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par Fabien Waechter, Président
le 08 Septembre 2011
Abderrazak Kilani : La modification de la loi est une demande des avocats ; l'ancienne loi datait de 1989 à une époque où il n'y avait que 1 200 avocats. Or, aujourd'hui, nous sommes plus de 8 000. Et les avocats n'ont jamais cessé de réclamer, à travers leur institution, la modification de cette loi. Et, lorsque j'ai été élu il y a un peu plus d'un an, j'avais annoncé mon engagement pour oeuvrer dans le sens du changement de cette loi et effectivement je me suis attelé, avec un comité scientifique qui relève de notre barreau, à mettre en oeuvre ce projet. Nous avons travaillé pendant presque six mois et fin décembre le texte était prêt ! Il a été présenté au ministère de la Justice et au Gouvernement et quelques négociations ont eu lieu puisque certaines dispositions initiales n'arrangeaient ni les experts comptables, ni les notaires, ni les conseils fiscaux et ni les magistrats ! Nous avons négocié et en fin de compte nous sommes arrivés à une formule définitive pour que le décret-loi soit promulgué.
Lexbase : Quelle est la philosophie de ce texte ?
Abderrazak Kilani : La philosophie de la loi c'est de faire revenir l'avocat à sa véritable place ; l'ancienne loi édictait que l'avocat était un auxiliaire de la justice, or nous estimons que nous sommes plus que cela. A cet égard, l'article 1er de la loi nouvelle énonce que l'avocat est un associé dans l'instauration de la Justice. Et c'est une nouveauté extraordinaire. Le rôle joué par les avocats, avant et pendant la Révolution, dans la défense des libertés, dans la défense des droits de l'Homme, dans la dénonciation de la torture et de toutes les dérives de l'ancien régime, a légitimé le fait de demander que la définition de la profession mette en avant ce que nous sommes : les défenseurs des droits humains et des libertés.
Lexbase : Vous avez lancé, depuis la chute de l'ancien régime, une lutte contre la corruption. Comment allez-vous mettre en oeuvre ce chantier ?
Abderrazak Kilani : L'autre philosophie de la loi nouvelle était d'assainir le milieu judiciaire et d'écarter tout intrus du système. Nous avons proposé au Gouvernement que la représentation des justiciables soit exclusivement effectuée par l'avocat, aussi bien devant les juridictions judiciaires, qu'administratives, ou encore disciplinaires. C'est une excellente chose car cela va permettre de moraliser le système judiciaire. Nous avons aussi demandé à ce que l'avocat soit le seul compétent pour donner des consultations juridiques. En effet, nous avons pu constater ces dernières années une prolifération de certains cabinets qui prétendent donner ce type de conseils avec des compétences douteuses et sans aucune garantie. L'avocat, lui, présente une garantie de par sa déontologie. Aujourd'hui l'avocat est donc le seul compétent pour donner une consultation juridique. Le problème de la corruption se pose aujourd'hui pour tous les secteurs d'activités, y compris le barreau. Et la population réclame un assainissement de toutes les activités professionnelles. La Révolution en fait c'est ça. En tant que premier représentant de notre barreau je me suis engagé à assainir le corps des avocats. Et celui des magistrats doit l'être également. Il est donc important de mener une action très sérieuse sur ce volet puisque nous avons beaucoup souffert du système instauré sous l'ancien régime ; l'ancien président utilisant la Justice et les magistrats pour régler ses comptes avec ses adversaires politiques, d'une part, et éventuellement enrichir son entourage, d'autre part.
Lexbase : Que pouvons-nous retirer, en France, de cet exemple démocratique, révolution pour le droit, par le droit et pour la justice ?
Jean-Luc Médina : La première valeur des avocats, c'est la confraternité, la solidarité au-delà de toutes les frontières. Le barreau tunisien a été martyrisé pendant des années et il a eu besoin du soutien moral du barreau français. Et je crois qu'il l'a obtenu. Des Bâtonniers se sont déplacés, des présidents de syndicats aussi pour soutenir le Bâtonnier et pour soutenir aussi des confrères qui étaient incarcérés. Et puis il s'est passé une Révolution extraordinaire avec à sa tête des avocats. Et aujourd'hui, si notre délégation grenobloise, importante délégation grenobloise d'ailleurs, est ici présente c'est que nous avons beaucoup à apprendre de ce qui s'est passé. Un souffle de la Révolution c'est quelque chose qui n'arrive pas souvent dans l'Histoire.
Et lorsque on voit ce que le barreau a obtenu, par son décret-loi, pour la profession d'avocat sur la définition même de ce qu'est un avocat, alors même que nous, avocats, en France, sommes toujours auxiliaire de justice, nous ne pouvons qu'être admiratifs. Les avocats tunisiens ont eu besoin de nous pendant un certain nombre d'années mais maintenant c'est nous qui allons avoir besoin d'eux puisqu'ils sont arrivés dans un processus démocratique accéléré. Nous avons donc beaucoup à apprendre de ce barreau.
Lexbase : Le champ d'activité des avocats français s'est développé il y a peu avec la création de l'acte contresigné d'avocat. Quelles sont les nouvelles activités que les avocats tunisiens peuvent exercer ?
Abderrazak Kilani : Nous n'avons pas obtenu l'acte d'avocat, mais un élargissement de notre champ d'intervention sans exclusivité. Par exemple, l'avocat peut être agent sportif, agent de la propriété intellectuelle, agent fiduciaire. Il peut être aussi agent artistique. Autre élément très important, c'est que les avocats tunisiens ont l'exclusivité pour la rédaction des statuts de société. Dès lors que le capital est constitué par un apport en nature ou en fonds de commerce seul l'avocat peut rédiger l'acte de société. En revanche, pour l'acte d'avocat, nous avons cédé sous la pression des notaires parce qu'il fallait négocier et que l'on ne peut pas tout avoir à la fois !
Lexbase : Une amitié historique lie le barreau de Grenoble avec la Tunisie. Comment se traduit-elle dans la construction du droit et les échanges juridiques ?
Jean-Luc Médina : Nous avons une Convention nationale qui a été signée en 2008 avec le Conseil national des barreaux et le barreau de Tunisie et c'est dans ce cadre là que l'action du barreau de Grenoble s'inscrit. J'ai des liens particuliers avec la Tunisie ; j'ai été à l'origine de la signature de la Convention nationale à l'époque où Paul-Albert Iweins était le président du CNB ; il m'appartient donc de nourrir cette convention. Nous avons un enjeu très important pour demain : arriver à mettre en place des programmes de formation d'un barreau vers l'autre. Nous ne pouvons nous contenter d'affirmer que, par des décrets, nous avons élargi notre champ d'activité ; il faut savoir exercer pleinement ces nouvelles compétences. L'enjeu fondamental est donc la formation.
C'est pourquoi l'un des premiers gestes a été d'ouvrir notre bibliothèque électronique Lexbase au barreau de Tunisie. C'est très symbolique. Cela montre qu'il va falloir travailler ensemble pour que les avocats soient les plus compétents et les plus à mêmes de répondre aux défis de demain.
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