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par Marie Le Guerroué, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition professions
le 10 Avril 2019
Mots-clefs : Interview • Nicole Belloubet • Loi "Justice" • Conseil constitutionnel
La "loi de programmation et de réforme pour la Justice" a été publiée au Journal officiel le 24 mars 2019. La Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, qui a porté le texte pendant plusieurs mois, a accepté pour Lexbase Professions de revenir sur son adoption et sur la décision de censure partielle du Conseil constitutionnel.
Lexbase Professions : Après avoir été saisi par quatre recours parlementaires, le Conseil constitutionnel s’est prononcé le 21 mars dernier sur la loi de programmation et de réforme pour la Justice. S’il a validé la grande majorité des dispositions de la loi, il a aussi déclaré certaines d’entre-elles inconstitutionnelles. Malgré cette censure partielle, pensez-vous que la loi, telle que publiée, remplira les objectifs que vous vous étiez fixés ?
Nicole Belloubet : Je prends acte de la décision du Conseil constitutionnel. Mais je retiens surtout que, par la décision la plus longue jamais rendue, il a validé l’essentiel de cette réforme.
En matière civile, la loi permet le développement des modes alternatifs de règlement des litiges en étendant l’obligation du recours à un mode amiable des différends et en encadrant mieux les plateformes électroniques de règlement amiable des litiges. Elle simplifie la procédure de divorce contentieux pour les justiciables. Elle renforce également l’efficacité de la protection des majeurs protégés et renforce leurs droits.
Elle simplifie la procédure pénale pour faciliter l’action des services enquêteurs et de la justice avec l’extension des enquêtes sous pseudonyme pour lutter contre la cybercriminalité, l’extension de l’amende forfaitaire pour l’usage de stupéfiants, la création d’une procédure de comparution différée intermédiaire entre la comparution immédiate et l’information judiciaire. Elle crée également un parquet national antiterroriste et permet d’expérimenter les cours criminelles pour permettre de juger plus rapidement les crimes punis d’une peine de 20 ans au plus.
En matière de politique des peines, la loi crée une nouvelle politique des peines avec l’interdiction des peines de moins d’un mois, la création d’une peine autonome de de détention à domicile et l’exécution systématique des peines de prison supérieurs à un an. C’est un changement total de philosophie.
La loi met en place une nouvelle organisation judiciaire avec la création des tribunaux judiciaires fusionnant tribunaux de grande instance et tribunaux d’instance et la possibilité de mettre en place des pôles de spécialisation entre les tribunaux judiciaires d’un même département.
La loi va également nous permettre d’ouvrir le chantier majeur de la réforme de l’ordonnance de 1945 sur la justice pénale des mineurs.
Avec l’augmentation des moyens de la justice et la transformation numérique, la loi de programmation et de réforme pour la Justice permettra la réforme d’ensemble de l’institution judiciaire que je souhaite.
Lexbase Professions : Les mois qui ont précédé l’adoption de la loi ont été marqués par une mobilisation importante des professionnels du droit. Ils avaient, notamment, alerté sur l’inconstitutionnalité de certaines dispositions comme celles de l’article 7 confiant au directeur de la CAF la révision des prestations compensatoires. Comment expliquez-vous que le dialogue entre le monde judiciaire et la Chancellerie n’ait pas pu aboutir ? N’aurait-il pas permis d’éviter la censure de certaines dispositions ?
Nicole Belloubet : Je souhaitais expérimenter la possibilité pour les caisses d’allocations familiales de réviser rapidement le montant des pensions alimentaires. Cette expérimentation aurait permis de répondre à la situation difficile de nombreuses femmes divorcées. La question des pensions alimentaires est d’ailleurs l’un des principaux points concernant le fonctionnement du service public de la justice qui est remonté du Grand Débat. Ceci est possible dans d’autres pays. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’une telle expérimentation était contraire à la Constitution. J’en prends acte. Maintenant, il vaut avancer.
Lexbase Professions : Le Conseil constitutionnel a particulièrement censuré certaines dispositions pénales. Il a, notamment, considéré que la possibilité de recourir à des techniques spéciales d’enquête pour tout crime -et non pour les seules infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées- n’apparaissait pas justifié et a souligné la faiblesse des garanties apportées par le contrôle du JLD. Faut-il déduire de cette censure la nécessité de créer un véritable juge de l’enquête ?
Nicole Belloubet : La simplification du recours aux techniques spéciales d’enquête nous avait été demandée par de nombreux praticiens. Nous souhaitions notamment pouvoir les utiliser en cas de crimes. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’il fallait maintenir un régime plus encadré et donc, plus complexe. Pour autant, je ne crois pas que le Conseil ait souhaité remettre en cause l’institution du juge de la liberté et de la détention en tant que telle.
Lexbase Professions : Vous avez indiqué être surprise que le Conseil constitutionnel n’ait pas autorisé l’usage de la vidéo-audience pour les audiences de prolongation de détention provisoire alors qu’il avait validé son usage pour les audiences statuant sur les recours des étrangers détenus en centre de rétention administrative, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Nicole Belloubet : Comme vous l’indiquez, le Conseil constitutionnel avait validé, il y a seulement quelques mois, le recours à la vidéo-audience pour les audiences statuant sur les recours des étrangers détenus en centre de rétention administrative. Il semblait cohérent de s’appuyer sur cette décision pour estimer que l’usage de la vidéo-audience était possible pour statuer sur les recours des prévenus contestant la prolongation de leur détention provisoire.
Lexbase Professions : Pensez-vous qu’un dialogue constructif pourra se renouer avec les professionnels du droit ? Et, notamment, concernant l’élaboration des décrets d’application de la loi ou la réforme de la Justice des mineurs ?
Nicole Belloubet : J’ai toujours été dans un dialogue régulier et respectueux avec les professionnels du droit. J’ai reçu les représentants des avocats il y a quelques jours pour écouter leurs propositions sur la réforme de l’ordonnance de 1945. Nous consulterons les professionnels du droit sur les textes d’application. Nous l’avons déjà fait pour le décret sur la communication électronique ou le décret sur le juge de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme.
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