Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 10 mai 2017, n° 395447, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1102WCS)
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par Karim Sid Ahmed, Maitre de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise, Directeur du M2 Droit fiscal et douanier
le 06 Juillet 2017
Ainsi, la société requérante a saisi le tribunal administratif de Montpellier de demandes tendant au remboursement de ces créances. Celles-ci ont été rejetées par un jugement du 28 décembre 2012 au motif qu'elles étaient irrecevables (TA Montpellier, 28 décembre 2012, n° 1105301).
Les deux sociétés (filiale et mère) ont conjointement fait appel du jugement auprès de la de la cour administrative d'appel de Marseille. Elles estiment que la société filiale disposait de la qualité pour agir car les dispositions de l'article 223 O du CGI (N° Lexbase : L3199KWE) sont sans influence sur la détermination de cette qualité. Par ailleurs, elles ajoutent que la circonstance que la société mère est au nombre des auteurs de la requête d'appel est de nature à régulariser les demandes présentées devant les premiers juges par la filiale.
Les juges du fond, dans un arrêt en date du 20 octobre 2015, rejettent leur appel (3). Ils rappellent "que seule la société mère pouvait imputer le crédit d'impôt litigieux sur l'impôt sur les sociétés dont elle était redevable ou en demander le remboursement". Avant d'ajouter que "la société mère a accompagné les relevés de solde relatifs aux résultats d'ensemble du groupe au titre des exercices clos en 2009 et 2010 des déclarations relatives au crédit d'impôt en faveur de la recherche établies par la société filiale, et présenté elle-même, en tant que société mère, les demandes de remboursement de ces crédits".
L'argument tenant au fait que la présence de la société mère parmi les auteurs de la requête d'appel aurait permis de régulariser les demandes présentées devant les premiers juges par sa filiale n'a pas davantage convaincu les magistrats. La cour conclut que la filiale était irrecevable à demander devant le tribunal administratif le remboursement desdits crédits d'impôt.
Par la suite, les sociétés concernées ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Elles soutiennent que la cour d'appel a "commis une erreur de droit en jugeant qu'au sein d'un groupe fiscalement intégré, seule la société mère était recevable à demander le remboursement des créances correspondant à l'excédent des crédits d'impôt résultant des dépenses de recherche effectuées par les sociétés du groupe".
La Conseil d'Etat, dans un arrêt du 10 mai 2017, rejette le pourvoi au motif que la société mère était la seule recevable à demander le remboursement des créances correspondant à l'excédent des crédits d'impôt résultant des dépenses de recherche effectuées par les sociétés du groupe. Toutefois, les juges du Palais-Royal admettent qu'en vertu du principe de solidarité (CGI, art. 223 A), une réclamation (exemple : remboursement d'un crédit d'impôt) introduite par une société membre est recevable si la société mère du groupe lui a confié un mandat régulier. Or, tel n'était pas le cas dans cette affaire.
De prime abord, la question posée par cet arrêt ne semble pas d'une particulière complexité. En effet, et cela est suffisamment rare pour le mentionner, l'article 223 O du CGI est limpide et ne laisse guère la place au doute et à l'interprétation. Il est ainsi indiqué que "la société mère est substituée aux sociétés du groupe pour l'imputation sur le montant de l'impôt sur les sociétés dont elle est redevable au titre de chaque exercice [...] des crédits d'impôt pour dépenses de recherche dégagés par chaque société du groupe en application de l'article 244 quater B". Cette clarté souvent fuyante en droit fiscal n'enlève pourtant pas tout intérêt à cette décision. La raison principale est que l'on se trouve face à une des questions les plus épineuses de la fiscalité des affaires qui est celle de l'appréhension par le droit fiscal d'une réalité économique qu'est le groupe de sociétés. Celui-ci peut être défini comme un ensemble de sociétés qui, tout en conservant leur existence juridique propre, se trouve liées les unes aux autres de sorte que l'une d'elles, la société mère, qui tient les autres sous sa dépendance, en fait ou en droit, exerce un contrôle sur l'ensemble des sociétés dominées et fait prévaloir une unité de décision.
Le droit fiscal, sans aller jusqu'à reconnaitre la personnalité morale aux groupes de sociétés, a fait le choix de ne pas ignorer leurs spécificités. C'est l'article 223 A du CGI qui s'est engagé le plus loin sur cette voie en instaurant le régime de l'intégration fiscale qui permet à la société mère de "se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital". Il s'agit d'un pas important effectué par le législateur en faveur de la reconnaissance de la personnalité fiscale du groupe de sociétés. La jurisprudence, quant à elle, a eu l'occasion s'agissant du contrôle fiscal des filiales de groupes intégrés de rappeler que l'administration fiscale ne pouvait faire abstraction de l'existence de ceux-ci. L'administration est ainsi tenue d'indiquer à la société mère les conséquences de la vérification de comptabilité de la filiale sur le résultat d'ensemble du groupe (exemple : CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2013, n° 338133, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3703KRL).
Il apparaît dès lors très nettement que le droit fiscal a entendu faire de la société mère l'organe central du régime de l'intégration fiscale. En effet, la consolidation fiscale a pour conséquence que l'impôt sur les sociétés ne sera acquitté que par la société tête de groupe. Celle-ci est ainsi seule redevable des impôts sur les résultats du groupe. Toutefois, chaque société du groupe est solidairement tenue des impôts dus par la société tête de groupe à hauteur de la fraction des impôts correspondant à ses résultats.
L'arrêt du 10 mai 2017 vient en quelque sorte raviver la question des rôles reconnus à chaque entité du groupe intégré. On sait que les sociétés membres conservent leur personnalité morale même après leur entrée dans le périmètre d'intégration. Ce qui explique qu'elles continuent de souscrire une déclaration de résultat. A ce stade, les membres du groupe se voient donc reconnaître un rôle et une place par le droit fiscal au sein du groupe intégré. Néanmoins, la phase ultérieure de détermination et d'imposition du résultat d'ensemble les écarte totalement au profit de la société mère.
En l'espèce, les dépenses de recherche avaient été déclarées conformément à cette répartition des rôles par la société filiale. Le crédit d'impôt obtenu conformément à l'article 244 quater B du CGI a ensuite fait l'objet d'une imputation sur l'imposition du résultat d'ensemble. Enfin, la société mère a demandé à l'administration fiscale le remboursement immédiat des créances fiscales correspondant à l'excédent de ce crédit d'impôt après imputation sur l'impôt sur les sociétés d'ensemble du groupe.
On remarquera, au cas présent, que la demande a été bien effectuée par la société mère et non par sa filiale. Ce qui pourrait laisser supposer qu'elle connaissait les subtilités propres à l'organisation "institutionnelle" du groupe intégré. Pourtant, ce n'est pas elle mais sa filiale qui a saisi le tribunal administratif de Marseille de demandes tendant au remboursement de ces créances. On rappellera que la filiale ne disposait d'aucun mandat pour agir au nom de la société intégrante. Cet oubli aurait pu être évité car au stade de l'instance juridictionnelle, dans le délai de recours contentieux, le défaut de qualité du signataire de la demande introductive d'instance ou de la requête peut être régularisé par la production d'un mandat (4). La jurisprudence eu l'occasion d'affirmer à plusieurs reprises qu'après notification d'une décision de rejet pour irrecevabilité, le vice de forme peut être régularisé par la demande adressée au tribunal administratif, dans le délai de recours contentieux, présentée par le contribuable lui-même (CAA Nancy, 19 juin 1990, n° 89NC00224 N° Lexbase : A9982AWM) ou par une personne ayant qualité pour agir en son nom sans mandat (CE 8° et 9° s-s-r., 1er mars 1989, n° 79218 et 79283, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0716AQL ; CE 7° et 8° s-s-r., 3 mai 1989, n° 78223, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1182AQT), ainsi que par une personne dûment mandatée. On soulignera que les juges administratifs se montrent plus conciliants que leurs homologues judiciaires s'agissant de la régularisation d'un vice de forme. La jurisprudence de la Cour de cassation est fluctuante sur la question, tantôt favorable (Cass. com., 16 mai 1995, n° 93-18.216), tantôt défavorable (Cass. com., 10 octobre 1989, n° 87-19.363 N° Lexbase : A0018CR4) à une telle régularisation.
La régularisation selon les requérants était intervenue au stade de l'appel car la société mère figurait parmi les auteurs de la requête d'appel. Le Conseil d'Etat, à l'instar de la cour administrative d'appel, n'a pas estimé cette "régularisation" recevable. Cette solution est conforme à la jurisprudence administrative relative à la régularisation des vices de forme. La Haute juridiction n'a donc pas souhaité faire une entorse à celle-ci s'agissant du crédit d'impôt recherche. Du point de vue des principes, cela aurait été difficilement justifiable mais le besoin actuel de soutenir les activités de recherche et développement des entreprises aurait pu conduire à une toute autre solution fondée sur le pragmatisme.
On soulignera, en dernier lieu, que cette jurisprudence fait d'une certaine manière écho à celle qui refuse de reconnaître l'intérêt de groupe comme fait justificatif en matière d'acte anormal de gestion (5). Pour échapper au couperet qu'est acte anormal de gestion, une filiale ne peut se prévaloir de son appartenance au groupe. Ainsi, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, on aurait pu considérer que la société filiale était recevable à demander le remboursement des créances fiscales du fait de son appartenance à un groupe intégré.
Il apparaît qu'au-delà de la question de la régularisation d'un vice de forme, cet arrêt met en lumière une nouvelle fois les problèmes engendrés sur le plan fiscal par l'absence de reconnaissance de personnalité morale aux groupes de sociétés.
(1) CGI, art. 244 quater B, al. 1 : "Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies (N° Lexbase : L3941KWU), 44 sexies A (N° Lexbase : L0952I7E), 44 septies (N° Lexbase : L4650I7D), 44 octies (N° Lexbase : L1927KGH), 44 octies A (N° Lexbase : L1926KGG), 44 duodecies (N° Lexbase : L9750I3I), 44 terdecies (N° Lexbase : L3061LCD) à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année".
(2) CGI, art. 199 ter B, al. 1 : "Le crédit d'impôt pour dépenses de recherche défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur le revenu dû par le contribuable au titre de l'année au cours de laquelle les dépenses de recherche prises en compte pour le calcul du crédit d'impôt ont été exposées. L'excédent de crédit d'impôt constitue au profit de l'entreprise une créance sur l'Etat d'égal montant. Cette créance est utilisée pour le paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée puis, s'il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l'expiration de cette période".
(3) CAA Marseille, 20 octobre 2015, n° 13MA00854 (N° Lexbase : A3251NUX).
(4) BOI-CTX-PREA-10-50-20120912, n° 330 (N° Lexbase : X5222ALY).
(5) CE 3° et 8° s-s-r., 28 avril 2006, n° 278738, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1995DPL).
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