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par Hervé Haxaire, ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions
le 30 Décembre 2016
La représentation est rendue obligatoire devant les chambres sociales des cours d'appel.
L'idée était bonne. Mais de quelle représentation obligatoire est-il question, et selon quelle procédure ?
Le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail instaure, d'une part, la représentation obligatoire devant la chambre sociale de la cour d'appel en cas d'appel d'une décision du conseil des prud'hommes, d'autre part, et à peine d'irrecevabilité relevée d'office, la remise des actes de procédure par voie électronique à la juridiction, c'est-à-dire la mise en oeuvre de la procédure avec représentation obligatoire.
Faut-il comprendre que nous serions en présence d'une réforme simplificatrice instituant, au niveau des cours d'appel, une représentation obligatoire par avocat comparable à celle qui fut instituée au profit des avocats aux Conseils devant la Chambre sociale de la Cour de cassation par le décret n° 2004-836 du 20 août 2004, portant modification de la procédure civile (N° Lexbase : L0896GTD) ?
Si l'on se réfère au rapport d'activité de la Chambre sociale de la Cour de cassation pour l'année 2005, et alors que le décret n° 2004-836 du 20 août 2004, portant modification de la procédure civile (N° Lexbase : L0896GTD) applicable au 1er janvier 2005 n'avait pas encore pu produire tous ses effets pour cette année 2005 (en raison de la poursuite des dossiers en cours selon la procédure antérieure sans représentation obligatoire), l'entrée en vigueur de cette réforme a eu pour effets d'entraîner une diminution du nombre des pourvois (30 %), une diminution de la durée moyenne de traitement des procédures terminées par un arrêt, et une augmentation du nombre des arrêts rendus (16,5 % par rapport à l'année précédente).
Nous pourrions, mais ce serait un autre débat, nous interroger sur l'opportunité d'une réforme qui a éloigné le justiciable de son juge, fût-il suprême, par l'instauration d'un filtre autant procédural que financier.
Il reste que d'un point de vue purement statistique, la réforme instituant la représentation obligatoire par un avocat aux Conseils devant la Chambre sociale de la Cour de cassation a apporté la démonstration que l'avocat pouvait tout à la fois, déconseiller des recours voués à l'échec, et se révéler un facilitateur du travail des magistrats.
Dès lors, il n'était pas incongru de penser que la réforme de la représentation devant les chambres sociales des cours d'appel, issue du décret du 20 mai 2016, aurait pu être calquée sur celle instituée par le décret du 20 août 2004, relative à la Chambre sociale de la Cour de cassation.
Pourquoi faire simple lorsque l'on peut faire compliqué ?
L'article 28 du décret du 20 mai 2016 dispose que : "A défaut d'être représentées par la personne mentionnée au 2° de l'article R. 1453-2 (N° Lexbase : L2640K8B), les parties sont tenues de constituer avocat".
La personne mentionnée à l'article R. 1453-2 du Code du travail étant le défenseur syndical.
On ne peut mieux dire que la représentation par avocat a, au moins sur un plan formel, un caractère subsidiaire par rapport à la représentation par un défenseur syndical. Il faut, cependant, s'étonner que, dans la matière du droit du travail profondément réformée par le recours autoritaire à l'article 49.3 de la Constitution, les pouvoirs publics consacrent ainsi, et néanmoins, le rôle éminent des syndicats dans la justice prud'homale en appel. Sauf à penser que cette consécration serait en réalité une compensation à un dialogue social tellement vanté et pourtant tellement malmené ?
Le représentant d'une partie, s'il n'est avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial.
Le défenseur syndical apparaît comme un acteur nouveau dans la procédure prud'homale, lequel ne doit pas être confondu avec le délégué syndical qui, dans les procédures introduites avant le 1er août 2016, avait qualité pour représenter ou assister les parties devant le conseil de prud'hommes et devant la chambre sociale de la cour d'appel.
L'article D. 1453-2-1 (N° Lexbase : L3783K9Y), créé par le décret n° 2016-975 du 18 juillet 2016 (N° Lexbase : L3694K9P), dispose que le défenseur syndical doit être inscrit sur une liste établie par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, sur proposition des organisations d'employeurs et de salariés mentionnées à l'article L. 1453-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5961KGU).
Ces dernières désignent des défenseurs syndicaux au niveau régional en fonction de leur expérience des relations professionnelles et de leurs connaissances du droit social.
Le défenseur syndical exerce ses fonctions à titre gratuit. Il est radié d'office de la liste par le préfet de région en cas de défaut d'exercice de sa fonction à titre gratuit (C. trav., nouvel art. D. 1453-2-6 N° Lexbase : L3788K98).
Les défenseurs syndicaux sont inscrits sur la liste de la région de leur domicile ou du lieu d'exercice de leur activité professionnelle.
Ainsi, cette liste des défenseurs syndicaux est arrêtée dans chaque région par le préfet de région et publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de région (C. trav., nouvel art. D. 1453-2-3 N° Lexbase : L3785K93).
L'inscription sur cette liste permet l'exercice de la fonction de défenseur syndical dans le ressort des cours d'appel de la région (C. trav., nouvel art. D. 1453-2-4 N° Lexbase : L3786K94), sauf l'hypothèse où le défenseur syndical a assisté ou représenté la partie appelante ou intimée en première instance, puisque le défenseur syndical pourra alors continuer à assister ou représenter celle-ci devant une cour d'appel qui a son siège dans une autre région (C. trav., nouvel art. D. 1453-2-4 N° Lexbase : L3786K94).
Nous pouvons supposer que le fait qu'un défenseur syndical accomplisse des actes de procédure, dont au premier chef la déclaration d'appel, sans être régulièrement inscrit sur la liste des défenseurs syndicaux au jour de leur accomplissement, ou sans être titulaire d'un pouvoir de représentation ayant date certaine (ce qui supposerait qu'il en soit justifié concomitamment à l'acte d'appel ou à l'acte de constitution), entraînera la nullité de ces actes.
La consultation du recueil des actes administratifs de la préfecture de région pourrait à cet égard constituer une mesure de précaution utile pour toute partie à la procédure d'appel.
Bien que le défenseur syndical ne puisse pas être rémunéré, il n'en reste pas moins un mandataire. A ce titre, il est susceptible d'engager sa responsabilité civile professionnelle.
Les dispositions du décret du 18 juillet 2016 n'instaurent à son égard aucune obligation de justifier de la souscription d'une assurance au titre de son activité de mandataire, ce qui laisse présager que naîtront des contentieux en cas de sinistres, et des situations bien difficiles pour une partie dont le représentant ne sera pas assuré, ou pour le défenseur s'il a un quelconque patrimoine.
Ainsi donc vont coexister, devant les chambres sociales des cours d'appel, deux types de représentants obligatoires, le défenseur syndical et l'avocat, soumis l'un et l'autre aux mêmes dispositions du Code de procédure civile, mais seul l'avocat étant astreint à justifier de la souscription d'une assurance au titre de sa responsabilité civile professionnelle et au titre des maniements de fonds, et seul astreint à des règles déontologiques.
Les règles de la confidentialité des échanges entre avocats ne s'appliqueront pas davantage aux échanges entre l'avocat et le défenseur syndical, ce qui ne sera pas de nature à favoriser des pourparlers. Certes, la situation était la même lorsque les parties se défendaient elles-mêmes ou étaient représentées par un délégué syndical. Mais le propre d'une réforme n'est-il pas d'introduire des progrès ?
En somme, deux types de représentants devant la cour d'appel ayant des droits et des obligations différents.
S'agit-il là des seules différences qui existeront entre ces deux représentants des parties devant les chambres sociales des cours d'appel ?
Pourquoi faire simple lorsque l'on peut faire compliqué ?
L'article 30 du décret du 20 mai 2016 institue des règles différentes selon que le représentant d'une partie est avocat ou défenseur syndical.
Au titre VI du livre II du Code de procédure civile, après l'article 930-1 (N° Lexbase : L0362ITL), il est inséré un article 930-2 (N° Lexbase : L2619K8I) ainsi rédigé : "Les dispositions de l'article 930-1 ne sont pas applicables au défenseur syndical. Les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe. Dans ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué".
Rappelons que l'article 930-1 du Code de procédure civile, applicable aux seuls avocats, dispose que : "A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique. Lorsqu'un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe. En ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué. Les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique, sauf impossibilité pour cause étrangère à l'expéditeur. Un arrêté du Garde des Sceaux définit les modalités des échanges par voie électronique".
Vont donc, non seulement coexister mais bien pire, s'enchevêtrer, des règles procédurales différentes selon qu'une ou plusieurs parties seront représentées par un avocat et/ou par un défenseur syndical : communication électronique pour l'avocat et communication papier pour le défenseur syndical dans leurs rapports avec la juridiction, communication électronique dans les rapports entre avocats, mais communication électronique et communication papier dans les rapports entre l'avocat et le défenseur syndical, et dans les rapports entre avocats exerçant dans les ressorts de cours d'appel différentes.
Cette complexification est-elle purement anecdotique ? Hélas non.
L'article 29 du décret du 20 mai 2016, modifiant l'article R. 1461-2 du Code du travail, dispose que la procédure devant la chambre sociale de la cour d'appel est désormais une procédure avec représentation obligatoire.
Sont donc applicables, depuis le 1er août 2016 au procès prud'homal en appel, les dispositions des articles 899 (N° Lexbase : L0369ITT) à 930 du Code de procédure civile, dont notamment celles des articles 908 (N° Lexbase : L0390IGK), 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) et 910 (N° Lexbase : L0412IGD) instituant, à peine de caducité de l'appel ou d'irrecevabilité des conclusions, les délais impératifs de trois et deux mois.
Il apparaît là que la complexité nouvelle des notifications d'actes entre avocats appartenant à des barreaux situés dans des cours d'appel différentes, ou entre avocats et défenseurs syndicaux, va imposer le respect de règles différentes selon les cas de figure envisagés :
- lorsque l'appelant et l'intimé seront représentés l'un et l'autre par un avocat du ressort de la même cour, il n'y aura pas de difficulté. L'un et l'autre pourront conclure au plus tard le dernier jour du délai des articles 908 à 910 par la voie de la communication électronique (le RPVA), aussi bien avec la cour qu'avec l'avocat adverse ;
- lorsque l'avocat aura pour contradicteur un défenseur syndical, ou un avocat du ressort d'une autre cour (sauf l'hypothèse où ce dernier aura mandaté un avocat "postulant" devant la cour saisie du litige), les actes devront être signifiés entre eux par acte d'huissier, en ce y compris le bordereau de pièces. Ce qui ne dispensera pas l'avocat du ressort de la cour saisie du litige de remettre les actes de procédure à la juridiction, à peine d'irrecevabilité, par la voie électronique.
Dans ceux bien sûr édictés par les articles 908 à 910 précités, c'est-à-dire trois mois pour le représentant de l'appelant à compter de la déclaration d'appel, deux mois pour le représentant de l'intimé à compter de la notification des conclusions de l'appelant, et deux mois au représentant de l'appelant en cas d'appel incident ou d'appel provoqué.
Mais ATTENTION : si la communication électronique permet en toutes matières à l'avocat de conclure devant la cour, le cas échéant, le dernier jour des délais précités puisque la juridiction comme le représentant de la partie adverse reçoivent cette communication en temps réel, tel n'est pas le cas en matière sociale.
La signification des actes de procédure par voie d'huissier devra intervenir au plus tard le dernier jour des délais des articles 908 à 910.
Les délais seront donc ceux des articles du Code de procédure civile... diminués du temps nécessaire à la signification des actes par huissier.
Rappelons encore que l'article 902 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0377IT7), auquel il est renvoyé pour un examen plus complet, impose au représentant de l'appelant d'assigner l'intimé, qui n'a pas constitué un représentant devant la cour, dans le délai d'un mois à compter de l'avis adressé par le greffe, à peine de caducité de l'appel.
A ce stade de notre réflexion, une pensée s'impose pour les justiciables qui perdront leur procès en appel pour une simple question de procédure, sans examen au fond de leur cause, lorsque par malchance pour eux, ils ne seront pas représentés l'un et l'autre par un avocat du ressort de la même cour communiquant entre eux par la voie électronique. Ayons également une pensée pour les justiciables dont le représentant ne sera pas soumis à une obligation d'assurance.
Nous avons rappelé que la définition même de la postulation était la représentation obligatoire par avocat.
Qu'advient-il lorsqu'un décret institue une exception à la règle de la postulation dans une procédure avec représentation obligatoire ? Un grand désordre.
Peu importent la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite loi "Macron", et le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, ainsi que les dispositions du Code de procédure civile relatives à la postulation. Ne nous embarrassons pas de ce concept antédiluvien de la hiérarchie des normes alors que, nous l'avons vu, le décret du 20 mai 2016 nous propulse dans le monde du futur, de la modernité, et de la simplification.
La réponse à la question nous est donnée par le "ministère de la Justice" (cf. la fiche d'information technique diffusée par le Conseil national des barreaux le 27 juillet 2016 - page 5) : "Le ministère de la Justice a considéré que le régime de la postulation territoriale n'était pas applicable devant les cours d'appel statuant en matière prud'homale, y compris en Alsace-Moselle, dans la mesure notamment où il échappe au monopole général d'assistance et de représentation par avocat puisque 'le défenseur syndical peut exercer des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et les Cours d'appel en matière prud'homale' (C. trav., nouvel art. L. 1453-4 N° Lexbase : L5961KGU - loi du 6 août 2015, art. 258)".
Aux lecteurs qui resteraient frileusement attachés à la notion de hiérarchie des normes, nous ne pouvons que leur conseiller de s'interroger sur la valeur respective d'un avis du "ministère de la Justice" et celles de la loi et du décret.
Selon que vous serez moderne ou ancien, vous pourrez donc considérer, ou non, que dans une procédure avec représentation obligatoire, l'avocat qui représente une partie devant la chambre sociale d'une cour d'appel en étant soumis à toutes les règles de cette procédure avec représentation obligatoire postule ou non.
En page 4 de la fiche d'information en date du 27 juillet 2016, le Conseil national des barreaux écrit, sous le titre "Le cas particulier de l'Alsace-Moselle" : "Le ministère de la Justice a considéré que l'article 8 de la loi du 20 février 1922 sur l'exercice de la profession d'avocat et la discipline des barreaux en Alsace et en Lorraine, qui instaure un régime spécifique de postulation devant les cours d'appel de Metz et Colmar, n'a pas été abrogé par l'article 51 de la loi du 6 août 2015, dite loi 'Macron'".
Notons incidemment que, nonobstant l'avis du ministère de la Justice, la loi du 20 février 1922 s'applique en Alsace et en Moselle, et non en Alsace et en Lorraine.
La question qui reste posée, malgré l'avis du ministère de la Justice, est celle de savoir si l'avocat alsacien ou l'avocat mosellan postulait et postule, y compris, devant la chambre sociale des cours d'appel de Metz ou de Colmar en vertu de la loi de 1922, abrogée ou non par la loi "Macron".
Dans un arrêt en date du 21 octobre 2016 (CE 6° ch., 21 octobre 2016, n° 401741 N° Lexbase : A7048R9W), le Conseil d'Etat, saisi notamment d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir des articles 28, 29 et 30 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, a rejeté cette demande au motif en particulier que : "[...] les articles 28, 29 et 30 du décret attaqué ont pour objet, à compter du 1er août 2016, de rendre obligatoire en appel la représentation des parties par tout avocat ou par un défenseur syndical ; qu'elles n'ont ni pour objet ni pour effet d'étendre, à compter de cette date, les règles de postulation prévues respectivement par l'article 5 de la loi du 31 décembre 1971 et par l'article 8 de la loi du 20 février 1922 aux procédures d'appel devant la chambre sociale de la cour d'appel d'un jugement d'un conseil de prud'hommes".
Le Conseil d'Etat a donc rendu une décision sensiblement différente de l'avis du ministère de la Justice, tel que rapporté par le Conseil national des barreaux dans sa fiche d'information du 27 juillet 2016. Ce qui nous conduit à considérer que ceux que nous appelons "les anciens", c'est à dire ceux qui privilégient l'analyse de la loi et du décret à l'avis du "ministère de la Justice", ont sans doute raison de faire preuve d'un tel conservatisme.
Ce qui nous amène à conseiller aux avocats peu familiarisés avec la procédure d'appel, soit de s'en pénétrer par une étude approfondie, soit de faire preuve de la plus grande prudence.
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