Le Quotidien du 18 juin 2002 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le recours à l'alcootest peut désormais avoir pour objet la constatation d'une faute

Réf. : Cass. soc., 22 mai 2002, n° 99-45.878, N° Lexbase : A7132AYS

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N3189AAD

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par Sonia Koleck-Desautel, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Le règlement intérieur peut prévoir la mise en place d'un système permettant non seulement de contrôler l'alcoolémie des salariés sur le lieu de travail, mais également d'établir l'état d'ébriété des salariés et, ce faisant, de constater l'existence d'une faute. Cette solution, qui résulte d'un arrêt rendu le 22 mai 2002 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, s'oppose à celle retenue par le Conseil d'Etat. Dans cette affaire, un salarié est licencié pour faute grave à la suite d'un contrôle d'alcoolémie effectué sur un chantier et s'étant révélé positif, alors que le salarié, au volant d'un véhicule automobile, transportait un autre salarié de l'entreprise. Précisons que ce contrôle avait été effectué conformément aux dispositions du règlement intérieur interdisant l'accès aux lieux de travail en état d'ivresse et prévoyant le recours à l'alcootest pour les conducteurs de véhicules ou d'engins. Le règlement intérieur prévoyait également que le salarié pouvait exiger la présence d'un tiers et solliciter une contre-expertise.

La cour d'appel de Bordeaux, saisie de l'affaire, juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Selon elle en effet, le recours à l'alcootest n'est justifié que s'il a pour objet de prévenir ou de faire cesser immédiatement une situation dangereuse ; il ne peut permettre de constater une éventuelle faute disciplinaire. L'employeur forme alors un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation casse l'arrêt rendu par les juges du fond, au visa des articles L. 122-35 (N° Lexbase : L5548ACH) et L. 230-3 (N° Lexbase : L5947ACA) du Code du travail. Contrairement aux juges d'appel, elle estime que "les dispositions d'un règlement intérieur permettant d'établir sur le lieu de travail l'état d'ébriété d'un salarié en recourant à un contrôle de son alcoolémie sont licites dès lors, d'une part, que les modalités de ce contrôle en permettent la contestation, d'autre part, qu'eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d'ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger, de sorte qu'il peut constituer une faute grave ".

Cette jurisprudence est en totale opposition avec celle des juridictions administratives. Le Conseil d'Etat estime, en effet, que la soumission à l'épreuve de l'alcootest prévue par le règlement intérieur ne peut avoir pour objet que de prévenir ou de faire cesser une situation dangereuse, et non de permettre à l'employeur de faire constater par ce moyen une éventuelle faute disciplinaire ; il s'ensuit qu'il est impossible d'exiger que le règlement intérieur précise que le salarié a la possibilité de demander une contre-expertise chez un médecin de son choix (CE, 12 novembre 1990, n° 96721, N° Lexbase : A6136AQC). Pour le Conseil d'Etat, le recours à l'alcootest ne se justifie que pour les salariés exécutant certains travaux ou conduisant certaines machines (CE, 8 juillet 1988, n ° 71484, N° Lexbase : A8243APY ; cf. dans le même sens, Circ. DRT, n° 83-05, du 15 mars 1983, N° Lexbase : L7474AIN).

Désormais, selon la Cour de cassation, le règlement intérieur peut valablement prévoir le recours à l'alcootest non seulement pour faire cesser ou prévenir une situation dangereuse, mais également pour faire constater l'existence d'une faute du salarié. La solution présente un intérêt majeur, lorsque l'on sait que l'éthylisme sur le lieu de travail constitue en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire en fonction des circonstances, une faute grave privative des indemnités de rupture (Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-43.823, N° Lexbase : A6370AGZ ; Cass. soc., 6 décembre 2000, n° 98-45.785, N° Lexbase : A9791ATS).

Mais la portée de ce nouveau principe reste relativement limitée, puisqu'il ne s'applique que si deux conditions sont réunies. D'une part, le règlement intérieur doit prévoir que le salarié a la possibilité de contester le contrôle effectué ; autrement dit, le salarié doit pouvoir demander une contre-expertise (sur ce point encore, la position de la Cour de cassation et celle du Conseil d'Etat sont divergentes). D'autre part, le recours à l'alcootest n'est possible que si l'état d'ébriété du salarié, compte tenu de ses fonctions, est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger.

Au-delà du problème de la nature des clauses que peut contenir le règlement intérieur, cet arrêt pose la question des modes de preuve recevables en matière de licenciement. Une nouvelle fois sur ce point, la Cour de cassation se réfère au désormais célèbre principe selon lequel "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché" (L. 120-2 du Code du travail, N° Lexbase : L5441ACI, auquel fait écho l'article L. 122-35 du même code, N° Lexbase : L5548ACH, s'agissant du règlement intérieur).

Désormais, selon la juridiction judiciaire, l'alcootest est un mode de preuve recevable, à condition que soient respectés les principes de proportionnalité et de finalité. La Cour de cassation se réfère aux mêmes principes pour limiter le recours à la fouille de l'armoire d'un salarié en tant que mode de preuve (Cass. soc., 11 décembre 2001, n° 99-43.030, N° Lexbase : A6554AXZ), ou pour déclarer irrecevable la preuve obtenue par la violation du secret des correspondances (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, N° Lexbase : A1200AWD).

Souhaitons que la divergence jurisprudentielle qui oppose aujourd'hui les deux ordres de juridictions s'efface, ne serait-ce que dans un but de sécurité juridique ...

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