La lettre juridique n°453 du 15 septembre 2011 : Procédure

[Questions à...] Le droit collaboratif et "l'avenir de la justice" - Questions à Chantal Jamet-Elzière, avocat au barreau de Nice, médiateur, Présidente du Centre de médiation "Alternative de médiateurs indépendants"

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[Questions à...] Le droit collaboratif et "l'avenir de la justice" - Questions à Chantal Jamet-Elzière, avocat au barreau de Nice, médiateur, Présidente du Centre de médiation "Alternative de médiateurs indépendants". Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4780816-questionsaledroitcollaboratifetilavenirdelajusticeiquestionsabchantaljametelzierea
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par Anne-Lise Lonné Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 15 Septembre 2011

Mis en pratique depuis plus de vingt ans aux Etats-Unis et au Canada, et connaissant un fort taux de réussite, le droit collaboratif commence à se développer en Europe, notamment en Grande-Bretagne, en Autriche et en France. Ainsi que le présente l'Association française des praticiens du droit collaboratif (AFPDC), le droit collaboratif est "un processus offrant une alternative au contentieux judiciaire. [...] Ce processus particulier et unique constitue un outil supplémentaire mis à la disposition des justiciables par les avocats praticiens du droit collaboratif". Alors que le 1er septembre 2011, entrait en vigueur la loi instituant la convention de procédure participative (loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires N° Lexbase : L9762INU, mais pour laquelle on attend encore la publication du décret d'application), le droit collaboratif n'est pas régi par la loi française, mais par la seule convention dans laquelle les parties s'engagent à ne pas saisir la justice tant que le processus amiable n'est pas usé. C'est, comme la médiation dans sa plus large application, un mode de résolution qui se place avant le procès. Lexbase vous propose, à l'heure de la déjudiciarisation prônée par la commission "Guinchard", de revenir sur cet outil de règlement des conflits qu'est le droit collaboratif. Nous avons, pour cela, rencontré Chantal Jamet-Elzière, avocat au barreau de Nice, médiateur, Présidente du Centre de médiation "Alternative de médiateurs indépendants", qui a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter les principes du droit collaboratif et les principales différences que présente cet outil avec les autres modes de résolution des litiges, notamment la médiation ?

Chantal Jamet-Elzière : Le droit collaboratif et la médiation ont en commun les mêmes principes : confidentialité, consensualisme, volontarisme, respect mutuel, bonne foi, confiance, respect de l'ordre public, une véritable formation à ces processus, et l'absence de pouvoir décisionnel lequel revient aux clients.

Le droit collaboratif est un processus volontaire et confidentiel de règlement des conflits par la négociation (1).

La médiation est "un processus structuré reposant sur la responsabilité et l'autonomie des participants qui, volontairement, avec l'aide d'un tiers neutre, impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel ou consultatif, favorise, par des entretiens confidentiels, l'établissement et/ou le rétablissement des liens, la prévention, le règlement des conflits" (2).

Ces processus répondent tous deux à des règles déontologiques strictes établies respectivement dans des charte et Code de déontologie (3).

A la différence de l'arbitrage, du procès judiciaire ou de la conciliation, où intervient un tiers qui rend une décision, il n'y a pas une obligation d'application du principe du contradictoire.

A la différence de la procédure participative, il y a une obligation de formation, à la fois initiale et continue, de l'avocat et du médiateur.

Le procédé du droit collaboratif est très proche de la négociation, puisqu'il emprunte à la négociation dite "Harvard" (4) alors que la médiation pourra s'achever par une négociation au moment de finaliser un accord ; cependant, la médiation n'est pas, elle-même, de la négociation.

Lexbase : Quels sont les domaines d'application privilégiés du droit collaboratif ?

Chantal Jamet-Elzière : Il n'y a pas de domaine privilégié à la médiation ou au droit collaboratif ; c'est à l'avocat de choisir, au cas par cas, celui de ses dossiers qui se prêtera prioritairement à la médiation ou au droit collaboratif.

Toutes les matières trouvent en ces processus une aide à la résolution amiable des différends, litiges, conflits ou, tout simplement, aux choix de stratégie, de projets en entreprise, une aide aux directions des ressources humaines, etc..

Ce sont tous deux des "processus" ; ils ne sont ni des panacées, ni des remèdes miracles. Certains dossiers ou clients ne pourront y trouver d'aide à la résolution de leur conflit et devront passer par le procès ou l'arbitrage, c'est-à-dire par l'intervention d'un juge.

Le droit collaboratif s'adresse plutôt aux dossiers qui ont un aspect financier important. Avec la méthode "Harvard", il tend à évincer l'aspect affectif du dossier (qui peut mettre certains praticiens mal à l'aise).

La médiation peut être utilisée du simple différend au litige, en passant par le conflit, le choix de stratégie ou d'un projet en entreprise, aux difficultés entre membres du personnel ou entre membres du personnel et la direction, entre l'entreprise et un client, aux conflits collectifs du travail, etc..

La médiation "modèle Harvard" servira dans les domaines économique, financier, de stratégie d'entreprise (elle est fondée sur la négociation raisonnée dite "Harvard", tout comme l'est le droit collaboratif).

La médiation "modèle Fiutak" (5) sera recherchée pour les litiges où il y a un fort potentiel émotionnel (famille, travail, succession, "voisinage" local, national, international...).

En fait, un médiateur se servira des deux modèles en fonction des difficultés rencontrées lors de l'avancement de la médiation entres les médieurs.

Les étapes de ces processus sont à peu près les mêmes. La grande différence est qu'avec la médiation, l'aspect émotionnel du dossier est souvent l'élément nécessaire pour circonscrire le litige (qui, quoi, quand, où, pourquoi, comment ?) et qu'avec le droit collaboratif, l'axe principal est l'aspect matériel (quoi, quand, où, combien, comment ?).

Lexbase : Quels sont les principaux avantages du droit collaboratif par rapport à la médiation ?

Chantal Jamet-Elzière : La médiation et le droit collaboratif sont complémentaires et le second peut rarement se concevoir sans la première au regard des échanges que nous avons eus entre avocats et médiateurs. Il est rare qu'un litige se résolve grâce au seul processus collaboratif, la médiation y joue souvent son rôle. Dans les deux processus, l'accord est trouvé par les clients eux-mêmes.

Le droit collaboratif est un travail d'équipe entre l'avocat et son client ; l'avocat aidera son client à trouver l'accord qui surgira des négociations.

Le médiateur doit rester neutre, impartial vis-à-vis des médieurs. Par le processus, il aide les médieurs à trouver eux-mêmes leur accord. Les qualités d'un médiateur sont outre son indépendance, sa tolérance et bien sûr l'exigence d'un casier judiciaire vierge. Comme en droit collaboratif, sont exigées une solide formation (150 à 250 heures de formation auprès d'organismes reconnus) et une expérience professionnelle de plusieurs années (pour notre centre "Alternative de médiateurs indépendants" (AMI), 8 ans minimum), outre une formation continue de 20 heures par an.

Ces processus valent par les personnes qui les utilisent. Seule une véritable formation faite de droit, de psychologie, d'études et mise en pratique des modèles, de partage d'expériences, le permet.

Le droit collaboratif revêt une qualité essentielle qui peut malheureusement devenir un défaut : en cas d'échec du processus, les avocats doivent se départir du dossier. Certains avocats, désireux de garder leur client, pourraient s'entendre pour trouver un protocole "a minima" qui s'avérerait au final une source d'échec de l'"accord" car ce ne serait pas un accord trouvé par les parties. Ce n'est certes pas le cas des avocats spécifiquement formés et signataires de la charte du droit collaboratif.

Avec la médiation, les avocats ne courent pas ce risque puisqu'ils accompagnent leur clients (à tout le moins, au début du processus et lors de la finalisation, avec la rédaction de l'accord).

Le médiateur est en effet le garant du processus et l'avocat est le garant du protocole d'accord.

Lexbase : Quelles sont les perspectives d'évolution de cet outil en France ?

Chantal Jamet-Elzière : Ces méthodes de résolution amiable des conflits sont l'avenir de la Justice, d'une justice plus soucieuse de l'être humain, pacificatrice et "ravaudeuse" du tissu social. Grâce à ces processus, nous pouvons aider à la pacification de conflits de tous ordres.

Ces modes de règlement des litiges et conflits deviendront incontournables comme plus rapides, moins onéreux et plus efficaces car les solutions trouvées sont par les parties elles-mêmes. Et ce même en France, car dans le monde en général, notamment, les Etats-Unis d'Amérique, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie, la Suède, l'Australie, le Japon, etc., ces modes sont déjà largement utilisés (aux USA, sur 100 procès, seuls 10 % arrivent devant le juge).

Il ne s'agit pas là d'une justice "douce" (loin s'en faut !). C'est d'une réforme complète de notre conception de la Justice qu'il s'agit et de la place de l'avocat qui ne doit plus s'appréhender comme simple défenseur.

Rien ne peut évoluer sans l'avocat, quoi qu'on en dise. Ce sont toujours eux (cf. USA) qui sont à l'origine de la création ou de la "mise au goût du jour" de ces modes de règlement amiable (alternatif) des conflits.

Il faut simplement que le plus grand nombre le comprenne à temps avant que les "marchands du temple" ne prennent ce qui est, par nature, leur place.

Ce sont en fait les avocats et leurs formateurs qui amèneront la population vers les processus amiables de résolutions des conflits. Ils sont en cela aidés par les gouvernements qui y voient une solution à l'engorgement des tribunaux et un allègement des coûts de la justice.

Les magistrats ont souvent compris très tôt l'intérêt d'une justice plus rapide et moins coûteuse, plus proche du justiciable ; ce, d'autant qu'ils ne sont (pas plus que les avocats) aucunement dessaisis par ces processus qui ne viennent qu'alléger leur tâche et leur permettre de rendre des décisions auxquelles les parties auront volontairement participé.


(1) Le droit collaboratif : la diversification de la pratique, Conférence prononcée par Maîtres Martha Shea et Suzanne Clairmont, le 10 novembre 2006.
(2) Code national de déontologie du médiateur.
(3) Code national de déontologie du médiateur ; Charte de droit collaboratif, Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles.
(4) Méthode "Harvard" comme ayant été découverte et mise au point notamment par Roger Fischer, Avocat et professeur enseignant le Droit et la Négociation à la Harvard Law School, Université privée du Massachusetts (USA).
(5) Le médiateur dans l'arène, Réflexions sur l'art de la médiation, de Thomas Fiutak, Collection Trajets, Ed. Eres, 2009.

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