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le 08 Septembre 2011
Il y a trois mois, nous indiquions que "décidément l'article L. 132-5-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9839HE7) fait couler beaucoup d'encre", à propos d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 18 mai 2011 (1). Nous faisions allusion aux nombreuses décisions concernant ce texte, depuis l'arrêt du 7 mars 2006 (2), sans savoir que, dès cette rentrée, le premier commentaire porterait de nouveau sur cette disposition qui suscite tant de tentatives d'emploi par les avocats. Car ces derniers n'hésitent pas à user, voire abuser, d'une règle dont les termes comme la mise en oeuvre appellent les plus vives réserves, fussent-elles en faveur du cocontractant, assureur, -car il faut savoir reconnaître les exagérations lorsqu'elles sont patentes, sans compter les atteintes aux principes de droit des obligations en général, auquel le droit des assurances, fût-il de plus en plus autonome, ne saurait se soustraire.
Rappelons donc juste -pour qui découvrirait à la fois le droit des assurances et cette revue- le libellé de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances suivant la version actuelle issue de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 (N° Lexbase : L5277HDS) : "Toute personne qui a signé une proposition ou un contrat d'assurance sur la vie ou un contrat de capitalisation a la faculté d'y renoncer par lettre recommandée avec demande d'avis de réception [...]. La renonciation entraîne la restitution par l'entreprise d'assurance ou de capitalisation de l'intégralité des sommes versées par le contractant, dans le délai maximal de trente jours calendaires révolus à compter de la réception de la lettre recommandée".
Plusieurs de ces aspects ont donné lieu à une jurisprudence nourrie. Toutefois, l'intérêt de cet arrêt réside dans un autre sujet précis traité : la prescription applicable en cas de renonciation, par le souscripteur d'une assurance vie à cette dernière. En effet, dans ces circonstances, le jeu de la renonciation mise en oeuvre signifie que l'assureur restitue les sommes déjà versées. La question concrète consistait à déterminer si celles-ci "dérivent" du contrat d'assurance, au sens de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP), alors que l'effet principal de la mise en oeuvre de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances consiste dans la possibilité de replacer le souscripteur dans la situation où il n'aurait jamais contracté.
En l'espèce donc, un homme avait souscrit un contrat d'assurance vie en 2000. Pour alimenter celui-ci en versant des primes, il avait emprunté une somme d'argent à une banque. A titre de garantie, il avait dû accepter de nantir son contrat d'assurance à ce même établissement bancaire. A une date inconnue, le souscripteur, en respectant les formes, c'est-à-dire en adressant une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, a déclaré renoncer à ce contrat, comme l'y autorise l'article L. 132-5-1 du Code des assurances sous réserve de certaines conditions. Celles-ci ne devant pas être réunies, notamment parce que l'assureur n'avait sans doute pas procédé aux formalités d'information lui incombant, ce professionnel refuse de faire droit à la demande de son assuré.
Ce dernier assigne alors cet assureur et la banque est mise en cause. Le professionnel de l'assurance ne contestait pas que s'appliquait la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances lorsqu'une action dérive du contrat d'assurance comme en l'espèce. Néanmoins, il estimait que devait être prise en considération -pour calculer le délai- le point de départ prévu par l'article L. 132-5-1 du Code des assurances au coeur du litige de manière indubitable, c'est-à-dire au jour de la souscription du contrat d'assurance. Or, le tribunal saisi avait rejeté l'argument, comme le fit la cour d'appel. Et la Cour de cassation s'inscrit dans cette perspective en décidant que la date devant être prise en considération s'entend du jour du refus de restitution des fonds par l'assureur, figurant sur le contrat auquel le souscripteur et assuré a renoncé.
Notre Haute juridiction prend aussi le soin de commencer par confirmer que ce type d'action relève de l'article L. 114-1 du Code des assurances, en ce qu'elle dérive bien du contrat d'assurance, selon la formule consacrée de ce texte, aussi vague et imprécise soit-elle au grand dam, notamment, de nos magistrats. La solution apparaissait plutôt s'imposer. Sans doute aurait-il été permis de prétendre que l'action en renonciation à un contrat avait pour conséquence que ce dernier n'existât plus ; par conséquent, l'action ne pouvait en dériver. Outre que le pourvoi n'avait pas tenté de raisonner ainsi, il demeurait difficile de soutenir l'inexistante totale du contrat puisque la demande de restitution des fonds versés supposait, à l'évidence, son existence, ne serait-ce qu'un court laps de temps, pour que les primes aient pu être versées, sans compter d'éventuelles opérations de gestion comme des arbitrages notamment.
En revanche, la Cour de cassation n'applique pas le point de départ prévu par l'article L. 114-1 du Code des assurances, c'est-à-dire le jour de la souscription du contrat d'assurance. Il ne faut pas nier que l'argument du pourvoi, développé par l'assureur, ne manquait pas d'une certaine pertinence. Car, a priori, de deux choses l'une : ou bien, l'action dérive du contrat d'assurance et l'article L. 114-1 du Code des assurances s'applique dans son intégralité, ou bien ce texte ne s'applique pas. Or, la présente décision constitue une sorte de mixage ou mélange, tant de ce texte que de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances. Et, si ce dernier doit être pris en considération, pourquoi ne pas le faire dans son intégralité, pour ne retenir que le fond de cette disposition et non davantage ?
Néanmoins, la solution admise par la Cour de cassation appelle plutôt l'approbation. Admettre l'application stricte de l'article L. 114-1 du Code des assurances aurait pour conséquence d'inciter l'assureur à laisser traîner ou effectuer des promesses de règlements qu'il ne tiendrait pas, pour obtenir une prescription salvatrice pour lui et choquante pour le souscripteur. Car, il faut savoir respecter la logique du droit à renonciation, même si cet argument ne saurait réduire les critiques que son existence même et sa mise en oeuvre pratique engendrent. Un texte accordant un droit à renonciation suppose la remise des choses en l'état antérieur selon la formule classique et éclairante du droit commun.
Comme elle décide de faire application, en droit des assurances de dommages, en cas de vérification du retard dans la déclaration du sinistre par l'assuré, que du jour à compter duquel il en a eu connaissance, c'est-à-dire parfois des semaines ou des mois après la survenance de l'événement dommageable, c'est la date de l'événement à l'origine de l'action qui constitue, ici, le point de départ. La solution n'est donc pas tout à fait originale ou innovante. Le classicisme aurait ses vertus.
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen
La souplesse de fonctionnement de certains contrats d'assurance vie et les diverses possibilités qui sont désormais offertes au souscripteur, souvent assuré -rachats partiels, demandes d'avances, arbitrages et autres opérations de gestion-, invitent sans doute les diverses personnes détenant un droit quelconque à vouloir y procéder aussi. Si l'on ajoute qu'un contrat d'assurance peut faire l'objet d'un nantissement, du moins à hauteur de la provision mathématique qu'il comprend, dans les contrats d'assurance concernés, il s'avère aisé de deviner les combinaisons de gestion et d'administration auxquels les esprits les plus malins et fins peuvent songer. Le créancier nanti ne pouvait manquer d'être tenté de connaître les limites de ce qu'il peut ou non effectuer.
L'apport de l'arrêt de la Chambre commerciale, en date du 12 juillet 2011, si, de prime abord, il n'apparaît pas si considérable, à bien y réfléchir, il offre le mérite d'indiquer, avec précision, une partie de ces limites lorsque le droit bancaire des opérations boursières joue à entrelacer ses mécanismes à ceux du droit des contrats d'assurance vie. Ainsi, une femme conclut une convention dite de "compte-titres et de transmission d'ordre" avec une société boursière, agissant en qualité d'établissement "négociateur-teneur de comptes", ainsi qu'avec une société financière, prise en qualité de transmetteur-récepteur d'ordres. Par ailleurs, cette personne donne procuration générale d'effectuer toutes opérations de bourse sur ces comptes, à un membre de sa famille : son père, situation fréquente de la vie pratique surtout lorsqu'un individu travaille et ne s'estime pas assez compétent pour "boursicoter", alors que l'un de ses proches dispose de temps et de connaissances au moins prétendues.
Après diverses opérations initiées sur le service de règlement différé, l'établissement négociateur-teneur de comptes s'est sans doute inquiété de la nature et de l'origine des fonds employés. Par conséquent, il adopte une attitude prudente et justifiée en demandant la reconstitution de la couverture et en procédant à la liquidation partielle de position, avant que les comptes ne soient clôturés. En termes plus simples, les établissements financiers avaient refusé de considérer les contrats d'assurance vie nanti, comme des instruments financiers pouvant faire l'objet de placements boursiers et donc de fluctuations. C'est ce refus que leur cocontractant originaire contestait en leur demandant des dommages-intérêts. Cette femme tentait donc de démontrer que le contrat d'assurance vie nanti s'entend d'un instrument financier. Toutefois, la Cour de cassation ne partage son point de vue et prend le soin de procéder à une longue explication.
Selon notre Haute juridiction : "Le créancier nanti d'un contrat d'assurance-vie n'est que détenteur, avec seul pouvoir de garde et de conservation, sans acquérir le droit d'user ni d'administrer la chose". Il a donc une obligation de restitution lors du paiement de sa créance. Et elle ajoute encore que "la gestion des valeurs mobilières, support du contrat, est effectuée par l'assureur" et que "les prestataires habilités ne peuvent effectuer la valorisation quotidienne de ces titres pour la couverture des ordres passés". Elle approuve donc l'arrêt d'appel d'avoir décidé que le nantissement du contrat d'assurance n'est pas compatible avec les règles de la couverture. Par conséquent, le refus, par la société de gestion financière ne constituait pas une faute pouvant lui être reprochée.
On le sait, d'une manière générale, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s'inscrit dans l'esprit des règles énoncées par la deuxième chambre civile remplaçant, depuis bientôt huit ans, la première. Un exemple fut fourni avec l'approbation, par la présente chambre, des fondements juridiques retenus par les chambres civilistes quant aux assurances de groupe. La surprise n'est donc pas totale.
Au-delà de ce constat, l'arrêt a le mérite de ne laisser place à aucune ambiguïté sur la solution, n'hésitant pas à insister pour ne pas prêter le flanc à des interprétations notamment doctrinales divergentes. Qu'il soit permis de s'en féliciter tant se multiplient les possibilités de confusion entre le domaine financier, boursier et le droit des assurances.
Car, si les contrats d'assurance vie permettent de réaliser des placements productifs d'intérêts, le nantissement sur la créance ne signifie pas que les règles ordinaires de fonctionnement et de gestion de ces contrats échappent aux parties à l'origine de la formation du contrat d'assurance. Même nanti, les pouvoirs d'administration du contrat d'assurance vie demeurent aux mains du souscripteur, comme en témoigne, de manières certes indirecte, l'article L. 132-10, alinéa 2, (N° Lexbase : L4411H9A) et suivants du Code des assurances, issu de la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007 (N° Lexbase : L5472H33). Car, si la réforme a eu pour objet de ne plus rendre impossible, pour le souscripteur, toute opération sur le contrat d'assurance vie, après l'acceptation, par le tiers bénéficiaire, de la désignation faite à son profit, elle entérine, tacitement, la règle selon laquelle c'est le souscripteur qui dispose du droit de nantir ou non son contrat.
Cependant, en acceptant de nantir son contrat, le souscripteur offre en garantie, une certaine valeur, précise et déterminée, au moment de la passation de l'acte, ce qui explique que l'alinéa 1 de l'article L. 132-10 du Code des assurances commence par décrire les formalités nécessaires à la validité de ce nantissement. Cette valeur ne saurait donc subir la moindre diminution, en raison de placements par le créancier nanti. L'opération de nantissement ne se compare donc pas à celle, prévue par l'article L. 132-10 in fine du Code des assurances, lequel autorise le créancier nanti à provoquer le rachat. Il faut comprendre que cette faculté s'ouvre en cas de non réalisation, par le souscripteur, de ses obligations envers son créancier. Pour autant, elle ne saurait s'exercer de manière discrétionnaire et non justifié, c'est-à-dire au-delà du montant de la créance certaine, liquide et exigible.
Sans doute le nantissement du contrat d'assurance vie montre-t-il là ses limites, pourtant prévisibles. Par conséquent, un créancier pourra préférer disposer d'une autre sûreté, réduisant donc l'attrait pour ce type de garantie. Le contrat d'assurance vie, en dépit d'une réelle souplesse, ne constitue pas le produit financier miracle. Il ne faut pas exclure que cette prise de conscience vienne accentuer le début de bouderie que les clients commencent à manifester depuis le début de cette année civile, avant même les fluctuations des marchés boursiers de ce dernier trimestre. Néanmoins, la raison incite à raisonner de manière rigoureuse et respectueuse du droit des assurances. Possibilités ne s'entend pas de permissivité.
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen
Cet arrêt estival de la troisième chambre civile de la Cour de cassation constitue un bel exemple des difficultés que peut poser la réparation de désordres supposés évolutifs.
Arrêt de censure pour manque de base légale, c'est une invitation à la rigueur des juges du fond qui, comme la cour d'appel de Bourges en l'espèce, sont prêts à accueillir la réparation de désordres évolutifs sans relever la réunion au cas d'espèce de toutes les conditions traditionnellement exigées.
La problématique est clairement énoncée par la doctrine : "doit-on réparer des dommages qui surviennent postérieurement à l'expiration du délai de garantie décennale du constructeur, mais qui découlent de désordres antérieurs dont le caractère décennal a été reconnu et qui ont évolué dans le temps dans le sens d'une aggravation ?" (3).
Un arrêt de la troisième chambre civile du 18 janvier 2006 (4) rappelle, après d'autres (5), les conditions requises pour qu'un dommage évolutif soit couvert :
"Mais attendu que de nouveaux désordres constatés au-delà de l'expiration du délai décennal qui est un délai d'épreuve, ne peuvent être réparés au titre de l'article 1792 du Code civil que s'ils trouvent leur siège dans l'ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l'expiration de ce délai".
Trois conditions cumulatives sont ainsi exigées :
- que les désordres initiaux aient été dénoncés judiciairement (on peut ajouter ou reconnu par l'assureur) dans le délai décennal ;
- que les désordres d'origine aient bien eu la gravité de la nature de ceux exigés pour relever de l'article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ) ;
- et que les nouveaux désordres apparus postérieurement au délai de dix ans présentent une identité de "siège" avec les désordres initiaux, dont ils constituent une aggravation.
Dans l'espèce jugée par la Haute juridiction le 6 juillet 2011, ces conditions étaient-elles réunies ?
La lecture de l'arrêt (et des moyens annexés) permet de saisir la chronologie des événements.
Après que les maîtres de l'ouvrage ont réceptionné la construction de leur maison sans réserve le 28 février 1990, des fissures sont apparues. Ils ont adressé à leur assureur dommages-ouvrage une première déclaration de sinistre le 11 septembre 1998, puis une deuxième le 18 septembre 1999.
Suivant les conclusions du technicien par lui missionné, l'assureur refusait de prendre en charge le sinistre considérant qu'il s'agissait de désordres esthétiques non susceptibles d'engager la responsabilité des constructeurs sur le fondement de l'article 1792 du Code civil.
Les assurés ne contestaient pas ce refus de garantie et ne saisirent pas les tribunaux pour faire constater l'existence de désordres décennaux. Cette passivité sera lourde de conséquence.
Plusieurs années après le terme du délai décennal, les fissures se sont aggravées. Les maîtres de l'ouvrage ont saisi leur assureur de protection juridique, lequel a missionné un expert. Son rapport, rendu le 10 septembre 2007, conclut à la qualification de désordres évolutifs nés de l'aggravation des désordres initiaux de 1998.
Cette expertise venant prendre le contre-pied de celle initialement diligentée par l'assureur dommages-ouvrage, les assurés ont procédé, le 15 septembre 2006, à une nouvelle déclaration de sinistre puis ont assigné leur assureur dommages-ouvrage en référé-expertise par acte du 13 mars 2008. Le rapport de l'expert judiciaire rejoint les conclusions de celui de 2007.
La cour d'appel de Bourges a considéré que les assurés pouvaient valablement agir dès lors qu'ils n'avaient été informés de la réalité et de la gravité des dommages que par l'expertise de 2007, dont les conclusions ont été confirmées par l'expert judiciaire désigné dans le cadre du référé-expertise.
Pour écarter toute forclusion, les juges du fond avaient pris soin de motiver leur décision comme suit : "l'assureur dommages ouvrage peut être tenu de garantir des dommages déclarés plus de 10 ans après la réception lorsqu'il s'agit de dommages survenus pendant la période décennale mais dont l'assuré n'a eu connaissance qu'après l'expiration de ce délai, à condition toutefois que ce dernier agisse contre l'assureur dans le délai de deux ans, à compter de la connaissance de l'événement pouvant entraîner la garantie, imparti par l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP)". Les assurés/maîtres de l'ouvrage, qui n'avaient eu connaissance de la nature décennale des désordres initiaux que par l'expertise de 2007, ont assigné en référé l'assureur le 13 mars 2008, respectant ainsi le délai biennal prévu à l'article L. 114-1.
Que cette action soit recevable, soit. Est-ce pour autant que la garantie au titre de dommages évolutifs devait jouer au motif que de nouvelles expertises viendraient légitimer la passivité initiale de l'assuré qui n'avait pas judiciairement contesté l'inexistence de désordres décennaux en 1998 ?
L'assureur, s'en tenant aux critères jurisprudentiels traditionnels, a fondé son moyen sur le fait que le désordre survenu après l'expiration du délai de garantie décennale ne peut être pris en charge qu'à la condition qu'il constitue une évolution d'un désordre répondant aux conditions énoncées par l'article 1792 du Code civil et dénoncé dans ce même délai ; en revanche, le désordre survenu pendant la période de garantie décennale, mais qui n'a compromis la solidité de l'ouvrage ou ne l'a rendu impropre à sa destination qu'après l'expiration du délai décennal, ne peut donner lieu à garantie.
L'assureur excipait du non-respect des conditions cumulatives exigées par la jurisprudence pour réparer les désordres évolutifs. En effet, aucun désordre de la gravité exigée par l'article 1792 n'avait été judiciairement dénoncé ou reconnu par l'assureur (au contraire, ce dernier avait à l'époque et soutenait encore dans cette procédure qu'il ne s'agissait que de désordres esthétiques).
L'argument a fait mouche et provoqué la cassation pour manque de base légale. Les juges du fond ne pouvaient décider de la mise en oeuvre de la garantie décennale "sans relever qu'un désordre compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination avait été dénoncé dans le délai de la garantie décennale".
On l'aura compris, les juges du fond s'étaient accommodés de cette exigence car, au vu de l'expertise judiciaire, ils avaient acquis la conviction que l'assureur avait trompé l'assuré en 1998, en refusant sa garantie.
Mais il leur fallait alors engager la responsabilité de droit commun de l'assureur sur le fondement du dol ou à admettre qu'il engage se responsabilité contractuelle pour avoir communiqué à l'assuré une expertise erronée, qui a induit en erreur les assurés et les a empêchés de dénoncer judiciairement dans le délai décennal un désordre de la nature de ceux de l'article 1792 du Code civil...
Cette responsabilité n'a d'ailleurs rien d'évidente si l'assureur peut justifier s'en être remis à l'expert, de sorte que seule la responsabilité de ce dernier devrait être engagée. On sait toutefois la jurisprudence encline à mettre en place une forme de responsabilité du fait d'autrui en cette matière. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 24 mai 2006 (6) avait marqué les esprits en retenant la responsabilité de l'assureur, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), pour "avoir proposé à l'acceptation de son assuré, non professionnel, un rapport d'expertise défectueux conduisant à un préfinancement imparfait". Cette ligne jurisprudentielle a été confirmée par un arrêt rendu par la même formation, en date du 11 février 2009 (7), qui tient l'assureur responsable pour avoir "mandaté son expert [...] qui avait rendu un rapport très succinct et dubitatif".
Cela devrait valoir, a fortiori, pour l'assureur qui oppose à son assuré un refus de garantie sur la foi d'un rapport d'expertise défectueux, qui qualifie de simple désordre esthétique ce qui constituait un désordre affectant la solidité de l'ouvrage.
La cour d'appel de renvoi pourrait trouver là de plus solides appuis pour indemniser les assurés victimes, plutôt que de chercher à dévier de la ligne jurisprudentielle classique en matière de désordres évolutifs.
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)
(1) Cass. civ. 1, 18 mai 2011, n° 10-23.114, F-P+B+I (N° Lexbase : A2607HSD).
(2) Cass. civ. 2, 7 mars 2006, n° 05-12.338, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4391DNX), Bull. civ. II, n° 63 ; RGDA, 2006, p. 481, note J. Kullmann ; RCA, 2006, comm., 208, note G.. Courtieu ; JCP éd. G, 2006, I, 135, n° 10 et s., obs. L. Mayaux.
(3) J. Bigot et M. Périer, Risques et assurances construction, L'argus de l'assurance, 2007, p. 88.
(4) Cass. civ. 3, 18 janvier 2006, n° 04-17.400, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3805DMU), Bull. civ. II, 2006, n° 17, p. 14.
(5) Voir déjà : Cass. civ. 3, 8 octobre 2003, n° 01-17.868, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7162C97), Bull. civ. III, 2003, n° 170, p. 150 ; et Cass. civ. 3, 4 novembre 2004, n° 03-13.414, FS-P+B (N° Lexbase : A7683DDW), Bull. civ. III, 2004, n° 187, p. 169.
(6) Cass. civ. 3, 24 mai 2006, n° 05-11.708, FS-P+B (N° Lexbase : A7564DPT), Bull. civ. III, 2006, n° 133, p. 110.
(7) Cass. civ. 3, 11 février 2009, n° 07-21.761 (N° Lexbase : A1247EDK), Bull. civ. III, 2009, n° 33.
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