La lettre juridique n°739 du 19 avril 2018 : Éditorial

[A la une] De la théorie à la pratique

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par Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences à l'Université de Lorraine, Directeur de l'IEJ de Lorraine - André Vitu

le 19 Avril 2018

 

L’un des reproches fait à l’Université est de délivrer un discours théorique que les étudiants transformeraient en pratique au sein des écoles professionnelles ou lors de leur premier emploi. La distinction peut agacer : le «théoricien» doit bien avoir conscience des contraintes pratiques quand le «praticien» doit bien avoir connaissance de la «théorie». «Théorie» et «pratique» entretiennent ainsi d’étroites relations : la «théorie» n’est qu’une manière de présenter les choses, quand la «pratique» est une manière de les mettre en œuvre. L’une et l’autre s’enrichissent mutuellement sans qu’il soit possible de les séparer clairement. Si un conflit peut apparaître entre elles, c’est parce qu’elles sont trop séparées l’une de l’autre : l’on aura beau disserter et opérer une construction intellectuelle séduisante, cela n’aura guère d’intérêt s’il n’y a pas de lien avec la «vraie vie» ; l’on aura beau se gargariser d’empirisme, cela n’aura guère de portée si l’on n’essaie pas de le comprendre.

 

Dès lors, comment ne pas se réjouir de voir des étudiants -essentiellement non juristes- mettre en œuvre leurs cours et séminaires relatifs aux conflits sociaux ? A la manière des cliniques du droit qui sont notamment destinées à faire vivre à l’extérieur les règles enseignées à l’intérieur, les récents blocages universitaires pourraient être vus comme des travaux pratiques d’histoire de la contestation, comme une application des principes enseignés, à la différence que cette extériorisation des connaissances passe par un curieux renfermement sur soi, le blocus supposant, par définition, de ne pas sortir du lieu bloqué. On a même vu de savants conférenciers expliquer doctement l’intérêt qu’il y avait à se barricader, l’empêchement des examens permettant miraculeusement la réussite à un diplôme. Les modalités des blocages sont regrettables et donnent lieu à leur lot de débordements condamnables, qu’il s’agisse de cagoulés armés, de cocktails Molotov, ou des dégradations diverses et variées. Des erreurs sont commises de tous les côtés, chacun se pressant de condamner fermement, de suspendre disciplinairement, de revendiquer énergiquement. Ceux qui s’érigent en révolutionnaires s’étonnent d’être traités comme tels lors des expulsions ; ceux qui se prétendent victimes n’hésitent pas à dénoncer calomnieusement des enseignants dont le seul tort est d’avoir été présent, en appelant, sous le courage de l’anonymat, à la vengeance.  Ces erreurs peuvent être mises sur le compte de la jeunesse -qui, après tout, revendique le droit de se tromper et apprendra de ses errements- ou de la démagogie -qui n’épargne d’ailleurs pas les opposants aux blocages- et, plus sûrement sans doute, de l’idiotie. Tout se mélange et tout le monde y perd : les bloqueurs qui se discréditent eux-mêmes ; les enseignants attristés de lire qu’une fac occupée est une fac libérée, quand le propre de l’Université est justement d’accéder à une forme de liberté par la compréhension du monde ; les étudiants empêchés, boursiers et salariés, qui pensent à leur année. Triste situation qui n’empêche pourtant pas d’en rire. Un chien est ainsi apparu qui, en quelques heures, après avoir évidemment attisé la rancœur, a réussi, avec un peu d’humour, à relativiser les enjeux en faisant sourire bloqués et bloqueurs.

 

D’autres contestations sont plus préoccupantes, parce qu’elles ne sont plus le fait de mouvements étudiants dont l’essence est la protestation, mais parce qu’elles émanent de professionnels soucieux du sort des justiciables. Le retentissement médiatique est inversement proportionnel aux enjeux. L’on a vu et entendu le Défenseur des droits hausser le ton pour expliquer à des députés ignorants que les droits fondamentaux sont tout sauf théoriques, sauf si l’on choisit de les nier. Et les opinions sont restées figées, confirmant, s’il en était besoin, que celui qui ne peut ou ne veut comprendre ne risque pas de changer d’avis. Lorsque les avocats, greffiers et magistrats battent le pavé pour dénoncer une réforme et sa méthode, ils sont inaudibles et n’intéressent pas grand monde, soupçonnés de défendre leurs intérêts personnels, quand ils alertent justement sur le danger qu’il y aurait à voir devenir théoriques des choses aussi banales que l’accès au juge ou les droits de la défense. Car la pratique est budgétaire, il ne faut pas l’oublier. Plus récemment, c’est même l’enseignement pratique des élèves-avocats parisiens qui tend à devenir théorique, puisque le nouveau Palais de Justice leur interdit pour le moment l’accès à la permanence pénale, au juge d’application des peines, au tribunal pour enfants et aux pôles de l’instruction. Au moins auront-ils accès aux salles d’audience où les prévenus comparaîtront derrière des vitres. Qu’importe, nous dit-on, puisque les magistrats sont si éclairés qu’ils connaissent l’importance de la présomption d’innocence. C’est oublier que la justice se donne aussi à voir et que l’image ainsi renvoyée n’est guère flatteuse. Rions donc, «théoriciens» et «praticiens», des révolutionnaires en carton, mais écoutons aussi leurs quelques leçons.

 


 

Sommaire de la revue Lexbase Pénal n° 4 du 19 avril 2018

 

L’incrimination générale de blanchiment d’argent précisée par 20 ans de jurisprudence

par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences HDR, Université de Strasbourg

 

Saisies pénales : axes de défense

par Vincent Ollivier, Avocat à la Cour, ancien secrétaire de la Conférence

 

Panorama de droit pénal spécial (janvier 2017 à mars 2018)

par Laurent Saenko, Maître de conférences à l’université Paris-Sud, Membre du CERDI (Centre d’Etudes et de Recherche en Droit de l’Immatériel)

 

La motivation des peines criminelles (comm. Cons. const., décision n° 2017-694 QPC, du 2 mars 2018)

par Jean-Baptiste Perrier, Professeur à l'Université Aix-Marseille (LDPSC EA-4690), Directeur de l'Institut de sciences pénales et de criminologie (ISPEC), Directeur scientifique des Ouvrages Droit pénal et Procédure pénale

 

Justification de la diffamation : de l’exigence de la vérité du fait diffamatoire… à sa base factuelle suffisante (obs. sous Cass. crim., 27 février 2018, n° 17-81.381, F-D)

par Evan Raschel, Professeur à l'Université Clermont Auvergne, Centre Michel de l'Hospital EA 4232

 

Vers un Procureur (national) anti-terroriste

par Nicolas Catelan, Maître de conférences à l'Université Aix-Marseille (LDPSC EA-4690), Directeur du Master 2 "Lutte contre la criminalité financière et organisée", Directeur scientifique de la revue Lexbase Pénal

 

Précisions sur la nouvelle exigence de motivation de toute peine correctionnelle (obs. sous Cass. crim., 21 mars 2018, n° 16-87.296, FS-P+B)

par Anne Ponseille, Maître de conférences, CERCOP, Faculté de Droit et de Science Politique de Montpellier

 

Le maire se voulait procureur de la République... (obs. sous Cass. crim., 21 mars 2018, n° 17-81.011, FS-P+B)

par Caroline Lacroix, Maitre de conférences HDR en droit privé & sciences criminelles, Membre du CERDACC, Université de Haute Alsace

 

Veille pénale (mars 2018)

par June Perot et Marie Le Guerroué

 

Comité scientifique :

Julie Alix, Professeur à l'Université Lille 2
Delphine Boesel, Avocate au barreau de Paris, Présidente de l'OIP - section française
Antoine Botton, Professeur à l'Université de Toulouse 1 Capitole, Co-directeur de l'Institut Roger Merle
Olivier Décima, Professeur à l'Université de Bordeaux
Didier Guérin, Magistrat, ancien Président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation
Pauline Le Monnier de Gouville, Maître de conférences à l'Université Paris II - Panthéon- Assas
Blandine Thellier de Poncheville, Maître de conférences à l'Université Lyon 3
Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences à l'Université de Lorraine

Direction scientifique :

Nicolas Catelan, Maître de conférences à l'Université Aix-Marseille (LDPSC EA-4690), Directeur du Master 2 "Lutte contre la criminalité financière et organisée"
Jean-Baptiste Perrier, Professeur à l'Université Aix-Marseille (LDPSC EA-4690), Directeur de l'Institut de sciences pénales et de criminologie (ISPEC), Directeur scientifique des Ouvrages Droit pénal et Procédure pénale

Rédactrice en chef :

June Perot

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