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N7508BSU
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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III
le 12 Octobre 2011
La société requérante a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité pour les exercices clos en 1993 et en 1994. Pour ce faire, l'administration a préalablement adressé à l'entreprise des avis de vérifications en date des 7 avril et 11 mai 1995.
Une notification de redressements, aujourd'hui dénommée proposition de rectification, datée du 15 septembre 1995, a mis, à la charge de l'entreprise, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de TVA, au titre des exercices vérifiés. Les pénalités ont été appliquées sur le fondement des articles 1729 et 1763 A du CGI, repris actuellement aux articles 1754 (N° Lexbase : L9525IQT) et 1759 (N° Lexbase : L1751HN8) du code précité.
D'une part, la société n'avait pas souscrit de déclaration de résultats au titre de l'exercice clos en 1994, situation qui n'avait pas été révélée par la vérification de comptabilité. En conséquence, le contribuable a été placé en position d'être taxé d'office, conformément aux dispositions de l'article L. 66 du LPF (N° Lexbase : L8954IQP), dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition au litige. Il est de jurisprudence constante, selon laquelle il appartient au contribuable d'apporter la preuve que sa déclaration a été déposée en temps utile (CE, 1975, n° 83243, Droit fiscal, 1975, comm. 383, concl. Dominique Latournerie). A cet égard, une société encourt une taxation d'office dès lors qu'elle n'est ni liquidée ni dissoute, même si elle n'a pas exercé d'activité durant l'année en cause, ou que le défaut de déclaration serait imputable à une négligence de son comptable (CE, 2 octobre 1985, n° 40696, RJF, 1985, 11, comm. 1475).
Lorsque les obligations déclaratives n'ont pas été remplies, le contribuable supporte la charge de la preuve (LPF, art. L. 193 N° Lexbase : L8356AE9), et l'administration doit établir l'existence de la procédure d'office en faisant valoir, par exemple, le détail des mises en demeure qu'elle a adressées.
D'autre part, le vérificateur a écarté comme non probante la comptabilité de l'entreprise et a reconstitué les recettes à partir des factures émises et payées en 1994, en tenant compte des charges justifiées par des factures acquittées au cours de la même période.
La doctrine administrative retient que la proposition de rectification doit préciser les motifs de droit et de fait sur lesquels se fonde la procédure. Cette obligation consiste, notamment, à donner toutes les indications quant à la détermination de la base d'imposition, le droit accordé à l'administration de fixer d'office la base d'imposition ne lui conférant pas un pouvoir discrétionnaire (BOI 13 L-5-86, instruction du 10 octobre 1986).
Le Conseil d'Etat avait tiré pour conséquence que la notification des bases imposées d'office par l'administration devait expliciter les modalités de calcul pour la détermination de la base imposable (CE 16 février 2000, n° 180643, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0367AU7, RJF, 2000, 4, comm. 530).
En l'espèce, le contribuable conteste la méthode retenue, la considérant comme sommaire.
Le Conseil d'Etat a une appréciation différente des choses. La société étant dans l'impossibilité de fournir les contrats afférents à son activité, la méthode suivie par l'administration n'est pas excessivement sommaire, même si l'administration a retenu pour charges que quelques règlements de factures en écartant, semble-t-il, certains frais non exposés par l'entreprise.
La reconstitution de recettes a des exigences et une rigueur dont le Conseil d'Etat se montre le gardien vigilant. Par exemple, il a été jugé que la reconstitution des recettes doit se faire d'après les données propres à l'entreprise, et non en utilisant des monographies professionnelles (CE 9° et 7° s-s-r., 22 janvier 1992, n° 80001, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5173ARZ, RJF, 1992, 3, comm. 386). Quand celle-ci se fait à partir de sondages sur la marge brute, ils doivent être suffisamment exhaustifs pour que la méthode administrative ne soit pas jugée trop sommaire, ce qui interdit, par exemple, une reconstitution effectuée à partir d'articles choisis au hasard (CE 8° et 9° s-s-r., 10 février 1993, n° 61706 N° Lexbase : A8313AMT et n° 61707 N° Lexbase : A8314AMU, inédits au recueil Lebon, RJF, 1993, 4, comm. 579). La reconstitution doit également tenir compte de la spécificité des exercices, et éviter toutes extrapolations abusives (CE 9° et 8° s-s-r., 9 novembre 1994, n° 126361, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3560ASN, RJF, 1995, 1, comm. 64). Enfin et aussi, la reconstitution ne doit pas manquer de vraisemblance (CE 8° et 9° s-s-r., 30 janvier 1991, n° 78716, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9015AQX, RJF, 1991, 3, comm. 350).
Dans l'affaire qui nous occupe, le pourvoi de la société a été rejeté.
Rappelons que, lorsque la comptabilité n'existe pas ou comporte de graves irrégularités, et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la charge de la preuve incombe au contribuable (LPF, art. L. 192 N° Lexbase : L8724G8M), étant observé que la preuve du caractère irrégulier, ou non probant, de la comptabilité, est toujours supportée par l'administration. Lorsque la commission n'a pas été saisie, ou lorsque l'administration n'a pas suivi l'avis émis par la commission, la charge de la preuve pèse sur l'administration.
A quoi peut donc servir la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, prévue par l'article L. 10 du LPF (N° Lexbase : L4149ICN), destinée aux contribuables faisant l'objet d'un contrôle fiscal externe ?
L'article L. 10, alinéa 4, du LPF précise que les dispositions contenues dans celle-ci sont opposables à l'administration. Elle est remise obligatoirement au contribuable avant l'engagement du contrôle et doit être jointe à l'avis de vérification de comptabilité ou d'examen de situation fiscale personnelle.
Le défaut d'envoi de ce document prive le contribuable d'une garantie substantielle et vicie la procédure de contrôle.
La faculté ouverte à un contribuable de faire appel à l'inspecteur départemental ou principal, puis à l'interlocuteur départemental au cours et à la conclusion du contrôle, figure en bonne place dans la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié.
Précisons que la mise en oeuvre de cette garantie est régulière dès lors que l'administration informe le contribuable, par la mention sur l'avis de vérification, de l'identité et des fonctions des personnes auprès desquelles les recours pourront être exercés ; qu'elle donne suite à une demande de saisine, si celle-ci est recevable, avant la mise en recouvrement des impositions en litige. Les recours sont offerts successivement : la saisine de l'interlocuteur est subordonnée à la saisine préalable du premier niveau de recours.
Dans cette affaire, nul ne conteste que la Charte ait été adressée au contribuable en même temps que l'avis de vérification, le 16 novembre 2001. Dans une version alors en vigueur, le paragraphe 5 du chapitre III de la Charte précisait que le contribuable peut saisir l'inspecteur divisionnaire ou principal pour obtenir des éclaircissements supplémentaires, dans l'hypothèse où le vérificateur maintient totalement ou partiellement les rehaussements envisagés. Si, après ces entretiens, des divergences subsistent, il peut faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur et dont dépend le vérificateur. Les choses doivent se faire dans cet ordre (CE 9° s-s., 27 octobre 2004, n° 264493, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5808D7A, RJF, 2005, 1, comm. 50). Autrement dit, un contribuable qui n'a pas saisi régulièrement l'inspecteur principal d'une demande d'entretien ne peut utilement se prévaloir de la garantie tenant à la faculté de saisir l'interlocuteur départemental. Il appartient au contribuable d'apporter, autrement que par la production d'un courrier simple, la preuve qu'il a demandé la saisine de l'interlocuteur (CE 8° et 3° s-s-r., 20 octobre 2000, n° 204814, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9594AHS, RJF, 1, 2001, comm. 58).
Comme le fait observer le Conseil d'Etat, s'il est vrai que des versions différentes de la Charte ont été édictées, il n'en reste pas moins qu'elles n'ont aucune incidence sur les motifs et le dispositif de l'arrêt attaqué. Il n'est pas rare que la Charte soit modifiée par des additifs qui résultent de l'intégration de diverses dispositions incluses dans des lois de finances impactant le texte. Il a été jugé que la circonstance que la Charte ne comporte pas la mention des dispositions nouvelles issues de la dernière loi de finances n'a pas pour effet de vicier la procédure d'imposition, dès lors que ces lacunes ne sont pas de nature à priver le contribuable d'une garantie essentielle (CE 20 octobre 2000, n° 204814, précité, Droit fiscal, 2001, comm. 437, concl. Emmanuelle Mignon).
Au cas particulier, les représentants de la société ont été reçus, le 16 septembre 2002, par l'inspecteur principal, qui a fait savoir qu'il ferait connaître sa position ultérieurement. Celle-ci n'a pas été exposée à l'entreprise avant la notification, soit le 12 novembre 2002. La Charte n'impose pas que l'interlocuteur départemental informe le contribuable des résultats de sa démarche (CE 7° et 8° s-s-r., 21 juin 2002, n° 29313, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9457ALT, RJF, 2002, 10, comm. 1138).
La mise en recouvrement des impositions est intervenue dès le lendemain, le 13 novembre 2002. Une cour administrative d'appel a jugé que l'administration qui a interrompu la procédure de recouvrement dès qu'elle a eu connaissance du souhait du contribuable d'être reçu par l'interlocuteur, doit être regardée comme ayant régulièrement satisfait cette demande et respecté les dispositions de la Charte, lorsque l'avis de mise en recouvrement a été rendu exécutoire après réception du contribuable (CAA Bordeaux, 4ème ch., 17 mars 2005, n° 01BX00945, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8062DH3, RJF, 2005, 10, comm. 1058). L'administration ne peut mettre en recouvrement des impositions sans que l'interlocuteur départemental, ou régional, ait, au préalable, reçu le contribuable qui demande à le rencontrer (CAA Lyon, 7 juin 2000, n° 96LY01141, inédit au recueil Lebon, RJF, 2000, 11, comm. 1200).
Dans ces conditions, le Conseil d'Etat a estimé, à bon droit, que le délai était trop bref pour permettre la saisine de l'interlocuteur départemental. Si la suspension de la mise en recouvrement était matériellement impossible, l'administration avait toujours la possibilité de dégrever les impositions litigieuses, pour permettre cette saisine.
En qualité d'associé d'une société civile immobilière, le contribuable a reçu, le 2 novembre 1999, une notification de redressements mentionnant l'impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée, la contribution pour le remboursement de la dette sociale, et le prélèvement social de 2 %, parmi les impositions rectifiées au titre des années 1996, 1997 et 1998.
La cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt du 3 novembre 2009, a prononcé la décharge des compléments de cotisations sociales et de prélèvement social, mais aussi des pénalités correspondantes, au titre des trois années susvisées, ainsi que les pénalités de mauvaise foi mises à la charge du contribuable au titre de l'impôt sur le revenu de l'année 1997 (CAA Marseille, 4ème ch., 3 novembre 2009, n° 07MA01086, inédit au recueil Lebon [LXB=]).
Le ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat s'est pourvu en cassation contre cet arrêt.
Il est un principe qui s'impose à l'administration : quand celle-ci adresse une proposition de rectification au contribuable (notification de redressements), celle-ci doit être motivée de telle sorte que le contribuable soit en mesure de formuler des observations, ou de faire connaître son acceptation (LPF, art. L. 57 N° Lexbase : L0638IH4).
Il est de jurisprudence constante que la motivation d'une proposition de rectification vaut pour chacun des chefs de redressements (CE 9° et 10° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 183659, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2097AII, RJF, 2001, 3, comm. 382) et, lorsqu'un chef de redressement est fondé sur plusieurs éléments qui ont fait l'objet d'une justification, d'une évaluation et d'une prise en compte distincte dans la notification adressée au contribuable, le caractère suffisant de la motivation de ce chef de redressement pouvant s'apprécier séparément pour chacun de ces éléments (CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 313577, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1331E43, Droit fiscal, 2010, 44, comm. 544, concl. Laurent Olléon). Par conséquent, il est tout à fait possible qu'une proposition de rectification soit régulière au regard de certains chefs de redressements suffisamment motivés, et irrégulière pour ceux qui sont insuffisamment motivés (CE 7° et 8° s-s-r., 1er juillet 1987, n° 52983, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2932APB, Droit fiscal, 1987, comm. 1096, concl. Olivier Fouquet).
Il est fait observer que la contribution sociale généralisée, la contribution pour le remboursement de la dette sociale et le prélèvement social de 2 % sont des impositions distinctes de l'impôt sur le revenu, quand bien même elles sont assises, contrôlées et recouvrées selon les mêmes règles.
En l'espèce, l'administration a motivé, en droit et en fait, les rehaussements relatifs à l'impôt sur le revenu, à indiquer les redressements pour les autres impositions et sans préciser le fondement juridique de chacune d'elles.
La cour administrative d'appel a tiré pour conséquence que l'administration avait insuffisamment motivé les redressements concernant les impositions autres que l'impôt sur le revenu.
Le Conseil d'Etat ne l'a pas suivi dans cette voie, ce qui peut paraître surprenant au regard de sa jurisprudence. En effet, la Haute assemblée a jugé que les indications figurant sur une notification de redressements et relatives aux contributions additionnelles et temporaires à l'impôt sur les sociétés applicables aux exercices clos au cours des années de l'imposition en litige, peuvent se limiter à la mention de leur montant, sans reprendre les éléments de base déjà indiqués pour l'impôt sur les sociétés, ce qui était suffisant au regard des exigences de l'article L. 57 du LPF (CE 9° et 10° s-s-r., 2 juin 2010, n° 322663, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2054EYQ, RJF, 2010, 8-9, comm. 775).
Il est un fait que le prélèvement social et la contribution sociale généralisée constituent des impositions distinctes de l'impôt sur le revenu, même si le législateur a renvoyé, pour les règles relatives à leur établissement, leur recouvrement et leur contentieux à celles qui régissent l'impôt sur le revenu. Le Conseil d'Etat, dans un avis rendu le 10 novembre 2004, considère que le législateur ne s'est pas borné à majorer un impôt existant mais a créé des contributions distinctes de l'impôt sur le revenu (CE avis, 3° et 8° s-s-r., 10 novembre 2004, n° 268852, n° 268854 et n° 269199, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9067DD8, RJF, 2005, 2, comm. 163). La conséquence qu'il convient de retenir est que ces contributions doivent faire l'objet d'une mention spécifique dans la proposition de rectification. Si ce principe n'est pas respecté, cette dernière ne peut pas servir de fondement à l'établissement d'un complément d'imposition de ces prélèvements et n'interrompt pas la prescription (CE 3 et 8° s-s-r., 5 octobre 1985, n° 270341, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6972DKG, RJF, 2005, 12, comm. 1438).
Le contribuable, qui doit être mesure de se défendre, et l'administration, qui propose des rectifications, ont tout à gagner à ce que chaque chef de redressement soit motivé, en fait comme en droit.
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