La lettre juridique n°447 du 7 juillet 2011 : Éditorial

Générique vs princeps : du rififi en pharmacie

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N6004BS8

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Générique vs princeps : du rififi en pharmacie. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4747143-generiqueivsiprincepsdurififienpharmacie
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Il n'y a pas que les "génériqueurs" qui se montreront satisfaits de cet arrêt du 24 mai 2011, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Pour sûr, les caciques de la lutte anti-dépenses de santé, gardiens de l'orthodoxie budgétaire de la Sécurité sociale, accueilleront avec un certain soulagement la décision des juges suprêmes, aux termes de laquelle le titulaire d'une marque ne peut pas en interdire l'usage, par un tiers, dans une publicité comparative qui satisfait à toutes les conditions de licéité d'un signe identique ou similaire à sa marque. Autrement dit, le fabriquant d'un médicament générique peut apposer le nom du médicament et du laboratoire fabriquant le princeps auquel le générique est "substituable", aux fins d'une meilleure information commerciale auprès des prescripteurs que sont les médecins et pharmaciens.

Le dispositif de la Chambre commerciale est des plus cohérents et paraît, dès lors, imparable. D'abord, aux termes de l'article L. 5121-1, 5° du Code de la santé publique, la spécialité du générique d'une spécialité de référence est celle qui a la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par les études de biodisponibilité appropriées. Aussi, le générique étant substituable au princeps et constituant son équivalent, il n'imitait pas le princeps et la disposition de l'article L. 121-9, alinéa 4, du Code de la consommation visant la reproduction devait être différenciée de la notion de bioéquivalence qui caractérise le générique, la qualification d'imitation ou de reproduction doit être écartée. Ensuite, la société éditrice du générique ne commet pas d'actes de contrefaçon en reproduisant et en faisant usage de la marque commercialisant le princeps.

Seulement voilà : comme le répétait Socrate à qui voulait l'entendre, "la perversion de la cité commence par la fraude des mots". Toute l'analyse de la Cour de cassation repose, ainsi, sur une équivalence entre le générique et le princeps ; or, l'équivalence concerne, légalement, uniquement le principe actif et non la présentation et les excipients du médicament. Un générique pourra revêtir la forme d'un comprimé et non celle d'une gélule comme celle du princeps ; plus dirimant, un générique pourra entraîner des effets secondaires différents du ceux constatés lors de la prise du princeps. Mieux, un générique bénéficiera d'une autorisation de mise sur le marché alors que la loi, elle-même, tolère une variation de concentration du principe actif dans le corps de - 20 % à + 25 % ; d'où il suit que l'expression "même composition qualitative et quantitative en principe actif" semble, dès lors, quelque peu abusive. Et, l'on se retrouve donc avec un médicament générique semblable, mais pas tout à fait le même que le médicament original. D'autant qu'il existe trois sortes de médicament générique : la copie-copie (même substance active, même quantité, même forme galénique, mêmes excipients) ; le médicament essentiellement similaire (l'excipient change mais pas la substance active, ni sa quantité, ni la forme galénique) ; le médicament assimilable (modifications minimes de la forme galénique ou de la forme chimique de la substance active). L'écart de similarité est donc intrinsèque au générique lui-même.

Au final, l'on s'y perd aisément, béotiens comme professionnels ; pour cause, la bible médicale, le Vidal, ne recense que les princeps. Aucun recueil n'établit ni la liste, ni la composition des 3 000 médicaments génériques inondant le marché français. C'est pourquoi l'information sur la qualité du médicament (princeps ou générique) revêt tout son sens, et la publicité comparative est nécessairement un sujet sensible et litigieux. Non que les médecins et pharmaciens soient incapables de séparer le bon grain de l'ivraie, mais il leur est difficile, dans leur fauteuil en cuir ou au fond de leur échoppe, d'apprécier in concreto les potentiels effets d'un médicament, non véritablement testé, sur leurs patients : d'où il suit que l'information validée par une autorisation de mise sur le marché aura valeur d'argument d'autorité, comme Aristote dictait son éthique au monde antique.

En effet, il est à noter, tout de même, que les génériques, qui ne sont pas tout à fait de la même composition que les princeps, n'ont pas à subir la batterie d'examens préalables nécessaires à une mise sur le marché. Le médicament générique n'est jamais évalué sur de vrais patients... puisque le fabricant reprend le mode de fabrication du princeps, avec un principe actif identique... CQFD ! Tout au plus, ordonnerons-nous, au préalable, la prise d'un générique après celle d'un princeps, afin d'évaluer la "bioéquivalence" des médicaments, c'est-à-dire que, sous le sceau d'une seule prise, les effets du générique doivent être sensiblement -là est la nuance- les mêmes que ceux du médicament original.

C'est donc sur la base d'un axiome, principe présenté comme vrai, mais pourtant démontrable, que la Cour de cassation, suivant à la lettre la fraude linguistique de la loi, elle-même, écarte l'imitation, la reproduction et la contrefaçon de médicament. La "fraude des mots" est telle, que le juge suprême américain, dans le même temps, prescrivait que le générique devait avoir les mêmes avertissements que le princeps ; les fabricants de générique ne sont pas tenus de mentionner les autres effets secondaires de leur médicament, mais seulement ceux connus du médicament original...

Sans cette tolérance législative et jurisprudentielle, ce serait toute l'économie générale de l'industrie du médicament générique qui s'en trouverait ébranlée, alors que ce dernier peine, justement, à s'imposer sur le marché français. Représentant 13,5 % en valeur du marché total des médicaments vendus en pharmacie et 26 % seulement du marché remboursable, d'aucuns apprécieront le coup de pouce commercial donné par les juges de cassation aux "génériqueurs". Mais, c'est un peu comme si le contrefacteur d'un célèbre sac de luxe était autorisé à informer ses clients, en citant la marque de bagagerie mondialement connue et imitée : chacun constatera que ni le cuir, ni l'impression des motifs ne sont de même qualité ; et, pourtant, le sac contrefait est à 80 % de sa composition de même nature que le bagage original, et surtout, il a la même finalité et la même efficacité : transporter des effets personnels... D'autant que les sacs contrefaits comme les génériques sont fabriqués, étrangement, dans les mêmes pays : Chine, Inde et Pakistan...

Reste que les enjeux sont, étrangement, diamétralement inversés. Là où la protection de l'industrie du luxe française est une nécessité absolue, la recherche d'économie budgétaire structurelle en matière de santé est une nécessité vitale pour le régime de solidarité sanitaire. Avec le générique, présentant un coût inférieur de 40 à 60 % par rapport au princeps, en moyenne 160 millions d'euros supplémentaires sont économisés, chaque année, par le budget de l'assurance maladie. Et, chaque ministre de la Santé d'espérer, un jour, revêtir les habits de Yves Bolduc, leur homologue québécois, qui vient d'annoncer une diminution de 6,1 % des cotisations au régime public d'assurance médicaments, conséquence directe de la croissance de la part des génériques sur le marché pharmaceutique des rives du Saint-Laurent...

Qu'à cela ne tienne, "les médecins administrent des médicaments dont ils savent très peu, à des malades dont ils savent moins, pour guérir des maladies dont ils ne savent rien" écrivait Voltaire, alors qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse... du résultat budgétaire.

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