Enfin, en matière de procédures en la forme des référés, le gouvernement est habilité à prendre par voie d’ordonnance les mesures pour modifier les dispositions afférentes à ces procédures devant les juridictions judiciaires en vue d’unifier le traitement des procédures au fond à bref délai (art. 28).

 

7°/ La loi (art. 33 et s.) modifie le Code de l’organisation judiciaire en vue de permettre l’accès aux décisions de justice, sous format électronique, de manière gratuite, tout en prévoyant que l’identité des personnes physiques est occultée et qu’il peut en être de même de l’identité des parties, des tiers, des magistrats et des membres du greffe si la divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage (COJ, art. L. 111-3 N° Lexbase : L2356LKH et L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX).

 

8°/ L’article 95 de la loi prévoit le remplacement des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance par les tribunaux judiciaires (COJ, art. L. 121-1 N° Lexbase : L7813HNP). Le contentieux qui relève actuellement du tribunal d’instance relèvera demain du tribunal judiciaire. Lorsque plusieurs tribunaux judiciaires existeront dans un même département, certains pourront être spécialement désignés par décret pour connaître seuls, dans l’ensemble de ce département, de certaines des matières civiles dont la liste sera déterminée par décret en Conseil d’Etat. Cette faculté est même ouverte à des tribunaux judiciaires dans des départements différents mais proches géographiquement (COJ, art. L. 211-9-9).

Il est encore prévu que le tribunal judiciaire peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres de proximité dénommées «tribunaux de proximité» dont le siège et le ressort ainsi que les compétences matérielles sont fixées par décret (COJ, L. 212-8 N° Lexbase : L2840IPU). La mise en place des tribunaux judiciaires est prévue pour le 1er janvier 2020.

 

9°/ Il est enfin créé un juge des contentieux de la protection. Il s’agira d’un juge du tribunal judiciaire (COJ, L. 213-4-1 N° Lexbase : Z74620RE) qui exercera les fonctions de juge des tutelles des majeurs et qui connaîtra, notamment, de la sauvegarde de justice, de la curatelle, de la tutelle des majeurs, des mesures d’accompagnement judiciaire, des actions relatives à l’exercice du mandat de protection future, des demandes formées par un époux, lorsque son conjoint est hors d’état de manifester sa volonté, pour passer seul un acte, de la constatation de la présomption d’absence, des demandes de désignation d’une personne habilitée et des actions relatives à l’habilitation familiale prévue par le Code civil (COJ, art. L. 213-4-2 N° Lexbase : Z74631RE).

Le même juge aura à connaître des actions tendant à l’expulsion des personnes qui occupent aux fins d’habitation des immeubles bâtis sans droit ni titre (COJ, art. L. 213-4-3 N° Lexbase : Z74636RE), mais encore des actions dont un contrat de louage d'immeubles à usage d'habitation ou un contrat portant sur l'occupation d'un logement est l'objet, la cause ou l'occasion ainsi que des actions relatives à l'application de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement  (N° Lexbase : L4772AGT) (COJ, art. L. 213-4-4 N° Lexbase : Z74638RE).

Enfin, le même juge aura compétence sur les actions relatives à l’inscription et à la radiation sur le fichier national recensant les informations sur les incidents de paiement (COJ, art. L. 213-4-6 N° Lexbase : Z74643RE), des mesures de traitement des situations de surendettement des particuliers et de la procédure de rétablissement personnel (COJ, art. L. 213-4-7 N° Lexbase : Z74649RE).

Il aura la faculté de renvoyer à la formation collégiale du tribunal judiciaire qui inclura le jugement des contentieux de la protection (COJ, art. L. 213-4-8 N° Lexbase : Z74653RE).

La mise en place du juge des contentieux de la protection interviendra le 1er janvier 2020.

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