La lettre juridique n°705 du 6 juillet 2017 : Sociétés

[Jurisprudence] La rémunération du gérant de la SARL est due tant qu'aucune décision la révoquant n'est intervenue

Réf. : Cass. com., 21 juin 2017, n° 15-19.593 F-P+B+I (N° Lexbase : A4283WIH)

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par Bernard Saintourens, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 06 Juillet 2017

La rémunération des dirigeants de sociétés suscite l'attention du législateur et, au-delà, des médias et du public lorsqu'il s'agit de grandes sociétés de capitaux. Les sommes en jeu peuvent, en effet, atteindre parfois des altitudes vertigineuses dont on peine à asseoir la légitimité. Plus rarement, les interrogations portent sur la rémunération de la multitude des dirigeants d'entreprises sociétaires qui sont en charge la gestion des PME. Le contentieux suscité à propos de la rémunération des gérants de SARL est relativement rare et l'on retiendra d'autant plus volontiers l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 21 juin 2017, fortement encouragé en cela par la large diffusion voulue par la Haute juridiction elle-même (P+B+I). En l'espèce, le co-gérant d'une SARL bénéficiait d'une rémunération mensuelle de 6 000 euros, qui avait été fixée par une décision prise par l'assemblée générale ordinaire de cette société. Ayant dû s'absenter de la société pour cause de maladie, le versement de sa rémunération, pour la période de temps concernée, était refusé, à la suite bien sûr d'un changement du contrôle de la société. La cour d'appel de Rennes, par son arrêt en date du 7 avril 2015 (1), pour rejeter la demande en paiement de la fraction de rémunération en cause sollicitée par le gérant, avait retenu que l'indemnité due au gérant devait correspondre à un travail réalisé pour la société, travail qu'il ne pouvait accomplir étant absent pour cause de maladie et faute pour lui d'apporter la preuve qu'il était demeuré à même d'exercer sa fonction de gérant.

La Chambre commerciale prononce la cassation de l'arrêt en affirmant, dans un attendu qui apparaît bien comme étant de principe, que la rémunération est due au gérant tant qu'aucune décision la révoquant n'est intervenue. La position est d'importance et ses incidences méritent d'être bien mesurées, tant en ce qu'il en résulte que la rémunération du gérant est pérenne par principe (I) que parce que sa suppression ne peut intervenir que de manière exceptionnelle (II).

I - Une rémunération pérenne par principe

Une première observation doit être faite, à la lecture de l'arrêt sous examen. La Chambre commerciale, pour prononcer la cassation de l'arrêt de la cour d'appel pour violation de la loi, se place sous le visa de l'article L. 223-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L2030KGB). On peut tout de suite éviter au lecteur de s'y précipiter pour tenter d'y trouver une quelconque règle légale qui viendrait encadrer l'octroi et la suppression de la rémunération du gérant. Pour dire les choses clairement, ce texte est rigoureusement muet sur ce point. Il est certes relatif à ce que l'on dénomme, par commodité, le statut du gérant et envisage sa nomination, la durée de ses fonctions et ses pouvoirs mais ne dit mot de son éventuelle rémunération. Parce qu'il était difficile d'envisager qu'une question aussi potentiellement sensible demeure dans une sorte de non-droit, la doctrine (2) et la jurisprudence ont pris le parti de rattacher ce point à l'article L. 223-18 du Code de commerce, faute de mieux. On retrouve d'ailleurs cette référence de texte tant dans d'anciennes décisions (3) que dans de plus récentes (4) et traitant du contentieux de la rémunération des gérants de SARL.

Sans doute est-ce dans l'arrêt précité du 25 septembre 2012, (5) que l'on retrouve l'expression la plus emblématique de la position de la Cour de cassation. En affirmant que "la rémunération du gérant de la SARL est déterminée soit par les statuts, soit par une décision de la collectivité des associés", la Haute juridiction vient donner, par principe, un caractère pérenne à la rémunération octroyée au gérant. L'arrêt commenté se situe donc pleinement dans ce courant jurisprudentiel, en tirant une conséquence logique et protectrice des intérêts du gérant. Sa rémunération, telle qu'accordée par la stipulation statutaire ou, plus fréquemment, par une décision collective des associés, lui est acquise tant qu'elle n'est pas révoquée dans une autre décision de même nature. Même des circonstances qui empêcheraient l'exercice effectif des fonctions de gérant ne constituent pas, en elles-mêmes, des causes validant l'interruption du versement de la rémunération initialement octroyée.

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, la maladie du gérant était invoquée comme devant provoquer le non-paiement de la rémunération. Antérieurement, il avait été jugé que la rémunération demeurait due alors même qu'un administrateur provisoire avait été nommé en justice et qu'en conséquence le gérant se trouvait, pour la durée du mandat de l'administrateur, déchargé de toutes ses tâches (6).

L'arrêt en date du 21 juin 2017 sonne donc comme un rappel à l'ordre : les évènements, en eux-mêmes, sont impropres à entraîner la suppression de la rémunération du gérant. La rémunération est conservée tant que la décision qui l'avait octroyée n'est pas révoquée par une autre décision émanant de la collectivité des associés.

II - Une rémunération supprimée par exception

Si l'on suit la position de la présente décision et que l'on se situe dans la perspective des précédents jurisprudentiels en la matière, on ne peut que constater que la suppression de la rémunération qui aurait été octroyée à un gérant de SARL ne peut être qu'exceptionnelle et suppose un traitement juridique approprié.

En premier lieu, pour s'en tenir à l'indication fournie dans l'arrêt, une décision de la collectivité des associés pourrait interrompre le versement de la rémunération. Libres d'octroyer, ou non, une rémunération au gérant, les associés sont en droit de revenir sur une décision précédente et de mettre un terme à la rétribution initialement accordée. Ainsi, prenant acte de la cessation effective des fonctions, liée, par exemple, à la maladie du gérant, les associés sont en droit de supprimer la rémunération pour le temps correspondant à l'impossibilité pour l'intéressé d'accomplir normalement les fonctions pour lesquelles il était rémunéré.

En second lieu, au-delà de ce qu'envisage l'arrêt commenté, il nous semble admissible que, dès la décision d'octroi de la rémunération, il puisse être prévu des hypothèses entraînant la cessation temporaire ou définitive de la rémunération accordée. Diverses causes d'interruption de la rémunération pourraient être envisagées, tenant à la situation personnelle du gérant (maladie, évènement familial grave...) mais aussi aux résultats de la société. Dans ce dernier cas de figure, il pourrait être prévu, dès l'octroi initial de la rémunération, qu'elle serait réduite, voire supprimée, en considération des comptes sociaux, par paliers ou par l'effet d'un seuil unique. Dans tous les cas, la stipulation devrait être précise si l'on entend lui donner un caractère automatique et éviter le contentieux de sa mise en oeuvre. En observation ultime, on relèvera que si le gérant est associé, il prendra part à la décision collective statuant sur la suppression de sa rémunération (7).


(1) CA Rennes, 7 avril 2015, n° 14/02090 (N° Lexbase : A1337NGM).
(2) V. not. P. Le Cannu et B. Dondéro, Droit des sociétés, Lextenso éd., n° 1364.
(3) V. not. Cass. com., 18 novembre 1997, n° 95-19.085 (N° Lexbase : A2284AZM), RJDA, 3/98, n° 293.
(4) V. not. Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-22.754, F-P+B (N° Lexbase : A5922ITI), D., 2012, p. 2301, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2012, 35, note D. Gallois-Cochet ; Bull Joly Sociétés, 2013, p. 22, note B. Dondéro ; Ch. Lebel, Lexbase, éd. aff., 2012, n° 312 (N° Lexbase : N3936BTX) . V., également, Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-22.337, F-P+B (N° Lexbase : A6036ITQ), Rev. Sociétés, 2013, p. 104, note A. Couret ; Bull Joly Sociétés, 2013, p. 26, note B. Dondéro.
(5) Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-22.754, F-P+B, préc..
(6) V. Cass. com., 21 avril 1992, n° 90-19.860, publié (N° Lexbase : A4315ABG), Bull Joly Sociétés, 1992, p. 661, note P. Le Cannu.
(7) V. Cass. com. 4 octobre 2011, n° 10-23.398, F-P+B (N° Lexbase : A5962HYH), RJDA 12/11, n° 1036.

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