La lettre juridique n°684 du 19 janvier 2017 : Procédure civile

[Jurisprudence] Péremption d'instance : les parties doivent accomplir les diligences de nature à faire progresser l'instance jusqu'à la fixation de l'affaire

Réf. : Cass. civ. 2, 16 décembre 2016, deux arrêts, n° 15-27.917 (N° Lexbase : A2215SXC) et n° 15-26.083 (N° Lexbase : A2368SXY), FS-P+B+I

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par Sâmi Hazoug, Maître de conférences à l'Université de Franche Comté, CRJFC (EA 3225)

le 20 Janvier 2017

Au titre de l'article 386 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2277H44), relevant des dispositions communes à toutes les juridictions, "l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans". La clarté du texte n'évite pas les difficultés de sa mise en oeuvre, loin s'en faut. Ce dont d'ailleurs attestent deux arrêts de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 décembre 2016. L'un de rejet et l'autre de cassation, le premier retenant la péremption de l'instance, et le second l'écartant, dans des affaires où une première lecture, certes rapide, pourrait conduire à relever une similitude factuelle. Dans la première espèce (n° 15 27.917), il était fait grief à la décision attaquée d'avoir prononcé l'extinction de l'instance en dépit de la notification et du dépôt des pièces et conclusions dans les délais. Plus exactement, ceux-ci réalisés, le conseiller de la mise en état n'avait fixé aucune date de clôture, ni des plaidoiries, seule la mention "à fixer" apposée par le greffe dans le dossier électronique avait été portée à la connaissance des parties. Le demandeur soutenait, d'une part, la violation des articles 386 et 912 (N° Lexbase : L0366ITQ) du Code procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) : le conseiller de la mise en état tenu, selon le deuxième texte, d'examiner l'affaire dans les quinze jours suivant l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, fixe la date de clôture et celles des plaidoiries. Il n'aurait pu alors être mis à la charge des parties l'accomplissement de diligences utiles à la progression de l'instance, alors qu'il appartenait au magistrat de le faire en fixant soit les dates, soit un calendrier de nouveaux échanges de conclusions. D'autre part, les mêmes textes auraient été violés, en jugeant que la mention apposée par le greffe, ne dispensait pas les parties d'accomplir des diligences.

Les deux branches sont rejetées. Point de méconnaissance du droit à un procès équitable car "la péremption de l'instance, qui tire les conséquences de l'absence de diligences des parties en vue de voir aboutir le jugement de l'affaire et poursuit un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique afin que l'instance s'achève dans un délai raisonnable, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable". L'apposition d'une mention "à fixer", et le défaut de fixation de dates par le juge ne conduisent pas plus à la cassation. Il est ainsi énoncé que "[...] la cour d'appel a retenu à juste titre que la mention 'à fixer', portée par le greffe dans le dossier électronique de l'affaire, attestait seulement du dépôt des écritures des parties dans les délais d'échanges initiaux prévus par les articles 908 (N° Lexbase : L0162IPP) et 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) du Code de procédure civile ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que le conseiller de la mise en état n'avait pas fixé l'affaire et que les parties n'avaient pas pris d'initiative pour faire avancer l'instance ou obtenir une fixation, la cour d'appel en a exactement déduit, sans méconnaître les exigences de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, que l'instance était périmée".

Plus heureux fut le plaideur dans la seconde affaire (n° 15 26.083), qui verra prononcer la cassation de l'arrêt déféré. En l'occurrence, les parties ayant conclu, le conseiller de la mise en état les avisa le 22 février 2013 de ce qu'il proposait de retenir une clôture de l'instruction au 19 février 2015 et l'audience de plaidoiries au 16 avril 2015, ces dates devenant impératives passé un délai de quinze jours. Le 19 février 2015, la défenderesse souleva la péremption d'instance accueillie. Les juges du fond retinrent, en effet, qu'avant la clôture rien n'indiquait que l'affaire était en état d'être jugée. L'information donnée sur la date de clôture, ne dispensait pas alors les parties d'accomplir les diligences de nature à éviter la péremption. Le raisonnement est censuré au motif que "[...] à compter de la fixation, le 22 février 2013, de la date des débats, les parties n'avaient plus à accomplir de diligences de nature à faire progresser l'instance de sorte que le délai de péremption se trouvait suspendu". De la seule fixation de la date, des débats ici, est donc déduite la suspension du délai de péremption. En somme, les parties restent tenues d'accomplir des diligences utiles à la progression de l'instance tant que la fixation par le juge n'a pas eu lieu. Autrement dit, au rappel de l'obligation des parties (I), répond celui de son extinction (II).

I - Le rappel de l'obligation des parties : l'accomplissement de diligences

Pour éviter la péremption, les parties doivent accomplir des diligences, soit ! Mais quelles seraient-elles lorsque les pièces et conclusions ont été déposées, et que, a priori, l'affaire est en état d'être jugée selon les parties ? Il avait déjà été jugé que la signification de conclusions, qui ne tendraient qu'à l'interruption de la péremption, seraient impuissantes à produire cet effet. Du moins s'il n'est pas caractérisé en quoi elles constitueraient... une diligence, seule de nature à interrompre la péremption (1). Ici, il aurait fallu que les parties "prennent l'initiative pour faire avancer l'instance ou obtenir une fixation". L'instance était, semble-t-il, suffisamment avancée pour qu'elles attendent la fixation de la clôture de l'instruction. Restait, toutefois, selon la Cour de cassation, à demander l'obtention d'une fixation qui avait pu être considérée, un temps, comme inopérante (2).

La fixation n'incombait-elle pas, au titre de l'article 912 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0366ITQ), au conseiller de la mise en état, comme le soutenait le demandeur ? Ce point n'est pas remis en cause. La Cour de cassation, relève simplement qu'à défaut de celle-ci, il revenait aux parties d'agir. La carence du juge n'excusait pas celle des parties, plus exactement, elle l'avait créée. Le magistrat n'ayant pas fixé l'affaire, les parties restaient tenues d'agir à fin d'interruption d'un délai de péremption qui continuait à courir. L'impression de faire supporter aux parties le manquement du juge est quelque peu dérangeante. La solution n'en est pas pour autant à remettre en cause malgré sa sévérité. L'obligation d'agir pèse sur les parties tant qu'elles n'en sont pas déchargées, décharge qui peut procéder de la fixation par le juge, mais non du défaut de celle-ci. La même logique avait conduit à retenir que la fixation de la date de clôture ou d'audience postérieurement à l'expiration du délai de péremption, ne constituait pas un obstacle à cette même péremption (3).

L'on en comprend alors que mieux l'indifférence de la mention apposée par le greffe. La Cour de cassation prend néanmoins soin de préciser qu'elle n'attestait que du seul dépôt des écritures dans les délais. "A fixer" ne signifie pas "fixée" (par le juge), et malgré l'inattention des parties, cela n'était pas de nature à les induire légitimement en erreur. Dès lors, en l'absence d'entraves à l'exercice de diligences qu'il leur appartenait d'accomplir, aucune atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable n'est retenue (4). La péremption est alors justement prononcée, car ni la défaillance du juge, ni la mention visée, n'emportait libération des parties de leur obligation.

II - L'extinction de l'obligation : la fixation d'une date par le juge

Pour pouvoir reprocher un défaut de diligences aux parties, il faut, et cela procède d'évidence, qu'elles soient tenues d'en accomplir. Pouvaient-elles en accomplir dans les espèces rapportées ? Oui, dans un cas comme dans l'autre. Mais, étaient-elles tenues d'en accomplir ? La fixation par le juge de la date de clôture ou d'audience, les décharge d'une telle obligation. C'est ce qui est précisé dans le second arrêt. Ce n'est donc qu'en raison du défaut de celle-ci, que les parties devaient encore accomplir les diligences requises dans la première affaire. Plus qu'une obligation positive, c'est une conséquence de la défaillance du magistrat qui avait conduit au prononcé de la péremption.

Que la fixation de l'affaire libère les parties n'est pas chose nouvelle. La solution dégagée par cette même chambre en 2004 (5) a depuis été plusieurs fois rappelée. La formule ici utilisée reprend toutefois celle retenue dans un arrêt inédit du 24 mars 2005 (6), et par une décision du 15 mai 2014 (7), précisant, par ailleurs, que la fixation emportait suspension de l'instance. "A compter de la fixation [...] de la date des débats, les parties n'avaient plus à accomplir de diligences de nature à faire progresser l'instance". C'est donc de la fixation qu'est déduite l'absence de diligence à accomplir. Plus exactement, la première emporte la seconde. Or, dans la majorité de ses arrêts, la Cour de cassation prenait soin de relever la caractérisation par le juge du fond de l'absence de diligences, qui ne procédait donc aucunement de la seule fixation. Il avait, d'ailleurs, été proposé d'articuler cette solution avec celle consacrée par des décisions antérieures considérant que la fixation ne prive pas les parties d'accomplir les diligences à leur charge, sous peine de péremption (8). De deux choses l'une, soit les parties devaient en accomplir, sans que l'on n'en crée de "creuses", et elles restent tenues de le faire en dépit de la fixation, soit il ressort qu'elles n'en avaient plus à effectuer, et les "gesticulations formelles" (9) n'ont pas lieu d'être. D'autant que ces dernières, n'initiant pas une impulsion processuelle, seraient privées d'effet interruptif.

L'articulation de la sanction du défaut de diligences et de la nécessité de les accomplir ainsi dessinée est remise en cause s'il faut admettre un effet automatique de la fixation. Certes, celui-ci a pour lui l'attrait de la simplicité : avant la fixation, les parties doivent agir, y compris pour solliciter cette fixation, après celle-ci, elles n'ont plus de diligence à accomplir. Mais songeons, par exemple, à une fixation, antérieure à la péremption, de date d'audience, postérieure à cette péremption, intervenue après une ordonnance de clôture partielle. La partie dont la carence aura été sanctionnée par l'ordonnance de clôture partielle, devrait pouvoir échapper à la péremption du fait de la décharge qu'emporte la fixation. En somme, la péremption ne devrait sanctionner que le réel défaut de diligence, et la fixation de l'affaire ne pas emporter décharge systématique d'en accomplir. Mais en toutes hypothèses, même lorsqu'ils n'auront pas à être diligents, les intéressés devront rester vigilants.


(1) V. Cass. civ. 3, 28 février 1990, n° 88-11.574 (N° Lexbase : A3495AHW), Bull. civ. III, n° 67.
(2) V. Cass. civ. 2, 12 juin 2003, n° 01-14.488, F-P+B (N° Lexbase : A7194C8X), Bull. civ. II, n° 192, qui énonce que "[...] les demandes de fixation de l'affaire ne dispensaient pas les parties d'accomplir les diligences propres à éviter la péremption de l'instance".
(3) Pour la fixation d'une date d'audience, v. par ex. Cass. civ. 2, 14 juin 1989, n° 88-10.523 (N° Lexbase : A1619CT7). Pour celle d'une date de clôture, v. par ex., Cass. civ. 2, 15 mars 1989, n° 87-20.274 N° Lexbase : A1619CT7, Bull. civ. II, n° 73 (la Cour de cassation y vise celle de l'audience. Mais il ressort des moyens que celle de clôture était fixée postérieurement à celle de péremption) ; JCP éd. G, 1990, II, 21474, obs. L. Cadiet. Plus récemment, v. par ex. Cass. civ. 2, 9 novembre 2000, n° 97-10.492 (N° Lexbase : A7744AHB), Bull. civ. II, n° 150, pour une date d'audience, où est retenue l'absence de violation de l'art. 6 § 1 de la CESDH, "Mais attendu que l'indication donnée aux parties, avant la clôture de l'instruction, d'une date d'audience ne les dispense pas d'accomplir des diligences propres à manifester leur volonté de voir aboutir l'instance ; qu'ainsi, c'est à bon droit et sans violer les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales que la cour d'appel a constaté que l'instance était périmée", RTDCiv., 2001, 203, obs. R. Perrot ; Dr. et proc., 2001, 114, obs. Y. Desdevises.
(4) Pour une telle atteinte v. par ex. CEDH, 11 mars 2014, Req. 52067/10 et 41072/11 (N° Lexbase : A2773S4H) ; où s'agissant de victimes de l'amiante, il est retenu que "lorsqu'il est scientifiquement prouvé qu'une personne est dans l'impossibilité de savoir qu'elle souffre d'une certaine maladie, une telle circonstance devrait être prise en compte pour le calcul du délai de péremption ou de prescription. Partant, la Cour estime que l'application des délais de péremption ou de prescription a limité l'accès à un tribunal à un point tel que le droit des requérantes s'en est trouvé atteint dans sa substance même" ; D., 2014, 1019, note J. S. Borghetti ; F. Marchadier, RDC, 2014, 506.
(5) Cass. civ. 2, 12 février 2004, n° 01-17.565, FS-P+B (N° Lexbase : A2681DBW), Bull. civ. II, n° 61 ; RTDCiv., 2004, 347, obs. R. Perrot, et Procédures, 2004, n° 50 ; Gaz. Pal., 18 mars 2004, p. 10, note Baufumé. Pour des arrêts postérieurs, v. not. Cass. civ. 2, 23 septembre 2010, n° 09-16.776, F-D (N° Lexbase : A2268GAA), Procédures, 2010, n° 372, obs. R. Perrot ; Cass. civ. 2, 28 juin 2006, n° 04-17.992, FS-P+B (N° Lexbase : A0994DQU), Bull. civ. II, n° 177 ; RTDCiv., 2006, 822, obs. R. Perrot ; D., 2007, pan. 1384, obs. J. Julien.
(6) Cass. civ. 2, 24 mars 2005, n° 02-21.035, FS-D (N° Lexbase : A4088DHU).
(7) Cass. civ. 2, 15 mai 2014, n° 13-17.294, F-P+B (N° Lexbase : A5603ML4), Bull. civ. II, n° 112.
(8) V. Ch. Atias, La péremption d'instance entre deux eaux : sanction des parties et gestion du rôle, D., 2004, 2874.
(9) Selon la formule de Roger Perrot, RTDCiv., 1996, 704.

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