Réf. : Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC)
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par Laure Heinich et Clotilde Lepetit, Avocates au Barreau de Paris, 7 Bac avocats, Anciennes Secrétaires de la Conférence
le 10 Avril 2019
Mots-clefs : Commentaire • Texte • Loi "Justice" • Dispositions pénales
La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a été́ publiée au Journal officiel du 24 mars et entre en application.
Treize de ses articles ont été censurés par le Conseil constitutionnel estimant que l’équilibre entre l’exigence de sécurité et le droit à la vie privée et la dignité n’était pas préservé.
Après cette censure, il n’est pas interdit de s’interroger encore.
Les pouvoirs d’enquête et du Parquet se trouvent étendus et renforcés sans que l’accroissement des droits des parties par l’intermédiaire de leur avocat n’ait été pensé.
L’objectif final ne dupe personne : la suppression du juge d’instruction et du contradictoire afférent.
Sans être exhaustif, nous présentons les évolutions essentielles de la loi qui préfigurent une Justice réduisant l’accès à un juge et, par corolaire, la participation du justiciable à son propre procès.
La phase d’enquête
L’article 15-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7395LPL) énonce explicitement que les OPJ et APJ sont tenus de recevoir les plaintes dans les commissariats, y compris dans les lieux territorialement incompétents. Cet article est la manifestation de la réalité des victimes qui se trouvent souvent éconduites lorsqu’elles souhaitent déposer une plainte, alors même que la loi prescrivait déjà la possibilité de déposer une plainte en tout lieu.
La nouveauté réside un peu plus tard dans le même article 15-3-1 (N° Lexbase : L7192LP3) qui permet aux plaignants de déposer plainte par voie électronique. Il est légitime de craindre que les plaignants soient, finalement, incités par les services de police, surchargés, à déposer leur plainte de cette manière.
Lorsqu’ils sont récipiendaires de la plainte, les policiers pourront ne s’identifier que par leur numéro de matricule et non plus par leur nom.
→ Les perquisitions
Sur autorisation motivée du JLD, la loi élargit la possibilité de procéder à des perquisitions et visites domiciliaires sans assentiment dans le cadre de l’enquête préliminaire à tous délits punis de trois ans au lieu de cinq ans d’emprisonnement.
Par l’instauration d’un nouvel article 802-2 (N° Lexbase : L7201LPE), la loi introduit la contestation pour toute personne qui n’a pas été poursuivie devant une juridiction d’instruction ou de jugement de saisir le JLD d’une demande tendant à son annulation. La saisine devra s’effectuer au plus tôt six mois après l’accomplissement de cet acte et dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle le justiciable concerné aura eu connaissance de cette mesure.
S’agissant des perquisitions concernant un avocat, les règles protectrices de l’article 56-1 (N° Lexbase : L2843HI7) sont étendues à toutes les perquisitions prévues par des lois spéciales et à toutes les visites domiciliaires effectuées par une quelconque autorité administrative.
→ La géolocalisation
Dans le même sens, la loi permet le recours à la géolocalisation pour toutes les infractions punies de moins de trois ans. En cas « d’urgence » celle-ci peut être prescrite ou mise en place par un OPJ sur simple information du procureur de la république qui peut en prescrire la mainlevée.
→ Anonymisation des enquêteurs
La possibilité d’un recours à l’anonymisation pour les agents de police national et de la gendarmerie est élargie aux actes pour lesquels ils «interviennent» dès lors que leur vie pourrait être mise en danger par leur mission. Les parties pourront saisir les juges d’instruction ou de jugement compétents aux fins de sollicitation de l’identification des fonctionnaires si celle-ci est nécessaire pour l’exercice de la défense.
La loi prévoit la possibilité de prolonger la garde à vue en raison du seul déferrement sauf s’il existe un «petit dépôt» au sein du palais de justice compétent.
La loi supprime la présentation obligatoire du gardé à vue au procureur de la République en cas de prolongation de la mesure au-delà de 24 heures. Alors que les procureurs usaient déjà souvent de la faculté de ne pas se faire présenter les gardés à vue en raison des contraintes de service, l’exception va donc devenir la règle. Le justiciable privé de sa liberté ne pourra même plus s’entretenir, pendant le temps de sa privation, avec celui qui en est le responsable mais qui n’en n’est plus le comptable.
Par ailleurs, la loi restreint l’information de l’avocat en cas de transport du gardé à vue dès lors que la personne ne fera pas l’objet d’une audition. Le justiciable, alors dans les geôles de la Républiques, peut donc être transporté en tout lieu sans que personne n’ait à en être informé…
A titre expérimental, il est prévu de pouvoir procéder à l’enregistrement sonore ou audiovisuel des formalités prévoyant la notification des droits. Il faudra réclamer lesdits enregistrements pour vérifier la notification des droits…ils ne seront plus mentionnés sur PV.
Terrorisme et criminalité organisée
La JIRS de Paris dispose d’une compétence nationale concurrente pour la criminalité et la délinquance organisées.
La loi modifie le «délit d’entreprise individuelle terroriste» qui inclut désormais également la tentative comme le fait lui-même (C. pén., art. 421-2-6 N° Lexbase : Z12763RG).
La loi crée un nouvel article 706-80-1 (N° Lexbase : L7231LPI) relatif aux livraisons surveillées. Dans le cadre d’une opération de surveillance, le Parquet ou le juge d’instruction peut demander à tout fonctionnaire ou agent public de ne pas procéder à l’interpellation de ces personnes soupçonnées afin de ne pas compromettre la poursuite des investigations.
La loi régit également l’opération de surveillance ou transport de biens ou produits tirés de la commission d’infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73 (N° Lexbase : L2154LHA), 706-73-1 (N° Lexbase : L2153LH9) ou 706-74 (N° Lexbase : L2792KGI) effectuée par les services d’enquête (création de l’article 706-80-2 N° Lexbase : L7232LPK). Lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction l’exigent, le procureur ou le juge d’instruction peuvent autoriser les officiers de police judiciaire et, sous leur autorité́, les agents de police judiciaire, à livrer ou délivrer à la place des prestataires de services postaux et des opérateurs de fret ces objets ou produits, sans être pénalement responsables.
Bien qu’il soit précisé que ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction, la question pourrait être soulevée.
Recours aux techniques spéciales d’enquête
Concernant les techniques spéciales d’enquête, lesquelles restent cantonnées à la criminalité organisée, elles peuvent être ordonnées dans les enquêtes préliminaires par le JLD saisi par le Parquet. En cas d’urgence, l’autorisation pourra être délivrée par le Procureur de la république et validée de façon motivée par le JLD dans les 24 heures qui suivront.
L’instruction
La loi introduit de nouvelles prérogatives au Parquet à l’ouverture d’une information, qu’elle soit à son initiative ou à celle de la partie civile.
Lorsqu’il requiert l’ouverture d’une information, le procureur de la République peut autoriser la poursuite des investigations par ses services de police durant une durée de 48 heures pour tout délit puni d’une peine supérieure ou égale à trois ans si la recherche de la manifestation de la vérité́ l’exige (nouvel article 80-5 N° Lexbase : L7206LPL). Cette autorisation fait l’objet d’une décision écrite, spéciale et motivée, qui mentionne les actes dont la poursuite a été́ autorisée, le juge d’instruction pouvant à tout moment mettre un terme à ces opérations.
La loi modifie également l’article 81 (N° Lexbase : L7468LPB) qui introduit la possibilité pour les avocats de déposer des demandes d’actes par lettre recommandée avec accusé de réception, même lorsqu'ils exercent dans le ressort de la juridiction.
La loi introduit par ailleurs la possibilité d’ouverture de scellés par le juge d’instruction en l’absence du mis en examen si son avocat est présent ou a été́ convoqué. Cette modification réduit encore la participation du justiciable à son propre procès.
→ La plainte avec constitution de partie civile
La loi prévoit la possibilité de déposer une plainte avec constitution de partie civile après désistement de l’action civile et ce, par dérogation à l’article 5 (N° Lexbase : L9883IQ4).
Après dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, le juge d'instruction ordonne communication de la plainte au procureur de la République pour que ce magistrat prenne ses réquisitions. Le procureur de la République peut demander au juge d’instruction un délai supplémentaire de trois mois pour permettre la poursuite des investigations avant de faire connaitre ses réquisitions. La décision du juge d’instruction constitue une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours (C. proc. pén., art. 86 N° Lexbase : L7457LPU).
En tout état de cause, la loi introduit la possibilité pour le juge d’instruction de rendre une ordonnance de refus d'informer sur demande du procureur de la République quand la citation directe est possible.
Dans la pratique, le Parquetier d’audience prend rarement des réquisitions quand l’affaire arrive sur citation directe, estimant qu’il s’agit d’une «affaire entre parties» au sujet desquelles il n’aurait pas à demander l’application de la loi. On peut craindre que le justiciable se retrouve sans soutien de l’action publique et dans l’impossibilité de saisir un juge d’instruction.
Il apparaît que cette loi bien qu’elle affiche le contraire, rend plus difficile le parcours de la partie civile.
→ La chambre de l’instruction
La loi introduit un nouvel article 170-1 (N° Lexbase : L7205LPK) qui prévoit la possibilité pour le président de la chambre de l’instruction de statuer à juge unique sur certaines demandes lorsque la solution «parait s’imposer de façon manifeste».
Si la décision qui s’impose consiste dans l’annulation des actes ou pièces de la procédure, elle peut, en cas d’accord du ministère public être prise par Ordonnance sans l’audience de l’article 199 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4955K8Z).
L’auteur de la requête en annulation peut cependant demander que celle-ci soit examinée par la chambre de l’instruction.
La loi prévoit également un nouvel article 145-4-2 (N° Lexbase : L7222LP8) prévoyant le recours devant le président de la chambre de l’instruction contre l’interdiction de correspondance d’un détenu et pour toutes les décisions de l’autorité́ judiciaire concernant les modalités d’exécution d’une détention provisoire, notamment les sorties sous escorte.
→ La clôture information
La loi modifie les dispositions de l’article 175 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5026K8N). S’ils entendent pouvoir formuler des observations ou des demandes après la clôture de l’instruction, les avocats doivent le notifier par écrit. Ils peuvent le faire dans les 15 jours suivant chaque interrogatoire, en tout cas jusqu’à 15 jours après la notification de la fin de l’information judiciaire. Le cas échéant, le délai pour formuler les observations demeure inchangé.
La loi uniformise les délais d’appel des parties à l’instruction, le Parquet disposant également d’un délai de 10 jours.
→ L’action civile
La loi introduit un nouvel article 391 (N° Lexbase : L7390LPE) lorsque l’avis d’audience a été adressé à la victime mais qu’il n’est pas établi qu’elle l’ait reçu. Le tribunal qui peut statuer sur l’action publique en l’absence de la victime, peut renvoyer le jugement de l’affaire sur l’action civile à une audience ultérieure, la victime devant en être avisée.
La Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité
La loi aggrave le quantum de la peine pouvant être prononcée, laquelle est portée de 1 an à 3 ans d’emprisonnement. La peine proposée peut comporter une révocation de sursis, le relèvement d’une interdiction, d’une déchéance ou d’une incapacité, ou la non-inscription au bulletin n° 2 ou n° 3 du casier judiciaire.
Le pouvoir pour le Président de ne pas homologuer la proposition acceptée a été élargi (C. proc. pén., art. 495-11-1 N° Lexbase : Z69423RE) notamment s’il estime que la nature des faits, la personnalité́ de l’intéressé́, la situation de la victime ou les intérêts de la société́ justifient une audience correctionnelle ordinaire ou lorsque les déclarations de la victime le nécessitent.
Création d’une nouvelle procédure : la comparution différée article 397-1-1 (N° Lexbase : Z70377RE)
Alors que les avocats dénoncent la procédure de comparution immédiate qui ne permet pas l’exercice effectif des droits de la défense, la loi crée une nouvelle procédure qui s’y ajoute au lieu de s’y substituer.
Si l’affaire n’est pas en état d’être jugée selon la procédure de comparution immédiate en raison de l’absence de résultats d’examens techniques ou médicaux déjà̀ sollicités, le procureur de la République peut poursuivre devant le tribunal correctionnel selon la procédure de comparution à délai différé.
Le prévenu est alors présenté devant le JLD, qui statue sur les réquisitions du ministère public aux fins de contrôle judiciaire, d’assignation à résidence avec surveillance électronique ou de détention provisoire, après avoir recueilli les observations éventuelles du prévenu ou de son avocat. La détention provisoire ne peut être ordonnée que si la peine d’emprisonnement encourue est égale ou supérieure à trois ans, c’est à dire la quasi-totalité des délits. L’ordonnance rendue est susceptible d’appel dans un délai de dix jours devant la chambre de l’instruction.
Le prévenu doit comparaitre devant le tribunal au plus tard dans un délai de deux mois, à défaut de quoi il est mis fin d’office au contrôle judiciaire, à l’assignation à résidence avec surveillance électronique ou à la détention provisoire.
Jusqu’à l’audience de jugement, le prévenu ou son avocat peuvent demander au président du tribunal la réalisation de tout acte qu’ils estiment nécessaire à la manifestation de la vérité. Si le prévenu est détenu, la demande peut être faite au moyen d’une déclaration auprès du chef de l’établissement pénitentiaire.
Lorsqu’il est fait application des dispositions du présent article, la victime en est avisée par tout moyen et peut alors se constituer partie civile.
Le jugement
La loi étend le recours à la procédure du juge unique en matière correctionnelle aux délits de moins de cinq ans. L’appel de ces jugements se fera également à juge unique.
Le législateur semblerait-il considérer que les modalités de la composition d’un tribunal, sa collégialité, influerait peu sur la qualité du délibéré ?
Dans le même ordre d’idée, se trouve supprimée la validation par le juge d’une composition pénale pour les délits de moins de trois ans.
La cour d’assises
La loi inscrit dans ses dispositions l’exigence de motivation des peines prononcées par la cour d’assises, consacrant ainsi la décision déjà entreprise par le conseil constitutionnel saisi sur question prioritaire de constitutionnalité.
Désormais, la liste des 5 témoins transmise par l’accusé au ministère public doit l’être, non plus 5 jours avant l’ouverture des débats mais 1 mois et 10 jours. La liste des témoins cités en qualité de témoins, doit être signifiée entre parties 1 mois avant l’ouverture des débats et non plus 24 heures.
Alors que le président était jusqu’à présent le seul membre de la cour à avoir connaissance du dossier d’instruction, la copie sera désormais également mise à la disposition des assesseurs, rompant cette égalité qui pouvait exister entre les assesseurs et les jurés et creusant une brèche dans le principe de l’oralité.
En cas de cour d’assises spéciales, les magistrats se retireront pour délibérer en possession de l’entier dossier de la procédure.
Autre brèche, les témoins qui devaient d’abord déposer spontanément avant d’être interrogés, pourront désormais être interrompus par des questions que souhaiterait lui poser le Président.
Quant à l’appel, il pourra désormais être limité à la peine, les témoins entendus étant alors uniquement ceux nécessaires à l’appréciation du quantum.
Enfin la loi met en place, à titre expérimental pendant une durée de trois ans, une cour criminelle composée d’un président et quatre assesseurs pour juger les majeurs accusés d’un crime puni de 15 ou 20 ans de réclusion criminelle lorsqu’il n’est pas commis en état de récidive légale. La cour criminelle délibèrera en possession de l’entier dossier de la procédure.
Mise en place uniquement pour réduire les coûts liés à la réunion des jurés et prétendument pour pallier le nombre de «correctionnalisation» des affaires de viols, on objectera que cette cour criminelle aura précisément les apparences des tribunaux correctionnels, jugeant les viols à moindre frais que les autres crimes. Comme s’ils ne le valaient pas.
La peine
→ Révocation du sursis
Lorsque la juridiction ordonne la révocation du sursis en totalité ou en partie, elle peut, par décision spéciale et motivée, faire incarcérer le condamné.
→ Création de la peine de probation
La contrainte pénale a été renommée en «peine de probation». Il faut espérer que ce nouveau baptême relève d’une volonté de faire vivre cette peine, ni plaidée par les avocats, ni prononcée par les juridictions.
→ Aménagement de peine
Les peines ne seront plus aménageables jusqu’à deux ans, le seuil ayant été abaissé à un an d’emprisonnement ferme. Les tribunaux prendront-ils sans délai la mesure de cette évolution en revoyant à la baisse leurs décisions pour éviter les mandats de dépôts ou vivrons-nous un nouvel essor de la population carcérale en raison de l’abaissement de ce seuil ?
Par ailleurs, et dans le sens contraire, la loi interdit le prononcé de peines d’emprisonnement de moins d’un mois, ces peines ne conduisant effectivement qu’à la désinsertion sociale. La loi contraint encore le magistrat à aménager ab initio les peines de 1 à 6 mois.
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Cette loi de gestion des coûts qui ne dit pas son nom s’apparente à une loi de défiance à l’encontre de toutes les parties y compris la victime. Elle consacre un recul des droits de la défense qui sont un marqueur démocratique dont il faut s’inquiéter.
D’aucuns souligneront peut-être qu’il n’y a pas de quoi s’alarmer, cette loi n’étant pas plus attentatoire aux droits que les précédentes. Mais c’est précisément l’accumulation des lois en ce sens qui fait qu’une d’entre elle sera définitive.
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