La lettre juridique n°701 du 8 juin 2017 : Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Exonération de la plus-value sur la vente de la résidence principale : de la "normalité" temporelle et des diligences "nécessaires" en droit fiscal

Réf. : CAA Paris, 3 mai 2017, n° 16PA03412, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7488WBX)

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N8610BWS

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[Jurisprudence] Exonération de la plus-value sur la vente de la résidence principale : de la "normalité" temporelle et des diligences "nécessaires" en droit fiscal. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/41239136-jurisprudence-exoneration-de-la-plus-value-sur-la-vente-de-la-residence-principale-de-la-normalite
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité)

le 08 Juin 2017

L'article 150 U du CGI (N° Lexbase : L1327LDI) incarne l'esprit du "libéralisme propriétarien" au coeur de notre civilisation politique, économique et juridique. Sur ce fondement, une plus-value, advenant à la suite de la cession du logement entendu comme résidence principale du cédant au jour de cession, fait l'objet d'une louable exonération. Si le principe semble clair, son application ne manque pas de générer un contentieux abondant, l'administration ayant tendance à remettre en cause l'exonération de la plus-value lorsqu'elle estime que le bien ne mérite pas la qualité de résidence principale. Dans une décision du 3 mai 2017, la cour administrative d'appel de Paris fait droit aux prétentions de la requérante (CAA Paris, 3 mai 2017, n° 16PA03412, inédit au recueil Lebon). Celle-ci demandait la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle avait été assujettie au titre de l'année 2009 ; le tribunal administratif de Paris avait initialement rejeté sa demande (TA Paris, 27 septembre 2016, n° 1517242/2-1). Après avoir (rapidement) estimé que la requérante n'était pas recevable à demander la décharge des contributions sociales, la cour cogite sur la seule question de la décharge de la cotisation supplémentaire d'IR. La requérante invoque, à l'appui de sa cause, l'instruction 8 M 1-09 n° 35 du 31 mars 2009 (N° Lexbase : X5934AEI) : dès lors qu'un immeuble a été occupé jusqu'à sa mise en vente par le contribuable, ce dernier bénéficie, sur le fondement de l'article 150 U du CGI, de l'exonération de la plus-value de cession... à condition que la vente intervienne dans un délai regardé comme "normal".

Par normal, il faut entendre ici un délai de deux ans pour les cessions opérées en 2009 ou 2010. Partant du principe que l'administration, à qui échoit la dévolution de la preuve, ne démontre pas que déménagement il y a eu plus de deux avant la cession du bien immobilier, la requérante récuse toute remise en cause du bénéfice de l'exonération de la plus-value. De même, estime-t-elle qu'elle ne saurait souffrir de l'application de la majoration pour manquement délibéré. Le cour administrative rappelle, dans un considérant n° 4 porteur de bien des qualités juridiques, les principes devant gouverner l'action de l'administration fiscale en la matière : "un immeuble ne perd pas sa qualité de résidence principale du cédant au jour de la cession du seul fait que celui-ci a libéré les lieux avant ce jour, à condition que le délai pendant lequel l'immeuble est demeuré inoccupé puisse être regardé comme normal ; [...] il en va ainsi lorsque le cédant a accompli les diligences nécessaires, compte tenu des motifs de la cession, des caractéristiques de l'immeuble et du contexte économique et réglementaire local, pour mener à bien cette vente dans les meilleurs délais à compter de la date prévisible du transfert de sa résidence habituelle dans un autre lieu".

On entrevoit combien l'application de ce principe peut se relever ardue tant elle est conditionnée par des notions contingentes et subjectives pouvant conduire à des qualifications, et donc à des interprétations bien différentes et potentiellement contradictoires. Quid d'un délai "normal" ? Quid des diligences "nécessaires" ? Quid du "contexte" économique local ? Quid d'une date "prévisible" ? Il n'est guère étonnant que l'administration souligne que la résidence habituelle du contribuable, à savoir le lieu où il réside "habituellement pendant la majeure partie de l'année" soit une "question de fait qu'il appartient à l'administration d'apprécier" (BOI-RFPI-PVI-10-40 N° Lexbase : X9356AL4). Cette définition tautologique (résidence habituelle = lieu de résidence où le cédant réside habituellement la majeure partie de l'année) ne manque pas d'impressionner ; d'autant que l'administration ajoute, toujours sensible au principe de légalité, "sous le contrôle du juge de l'impôt" (BOI-RFPI-PVI-10-40), formule qui ne peut que rassurer le contribuable pressé de se débarrasser de son bien immobilier.

On l'a compris, aucun délai maximum ne peut, a priori, être fixé en ce qui concerne la réalisation de la cession ; selon l'administration, seule peut valoir une "appréciation circonstanciée de chaque situation, y compris au vu des raisons conjoncturelles qui peuvent retarder la vente" afin de déterminer la dimension normale/anormale du délai de vente (BOI-RFPI-PVI-10-40). L'administration considère que le délai d'une année, "dans un contexte économique normal", mérite d'être regardé comme un "délai maximal" (BOI-RFPI-PVI-10-40). Le mariage fécond de la "normalité" et de la "maximalité" obligent donc, selon l'administration, à retenir le délai d'une année pour bénéficier de la qualité de résidence principale et de la notable exonération qui en découle. Quid dans notre espèce de cette question de fait analysée à l'aune des vertus fiscales de la normalité (délai), des diligences (nécessaires), de la contextualité (économique et réglementaire) locale, et de la prévisibilité (date) ?

Présentement, la requérante demandait à jouir de l'exonération prévue à l'article 150 U du CGI alors même qu'un délai de 22 mois s'était écoulé entre la mise en vente du bien immobilier et sa vente (septembre 2007... juin 2009). De manière méthodique, la cour évalue cette fameuse "question de fait". Pour soutenir que le bien cédé constituait bien sa résidence principale jusqu'au 31 décembre 2008, la requérante produit des factures d'électricité établies à son nom pour les années 2007 et 2008 ; la consommation d'électricité relevée est "significative et constante" ; de plus, la requérante a été imposée en 2007 et 2008 à la taxe d'habitation à raison du bien immobilier au coeur du litige. Quand bien même la requérante a déménagé à Cannes (voir ci-après pour l'importance de cette ville dans le contentieux) en octobre 2007, cela ne saurait constituer un élément susceptible de lui nuire fiscalement : nonobstant le déménagement, il y a "occupation effective" du bien jusqu'en décembre 2008 au regard des "factures d'électricité établies au nom de la requérante".

Moralité : même si vous habitez un endroit du territoire français porteur d'un micro climat connaissant le soleil tout au long de l'année, même si vous être amoureux d'une fraicheur rigoriste ou si vous êtes tout simplement radin, il appert que la consommation régulière et substantielle d'électricité s'avère bénéfique pour votre santé fiscale dans l'hypothèse de la vente de votre résidence principale.

Par ces premiers éléments évoqués, la cour, dans le cadre du balancement des intérêts en présence qu'il lui convient de peser, semble pencher plutôt du côté de la requérante. D'autant que le juge morigène quelque peu l'administration en ses prétentions non argumentées : cette dernière évoquait en effet la possibilité de l'occupation du bien par une tierce personne. Etait ainsi mise en avant la thèse de l'occupation du bien : si tel est le cas (location du bien ou occupation du bien à titre gratuit par des membres de la famille du propriétaire ou des tiers), le mécanisme d'exonération de l'article 150 U du CGI ne joue pas. Le juge ne suit pas l'administration sur ce terrain, faute de matière probatoire à l'appui d'une telle assertion : il n'est pas apporté "le moindre élément qui permettrait d'étayer son affirmation".

Restait la question des enfants, question souvent problématique pour des contribuables luttant avec l'administration fiscale quand il s'agit de déterminer le lieu de résidence principale. Car les enfants de la requérante sont alors scolarisés, durant la période litigieuse considérée, à Cannes, station balnéaire assez éloignée de Tourgeville (lieu du bien immobilier cédé). Avec les documents par elle produits, la requérante a apporté de logiques justifications. Sa situation familiale (elle est séparée du père de ses enfants, père qui réside à Cannes et avait, à la date de la cession, la garde des enfants) explique une telle configuration. Quant aux attendues "diligences nécessaires", elles ont bien été accomplies selon le juge de l'impôt puisque la requérante a confié, et ce dès le mois de septembre 2007, un mandat de vente à une agence immobilière.

La cour conclut que la requérante peut bénéficier de l'exonération de la plus-value par elle réalisée lors de la vente du bien immobilier qui constituait effectivement sa résidence principale au moment de la cession. On ne peut que louer la décision des juges parisiens. Nonobstant le délai de 22 mois entre la mise en vente et la vente du bien immobilier, le contribuable ne perd pas le bénéfice de l'exonération de la plus-value prévue à l'article 150 U du CGI. La cour reprend la politique jurisprudentielle du Conseil d'Etat. Celui-ci avait par exemple rendu une décision assez similaire le 7 mai 2014 (CE 3° et 8° s-s-r., 7 mai 2014, n° 356328, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9363MKY). La décision mérite intérêt par sa brièveté et par la dimension négative du raisonnement adopté par le Conseil d'Etat.

On sait que c'est souvent par la négative, en censurant ce que le juge d'appel n'a pas fait, que le Conseil d'Etat apporte sa pierre à l'édifice contentieux. Dans cette décision de 2014, le Conseil d'Etat, après avoir rappelé les principes gouvernant son action ("un immeuble ne perd pas sa qualité de résidence principale du cédant au jour de la cession du seul fait que celui-ci a libéré les lieux avant ce jour [...] pour mener à bien cette vente dans les meilleurs délais à compter de la date prévisible du transfert de sa résidence habituelle dans un autre lieu"), censure l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1er décembre 2011, 10NT02095 N° Lexbase : A2216H8L). L'arrêt mérite censure car la cour nantaise s'est bornée de relever que la requérante n'occupait plus le bien immobilier à la date de cession "sans rechercher si le délai pendant lequel ce bien était demeuré inoccupé pouvait, dans les circonstances de l'espèce [...] être regardé comme normal". Une erreur de droit a été commise par la cour administrative d'appel de Nantes.

Qu'il s'agisse du Conseil d'Etat ou des cours administrative d'appel, une ligne directrice assez claire semble émerger. Eu égard à la contingence des éléments en présence (motifs de la cession, caractéristiques de l'immeuble, contexte économique et réglementaire local), une lecture formelle de l'article 150 U du CGI par l'administration serait l'incarnation de la non équité fiscale. La volatilité même du marché immobilier et les contraintes existentielles des contribuables conduisent le juge à écarter, en fonction de l'espèce, le raisonnement minimaliste temporel de l'administration. Retenir une lecture restrictive de la formule "dans les meilleurs délais" pourrait conduire à nuire gravement aux intérêts des propriétaires soucieux de vendre leur bien dans des conditions matérielles/financières acceptables. Ou tout simplement à porter atteinte indûment au droit de propriété en ce qu'il implique possibilité de cession du bien, et ce en bénéficiant d'une exonération souhaitée par le législateur lui-même.

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