Réf. : Cass. soc., 23 mai 2017, n° 15-25.250, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1068WEB)
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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 08 Juin 2017
Résumé
Si le temps alloué à un représentant élu du personnel ou à un représentant syndical pour l'exercice de son mandat est de plein droit considéré comme temps de travail et si le salarié ne peut être privé des jours de repos compensateur du fait de l'exercice de ses mandats durant cette période de repos compensateurs, il résulte de l'article D. 3121-14 du Code du travail (N° Lexbase : L7287IBI) alors applicable que ce n'est que lorsque le contrat de travail prend fin avant que le salarié ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu'il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos qu'il reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis. |
Observations
I - Heures de délégation et suspension du contrat de travail
La faculté d'exercer le mandat. Comme tout autre salarié, un représentant du personnel peut voir son contrat de travail suspendu en raison de la survenance de divers évènements. Le Code du travail n'a cependant nullement réglé les conséquences de cette suspension sur l'exercice du mandat de représentant du personnel. Saisie de la question, la Cour de cassation a décidé, à de multiples reprises, que la suspension de l'exécution du contrat de travail n'a pas pour effet de suspendre le mandat de représentation (1), y compris lorsque la suspension trouve sa cause dans une mise à pied disciplinaire ou conservatoire (2) ou que le salarié est en arrêt maladie (3).
Dès lors que la suspension du contrat de travail ne fait pas obstacle à l'exercice des fonctions de représentants du personnel, il en résulte nécessairement que le salarié est en droit de prendre les heures de délégation auxquelles il a droit. La situation fait cependant naître une importante difficulté technique relative au paiement de ces heures de délégation.
La rémunération des heures de délégation. En application de la loi, les heures de délégation sont de plein droit considérées comme temps de travail (4). Il en résulte que les représentants du personnel ne doivent subir aucune perte de salaire du fait de l'exercice de leurs fonctions. La rémunération des heures consacrées au mandat doit être calculée de telle sorte qu'ils perçoivent le même salaire que s'ils avaient effectivement travaillé. Si la situation se conçoit bien lorsque le salarié prend ses heures de délégation durant son temps de travail, voire en dehors de celui-ci (5), elle s'avère plus problématique lorsque le contrat de travail se trouve suspendu. Dans une telle hypothèse, le représentant du personnel peut-il prétendre à la rémunération des heures de délégation ?
Dans la mesure où ces dernières sont assimilées à du temps de travail, on est tenté de répondre par l'affirmative. La Cour de cassation a, à cet égard, pu considérer que les heures de délégation utilisées par des représentants du personnel au cours d'un mouvement de grève doivent être rémunérées (6). Mais elle a aussi décidé que lorsqu'un salarié a perçu une indemnité de congés payés, il ne peut la cumuler avec les sommes dues au titre des heures de délégation utilisées pendant la période de congés payés afférente (7).
Cette dernière solution peut se justifier par l'idée que si le salarié ne doit subir aucune perte de rémunération du fait de l'exercice de ses heures de délégation, il ne doit pas non plus en retirer un bénéfice indu, en cumulant, pour une même période, une indemnité et une rémunération. Il s'agirait donc de rechercher une égalité de situation entre les salariés, qu'ils exercent ou non un mandat de représentant du personnel (8). Ce raisonnement peut expliquer la solution retenue dans l'arrêt sous examen, dans lequel le représentant du personnel n'était pas en congé, mais bénéficiait de repos compensateurs.
II - Heures de délégation et repos compensateur obligatoire
L'affaire. Etait, en l'espèce, en cause, une salariée titulaire de plusieurs mandats représentatifs. L'employeur ayant cessé, à compter du mois de mars 2015, de lui payer les heures de délégation effectuées lors de ses contreparties obligatoires en repos, la salariée avait saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes en paiement des heures de délégation effectuées en mars et avril 2015, outre les congés payés afférents.
Pour condamner l'employeur au paiement provisionnel des sommes réclamées, le juge des référés avait retenu que, le représentant du personnel, qui bénéficie de jours de repos compensateurs conventionnels (contrepartie obligatoire à repos) et utilise ses heures de délégation pendant ce repos, est en droit de bénéficier de la quote-part de repos correspondant au temps de délégation. Or, en l'espèce, l'employeur n'avait pas procédé au report de la quote-part de la contrepartie obligatoire en repos de la salariée correspondant au temps de l'exercice de ses mandats pendant cette période.
Le jugement est censuré au visa de l'article D. 3121-14 du Code du travail alors applicable, ensemble l'article R. 1455-7 du Code du travail (N° Lexbase : L0818IAK). Ainsi que l'affirme la Cour de cassation, "en statuant ainsi, alors que, si le temps alloué à un représentant élu du personnel ou à un représentant syndical pour l'exercice de son mandat est de plein droit considéré comme temps de travail et que la salariée ne pouvait être privée des jours de repos compensateur du fait de l'exercice de ses mandats durant cette période de repos compensateurs, il résulte de l'article D. 3121-14 du Code du travail alors applicable que ce n'est que lorsque le contrat de travail prend fin avant que le salarié ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu'il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos, qu'il reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis, ce dont il résultait que, le contrat de la salariée n'ayant pas été rompu, sa demande, non en report de ses jours de repos compensateurs mais en paiement de l'indemnité correspondante se heurtait à une contestation sérieuse, la formation de référé du conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés".
Il résulte, au premier chef de cette solution que, conformément aux prescriptions de l'article R. 1455-7 du Code du travail, la formation de référé ne pouvait accorder une provision au créancier, dans la mesure où l'existence de l'obligation était sérieusement contestable. Mais c'est précisément l'objet de cette contestation qui doit ici retenir l'attention.
Une rémunération des heures de délégation sous condition. Pour aller à l'essentiel, on rappellera qu'un salarié qui accomplit des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel doit bénéficier d'une contrepartie obligatoire en repos (9). Pendant ce temps de repos, l'exécution du contrat de travail du salarié est, par hypothèse, suspendu sans que, pour autant, et conformément à ce qui a été dit précédemment, le mandat de représentant du personnel dont il peut se trouver par ailleurs investi, se trouve lui-même suspendu. Par voie de conséquence, il est en mesure de prendre des heures de délégation.
Ainsi que le laisse clairement entendre la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, ces heures de délégation, dont il faut rappeler qu'elles sont de plein droit considérées comme temps de travail, ne sauraient venir amputer le repos du salarié. En d'autres termes, et pour que celui-ci conserve sa raison d'être, le salarié doit bénéficier du report de la quote-part de la contrepartie obligatoire au repos qu'il n'a pu prendre du fait de ses heures de délégation. On remarquera que les juges du second degré n'avaient pas dit autre chose, en l'espèce. Mais ils avaient décidé que, faute pour l'employeur d'avoir procédé au report, il devait payer à la salariée ses heures de délégation.
C'est à ce stade que la Cour de cassation s'éloigne du raisonnement des juges d'appel ; de manière justifiée, à notre sens. En effet, en condamnant l'employeur à payer à la salariée des heures de délégation, ces derniers autorisaient le cumul entre la rémunération des heures de délégation et l'indemnisation du repos obligatoire. Rappelons, en effet, que selon l'ancien article D. 3121-9 du Code du travail (N° Lexbase : L7335IBB) (10), la contrepartie obligatoire en repos est assimilée à une période de travail effectif et donne lieu à une indemnisation qui n'entraîne aucune diminution de rémunération par rapport à celle que le salarié aurait perçue s'il avait accompli son travail.
Admettre un tel cumul reviendrait à accorder un certain privilège au salarié investi d'un mandat de représentant du personnel. Or, comme il a été dit précédemment, la loi entend simplement assurer une égalité de situation ou, plus exactement, interdire que le représentant du personnel subisse un préjudice du fait de l'exercice de son mandat.
Ainsi, pas plus que l'indemnité de congés payés, l'indemnisation du repos obligatoire ne saurait se cumuler avec le paiement des heures de délégation. En revanche, le salarié doit pouvoir bénéficier de l'intégralité de ce repos et, dès lors, obtenir son report. Reste alors l'hypothèse dans laquelle, du fait de la rupture de son contrat de travail, le salarié ne peut bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos. La question est réglée par l'ancien article D. 3121-14 du Code du travail (11) qui prévoit, comme le rappelle la Cour de cassation, que ce n'est que lorsque le contrat de travail prend fin avant que le salarié ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit, ou avant qu'il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos, qu'il reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.
En conséquence de tout cela, soit le contrat de travail est en cours, et le salarié doit bénéficier d'un repos équivalent aux heures de délégation prises durant le repos compensateur (12), soit le contrat a pris fin, et le salarié est en droit de prétendre, sinon au paiement de ces heures de délégation, du moins à l'indemnité correspondant au repos non pris. Mais dans la mesure où, tant les heures de délégation que le repos compensateur sont assimilés à du temps de travail, le salarié sera rempli de ses droits.
Au final, la solution retenue apparaît équilibrée (13). Le salarié investi d'un mandat de représentant du personnel est assuré de pouvoir exercer ses fonctions sans subir le moindre préjudice, mais sans non plus bénéficier d'un traitement privilégié par rapport à ses collègues de travail.
(1) V. par ex., Cass. crim., 25 mai 1983, n° 82-91.538, publié (N° Lexbase : A1814AAG), Bull. crim., n° 153 (chômage technique) ; Cass. soc., 27 février 1985, n° 82-40.173, publié (N° Lexbase : A1718AAU), Bull. civ. V, n° 124 (fait de grève).
(2) Cass. soc., 2 mars 2004, n° 02-16.554, publié (N° Lexbase : A3741DB8), Bull. civ. V, n° 71 ; Cass. crim., 11 septembre 2007, n° 06-82.410, F-P+F (N° Lexbase : A6902DYB), Bull. crim., n° 199.
(3) Cass. mixte, 21 mars 2014, n° 12-20.002, P-B+R+I (N° Lexbase : A2650MHM) ; nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 565 (N° Lexbase : N1577BUX) ; JCP éd. S., 2014, 621, note D. Corrignan-Carsin.
(4) C. trav., art. L. 2143-17 (N° Lexbase : L2207H9M), L. 2315-3 (N° Lexbase : L2669H9Q) et L. 2325-7 (N° Lexbase : L9801H8I).
(5) Auquel cas, on le sait, les heures de délégation doivent être traitées comme des heures supplémentaires.
(6) Cass. soc., 27 février 1985, n° 82-40.173, publié, préc.. Il convient de noter qu'était en cause, en l'espèce, le temps passé en réunion avec l'employeur.
(7) Cass. soc., 19 octobre 1994, n° 91-41.097, inédit (N° Lexbase : A1725ABI) ; RJS 12/94, n° 1419.
(8) V., en ce sens, les obs. préc. à la RJS 12/94. Mais, en ce cas, on s'explique mal le paiement des heures de délégation prises pendant une grève, alors que, faut-il le rappeler, un salarié gréviste ne perçoit en principe aucune rémunération.
(9) Ces règles n'ont pas été modifiées par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C), qui, en substance, se contente de les répartir selon la nouvelle architecture des règles qu'elle établit en matière de durée du travail et de congés.
(10) Ces règles figurent aujourd'hui, à l'identique, à l'article D. 3121-19 (N° Lexbase : L5484LBQ).
(11) Dispositions qui figurent aujourd'hui à l'article D. 3121-23 (N° Lexbase : L5439LB3).
(12) Il semble que la Cour de cassation n'entende pas ici laisser d'option entre le paiement des heures de délégation et la prise d'un repos correspondant. Dans la mesure où le contrat de travail continue de recevoir exécution, seule cette modalité est envisageable.
(13) V., dans le même sens mais à propos de jours de repos d'une autre nature, Cass. soc., 20 mai 1992, n° 89-43.103, publié (N° Lexbase : A4992ABI), Bull. civ. V, n° 309. V. aussi, Cass. soc., 27 novembre 2013, n° 12-24.465, FS-P+B (N° Lexbase : A4628KQH) ; Bull. civ. V, n° 290.
Décision
Cass. soc., 23 mai 2017, n° 15-25.250, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1068WEB) Cassation (CPH Montpellier, 16 juillet 2015) Textes visés : C. trav., art. D. 3121-14 du Code du travail (N° Lexbase : L7287IBI) alors applicable et R. 1455-7 (N° Lexbase : L0818IAK) du même code. Mots-clefs : représentant du personnel ; suspension du contrat de travail ; heures de délégation ; rémunération ; contrepartie obligatoire en repos. Lien base : (N° Lexbase : E0372ETX). |
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